
L’incendie d’un immeuble en copropriété à Vaulx-en-Velin le 16 décembre, qui a fait dix morts dont quatre enfants, vient hélas ! cruellement rappeler les conséquences du « séparatisme » qui affecte les quartiers « périphériques », qu’ils soient de logements sociaux locatifs ou en copropriété, avec ce paradoxe que ces derniers, malgré les réformes ayant facilité les prises de décisions relatives à leur rénovation, sont trop souvent laissés en déshérence du fait de copropriétaires occupants désargentés, de syndics indélicats ou de marchands de sommeil cupides. Ceci, alors même que l’accession à la propriété était au contraire censée constituer une incitation à l’entretien d’immeubles pour lesquels des aides à la réhabilitation de l’habitat étaient mobilisées. Comme quoi la propriété, loin d’être la panacée, est bien plutôt un leurre, masque de la précarité : en cherchant à rendre solvable des ménages fragiles pour un achat immobilier on ne fait que grever leur pouvoir d’achat pour les biens courants. Mirage d’un chez-soi paradisiaque, que le passage obligé par des parties communes dégradées et squattées fait tomber dans l’enfer, transition avant le purgatoire d’un espace public qui peine à prendre forme pour s’imposer comme paysage. Copropriétés déchues, refuge des dealers et de leurs victimes toxicomanes, condensé de quartiers délibérément tenus en marge, elles semblent se jouer des velléités de rénovation des pouvoirs publics, d’Etat aussi bien que locaux, symptôme d’un « séparatisme » urbain qui creuse l’écart avec la smart city emblématique d’un XXIe siècle décidément trop sûr de ses prouesses. Comme si l’accession à la propriété pouvait racheter ce que le social a de dégradant, pouvait pérenniser ce que le locatif a de précaire !Les immeubles de centre-ville finissent par s’effondrer avec l’âge, mort de vieillesse non anticipée, ceux des périphéries n’en ont pas le temps, ils se dégradent irrémédiablement avant que les bulldozers ou, mieux, les explosifs en viennent à bout, mort prématurée provoquée. La solution à la question du logement doit dépasser celle du statut d’occupation pour englober celle d’une meilleure intégration sociale des habitants, d’une meilleure insertion des quartiers dans la ville et de la ville dans son environnement naturel-urbain, en ménageant les transitions.
En tant qu’ancienne secrétaire d’Etat chargée de la ville, la maire socialiste, Hélène Geoffroy, ne manque pas d’expérience en la matière et c’est à juste titre qu’elle s’est exprimée pour avertir : « Après ce drame, nous ne pouvons plus envisager la rénovation urbaine comme avant. Nous devons traiter la politique de la ville dans sa globalité, sinon nous risquons de repartir pour trente ans en commettant les mêmes erreurs. » Après quarante ans de politique de la ville, encore trente ans ! Puisse-t-elle être entendue par Olivier Klein, l’actuel ministre de la ville, dont l’expérience n’est pas moindre que la sienne en tant qu’ancien maire de Clichy-sous-Bois. Elle poursuit : « Nous faisons trop d’allers et retours, trop d’évaluations, le temps est trop long. Les problématiques sont morcelées, nous risquons de refaire des ZUP si nous privilégions le logement sans prendre en compte les autres données, comme la sécurité, la voirie, le transport. » (Le Monde daté du 21 décembre) Toujours la même antienne depuis plusieurs dizaines d’années. Madame la maire en appelle à la prise de conscience : dix morts de trop pour réintégrer ces quartiers dans la ville, en suivant ses recommandations de principes ; lesquelles, pour n’être pas nouvelles, ne semblent toujours pas entendues malgré les efforts accomplis par les acteurs du développement urbain sur le terrain.
Il faut le dire avec force : ce n’est que quand les copropriétés auront été adoptées par les quartiers « populaires » et quand les HLM l’auront été par les quartiers « bourgeois » que l’on pourra entrevoir, non pas la fin de la ségrégation spatiale inhérente aux sociétés inégalitaires, mais au moins celle d’un séparatisme, physique autant que social, qui exclut au lieu de différencier.