SEMINAIRE ANALYSE ET POLITIQUE DE LA VILLE : La ville dans l’action publique – Un demi-siècle d’expériences

Chères lectrices, chers lecteurs

C’est, l’heure de la retraite  venue, pour ne pas entrer en errance oisive que j’avais, voici cinq ans déjà, entrepris cette pérégrination dans la littérature de la ville. Pérégrination au gré de retrouvailles au fond de ma bibliothèque ou de nouvelles rencontres, parfois inopinées. L’itinéraire ainsi reconstruit depuis les célèbres enquêtes de Villermé en France et Engels en Angleterre m’ont permis de vous faire partager ma passion pour ces « urbanités » qui, traversant toutes les disciplines, les transcendent pour rejoindre les « humanités ». Convergence qui ne tient nullement au hasard mais bien plutôt d’un destin qui nous a progressivement fait passer de la vie campagnarde à la vie urbaine, laquelle n’a pas fini de se renouveler pour tantôt nous rebuter tantôt nous attirer, nous séduire ; bref, toujours nous surprendre.

Puis, délaissant quelque peu nos livres,  nous avons renoué avec le terrain pour vous livrer le témoignage d’une enquête portant sur trois sites en rénovation : Les Quatre mille de La Courneuve, La Duchère à Lyon et les Quartiers nord de Marseille. Enquête au cours de laquelle nous avons cherché à comprendre les errements d’une reconquête urbaine doublée d’une thérapie sociale à travers une centaine d’entretiens auprès de professionnels et d’acteurs associatifs ainsi que d’habitants, non moins acteurs de la transformation de leurs lieux de vie.

De notre parcours livresque à l’enquête de terrain, aucune rupture, tant l’un de l’autre se sont réciproquement nourris. Et il n’y a pas moins continuité avec ces séminaires d’«analyse et politique de la ville» que nous publions à partir d’aujourd’hui. Riches d’interventions pluridisciplinaires et de débats, ils sont animés par Guy Burgel depuis plusieurs années en partenariat avec le LGU de l’université Paris Nanterre, la FMSH, l’EHESS et le Comité d’Histoire des ministères de l’Ecologie et de l’Habitat. Pour l’année 2017-2018, consacrée à « La ville dans le débat public », le premier de ces séminaires, dont la session s’est tenue le 15 décembre dernier portait sur « La ville dans l’action publique : un demi-siècle d’expériences », dont vous pouvez lire le compte rendu ci-dessous. 

Photo Marcus (Flickr)

Ville nouvelle de Marne-la-Vallée : Les Espaces d’Abraxas (vue de l’Arche) de Ricardo Bofill ; lequel, dans une interview au Journal Le Monde du 8 février 2014, avouait « Je n’ai pas réussi à changer la ville » (Photo Marcus/ Flickr) :

« Le projet est né d’une utopie théorique, en Espagne, dans les années 60. “Ville dans l’espace” consistait à considérer la ville comme un processus et non comme un objet fini. L’objectif était de mélanger les catégories sociales et de créer des modules qui peuvent être investis de différentes manières. […] Ma démarche est opposée à celle de Le Corbusier. »

« Mon modèle n’a pas été pris en exemple pour construire d’autres villes. Je me suis trompé dans la temporalité. La période, la fin des années 60, n’était pas propice au changement car après moi, on a continué à faire des barres. Le malheur qui règne dans les banlieues françaises n’a pas été aboli. »

« Il s’agit d’un espace unique qui a pâti du manque d’esprit communautaire propre à la France : les populations ne se sont pas mélangées. Mais les Espaces d’Abraxas ont été abandonnés : à l’époque, on disait que pour que ça marche il fallait y faire vivre au maximum 20 % d’immigrés, afin de réussir à réellement mélanger les populations. Ça n’a pas été appliqué. Le manque également d’équipements et de commerces et le fait que l’espace soit fermé sur lui-même pose des problèmes à certains. Pour moi, c’est une expérience unique et finie et je ne la répéterai jamais car j’ai vu les difficultés que ça entraîne. »

Ricardo Bofill

Compte rendu du séminaire

Sommaire des exposés et intervenants

 Retour sur une action : la politique des villes nouvelles

  • Sabine Effosse (historienne, Université Paris Nanterre)
  • Bertrand Warnier (urbaniste, Établissement public d’aménagement de Cergy-Pontoise)

De la loi d’Orientation foncière (LOF) à la loi Solidarité et Renouvellement urbain (SRU) : la loi sur la longue durée

  • Laurent Coudroy de Lille (géographe, Université Paris Est Créteil, Institut d’urbanisme de Paris)

Une innovation : le ministère de la politique de la ville

  • Renaud Epstein (sociologue-politologue, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye)

Deux témoignages personnels sur la politique de la ville

  •  Yves Dauge (ancien sénateur-maire de Chinon, Indre-et-Loire)
  • Jean Frébault (urbaniste, Conseil général des Ponts et Chaussées)

Table ronde : Présence et absence de la ville dans le débat public

  •  Jean-Pierre Duport (ancien préfet d’Île-de-France, de la Seine-Saint-Denis, ancien président de Réseau ferré de France)
  • Christian Devillers (architecte-urbaniste)

Conclusion

  •  Guy Burgel
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III – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : des histoires urbaines parallèles et néanmoins singulières (1. Les 4000 de La Courneuve)

Chères lectrices, chers lecteurs

Nous entamons aujourd’hui, après le préalable introductif publié la semaine dernière 17 septembre, l’analyse des sites enquêtés par un bref exposé historique permettant de remonter aux raisons d’une déshérence et à la gestation des remèdes qui seront appliqués en conséquence.

Jointe à l’étude de l’insertion des sites dans leur agglomération respective et à ses ratés, l’analyse, espérons-nous, permettra d’apporter les clefs indispensables à la compréhension des opérations de rénovation ou de renouvellement – selon les périodes – qui seront engagées dans des contextes politiques et économiques alternant interventions sur l’urbain, le social et l’économique sans guère d’esprit de suite.

Bonne lecture

 

A. Trois histoires urbaines parallèles et néanmoins singulières : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille

Partout on retrouve les mêmes ingrédients : un paysage de béton, des tours et des barres disposées orthogonalement, des dégradations dues à des défauts de préfabrication et à une construction hâtive, la fragmentation de l’espace indissociable de l’enclavement, des drames humains, et la pauvreté encore et toujours. Pourtant les gens changent plus vite que les pierres malgré quelques démolitions et reconstructions ça et là, mais la pauvreté et les difficultés de la vie, qui ne sont pas l’apanage des grands ensembles loin de là, elles, demeurent, diffuses. Pire, alors qu’on efface tant bien que mal les plaies de la pierre, les drames humains laissent une empreinte que la succession des générations peine à transformer en espoir faute d’entrevoir un avenir où se régénérer. Et le travail de mémoire engagé dans ces quartiers trop longtemps en déshérence, une fois décanté de ses scories, risque d’être vain s’il n’est pas susceptible de faire éclore les promesses du futur.

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XX – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la synthèse urbaine (2. L’impensé de la société urbaine)

Chère lectrice, cher lecteur

En 1913, Charles Péguy s’en prenait au parti intellectuel en ces termes : « La méthode, […], l’invention moderne, la nouveauté moderne, ce n’est point l’exactitude, c’est l’épuisement du détail indéfini, c’est l’épuisement de la documentation et de la littérature sur un sujet, et même sur tous les sujets. » Et un paragraphe plus loin il précisait : « L’exactitude n’est ni la vérité ni la réalité. […] C’est la perfection du discernement. » ( L’argent suite)

Sans doute ne peut-on parler aujourd’hui de « parti intellectuel » comme Péguy au temps de l’affaire Dreyfus, mais d’un entre-soi d’intellectuels, oui, parmi nombre d’autres entre-soi : de chercheurs, d’experts, de techniciens, d’acteurs de terrain, d’habitants, ou de résidents plutôt, qui n’en sont pas moins acteurs, si ce n’est qu’ils ne jouent pas la scène qui leur est dévolue mais la vivent. On n’échappe pas à l’entre-soi, tellement les extrêmes que sont le solipsisme et l’universalisme sont hors de portée. Et, s‘il est une leçon que l’on a pu tirer des conditions d’exécution de notre enquête, plus encore que de ses résultats, c’est bien celle-là. 

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu, en tant que praticiens, retraités de surcroît, que nous ne pouvions prétendre faire un travail de chercheurs avec ce qu’il impliquerait d’exhaustivité, d’ « épuisement de la documentation », de poursuite du « détail infini », mais oeuvre de témoins. D’aucuns nous ont reproché de n’avoir pas de méthode [*], d’enfoncer des portes ouvertes. Mais c’était, d’une part, sans compter avec le cadre de réalisation de l’étude, ses contraintes, les tracasseries administratives et les aléas de santé en ayant rendu l’exécution acrobatique avec sa part d’improvisation, d’autre part, feindre d’ignorer que lesdites portes avaient été entrouvertes, sinon ouvertes, par nos interlocuteurs mêmes, expérimentés s’il en fut, et certaines depuis belle lurette, mais sans que les seuils en aient été franchis pour autant. A croire qu’il ne suffit pas qu’une porte soit ouverte pour accéder au domaine et qu’il faille encore que le seuil n’en soit pas trop élevé.

 Filons la métaphore, histoire de marquer sa distance avec la science, si « humaine » soit-elle : n’avons-nous pas, jusqu’à récemment encore, occupé la planète comme des squatters, en refermant les portes derrières nous tout en veillant pour celles qui restaient malgré tout ouvertes à en relever le seuil afin d’en limiter le franchissement. Cloisonnements et dénivelés sans doute historiquement nécessaires à l’affermissement de nos identités, mais que les technologies de communication modernes ont rendu vains, pour le meilleur et pour le pire. Au point qu’aujourd’hui il n’y aurait plus de salut que dans l’érection de murs derrière lesquels se réfugier pour échapper à la dilution ou dans des zones à défendre (dernier avatar des zones d’aménagement différé) en marge du contrat social qui nous lie, pour le meilleur et le pire toujours. 

Faudrait-il donc se résigner à renvoyer chacun à sa position statutaire, à sa corporation, à son corps constitué, à sa famille disciplinaire, à sa catégorie ethnique, à sa classe sociale…, en bref à son entre-soi, assigné à un territoire ? Faut-il craindre de transgresser les frontières ? Sans doute est-il souhaitable de laisser les portes ouvertes pour permettre les échanges, tout en maintenant des seuils pour préserver les identités (la platitude n’ayant jamais été un gage d’harmonie).

Ayant, au cours de notre enquête, affronté l’épreuve des cloisonnements disciplinaires et des corporatismes, nous avons pris le parti d’ignorer la spécificité des disciplines et de défier l’esprit de corps des acteurs de la politique urbaine pour privilégier, dusse la rigueur en souffrir, le croisement des regards et l’enchevêtrement des voix entre praticiens et théoriciens, tenants des différentes disciplines, maîtres d’oeuvre et maîtres d’ouvrage, experts et politiques, administratifs et usagers, professionnels et habitants…, laissant les lectrices et les lecteurs seuls juges de la qualité (nous n’osons dire de la « perfection ») de notre « discernement » appliqué à  la « réalité » (la « vérité » étant une autre affaire) urbaine.

C’est donc « sciemment » que nous avons opté pour l’ouverture au risque de sacrifier l’exhaustivité, peut-être aussi la rigueur, mais en sauvegardant l’exactitude (ou du moins en s’efforçant de l’approcher au plus près).

Après les préalables sémantiques et avant d’aborder la question de la forme urbaine, qu’en est-il de la société urbaine à propos de laquelle Thomas Kirszbaum a parlé d’un « impensé de son articulation » ?

Bonne lecture. 

[*] C’est plus de 60 ans après Péguy, en 1975, que Paul Feyerabend s’est attaché a fustiger l’esprit de méthode et à démythifier la science dans son livre intitulé Contre la méthode, sous-titré : Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance.

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Quartiers Nord de Marseille

2. L’impensé de la société urbaine

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XXIII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la politique de la ville en question

Chères lectrices, chers lecteurs

BE CAREFUL ! Cet article sur « La politique de la ville en question » a été rédigé à l’automne 2016 alors que notre enquête de terrain, émaillée de moult incidents, touchait à sa fin. Il ne vous aura pas échappé qu’une élection présidentielle s’est depuis déroulée, après une campagne prodigue en rebondissements et entachée de quelques scandales, dans un tumulte bien politicien reléguant quelque peu aux oubliettes, non la politique de la ville, qui n’a depuis longtemps plus rien à gagner à être mise sur le devant de la scène, mais la politique urbaine, laquelle aurait mérité mieux. Or, la question du devenir de la première n’en est pas moins inscrite en filigrane de la problématique de la seconde. D’autant que certains indices avaient à l’époque déjà attiré l’attention des observateurs avertis sur une évolution, discrète mais néanmoins sensible, relativement au rapport de la politique de la ville avec les politiques urbaines et des territoires en général. Prudents nous nous sommes refusé à jouer les Pythies, non sans subodorer une tendance que les élections ont précipitée, sachant que l’incertitude provenait moins d’une évolution interne au domaine en cause que du résultat des élections dont son sort était tributaire. C’est par conséquent en le resituant dans cette actualité que cet article doit aujourd’hui être lu pour juger du bienfondé de la création d’un ministère de la cohésion des territoires, flanqué d’un secrétariat d’Etat sans portefeuille, en lieu et place d’un ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, doté d’un secrétariat d’Etat chargé spécifiquement de la ville.

Rappelons qu’au terme du décret du 24 mai 2017, le nouveau ministère de la cohésion des territoires « élabore et met en oeuvre la politique du Gouvernement en matière de développement et d’aménagement équilibrés de l’ensemble du territoire national et de solidarité entre les territoires ». C’est à ce titre qu’il a compétence en matière d’urbanisme et de logement. Outre ses attributions dans le domaine du « développement et de la mise en valeur des territoires et espaces ruraux, de montagne et littoraux », il « élabore et met en œuvre la politique du Gouvernement relative à la ville, notamment aux quartiers défavorisés, à l’intégration et à la lutte contre les discriminations ». En conséquence de quoi, « il exerce la tutelle de l’agence nationale pour la rénovation urbaine » et « définit et met en œuvre le programme national de renouvellement urbain ».

La politique de la ville, sur laquelle la campagne électorale avait tiré un voile pudique, n’est pas oubliée mais intégrée dans un vaste ministère chargé, selon les propres termes du décret d’attribution, de veiller « à l’accompagnement des territoires dans leur développement et à la réduction des inégalités territoriales ; il est à ce titre responsable de la politique de lutte contre les inégalités en faveur des quartiers défavorisés des zones urbaines et des territoires ruraux ».

Rééquilibrage opportun alors même que la mondialisation et les excès du libéralisme économique remettent en cause l’égalité des chances promue par l’Etat-providence des Trente Glorieuses. A condition de s’en donner les moyens à la mesure des enjeux, différenciés selon que l’on a affaire à des métropoles, villes moyennes, périphéries urbaines ou au monde rural avec ses bourgs.

Quoi qu’il advienne, on ne pourra plus faire grief aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), territoires défavorisés parmi d’autres, d’être plus particulièrement stigmatisés. En outre, les attributions du ministère gagnent en cohérence par rapport au précédent qui mettait dans un même panier la ville, la jeunesse et les sports comme si la jeunesse était un privilège de la ville et que la culture y était bannie. La « politique de la ville » n’a pas été détrônée par la « politique urbaine », qui n’est pas nommément citée alors que l’urbanisme l’est aux côtés de la planification urbaine, de l’aménagement foncier et de l’habitat. D’autre part, le développement de la « région capitale » ainsi que celui des métropoles sont explicitement mentionnés.   

D’où l’intérêt présenté par la « grande mobilisation nationale pour les habitants des quartiers » lancée, entre autres initiatives touchant les villes et les territoires, par le président de la République les 13 et 14 novembre derniers lors de ses déplacements à Clichy-sous-Bois, Tourcoing et Roubaix.

A suivre, donc. Et en attendant nous soumettons à la sagacité de nos lectrices et lecteurs les interrogations, resituées dans leur contexte, que notre enquête sur la rénovation/renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille a soulevées. Et ce, avant de conclure, à partir de la semaine prochaine, sur les enseignements que nos interlocuteurs, acteurs et habitants des quartiers (une centaine d’entretiens), ont tiré de leurs expériences et de leur vécu.

Bonne lecture.

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Hôtel de Castries
Siège du ministère de la cohésion des territoires
72 rue de Varennes
Paris VIIe

Photo Mbzt / Wikimedia Commons

5. La politique de la ville en question

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XXIV – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : les évolutions parallèle du droit et de la littérature de l’urbanisme

Chères lectrices, chers lecteurs

Dans notre chronique introductive du 21 janvier dernier nous nous en prenions à cet « entre-soi » – parmi d’autres – qu’aiment à cultiver les intellectuels. Ce qui pose le problème de leur rôle dans la société contemporaine ; intellectuels alternativement qualifiés, de Gramsci à Foucault en passant par Sartre : d’organiques, de collectifs, d’engagés, de spécifiques…, toutes qualifications qui se recoupent peu ou prou.

A en croire les éditorialistes, toutes tendances confondues, après une éclipse relative les intellectuels seraient de retour sur la scène politique à la faveur du big-bang qu’a constitué la victoire de Macron à la présidentielle. Et ce n’est évidemment pas par hasard si ce retour, en force ou pas, intervient sur fond idéologique d’effacement du clivage gauche-droite. Comme si le vide politique ainsi créé était investi par ce « parti intellectuel », jadis raillé par Péguy. Au clivage politique se substituerait désormais un clivage par l’intelligence. Pour combien de temps et au profit de qui ? c’est toute la question. 

Le propos est bien évidemment outrancier, les intellectuels n’ayant pas plus le monopole de l’intelligence et de la critique, que les politiques celui de l’action, les experts celui de la clairvoyance et les usagers celui de la contestation, mais il n’en reflète pas moins une opinion diffuse dont les médias se font l’écho, inquiètes à la perspective de voir ces intellectuels détrôner le quatrième pouvoir qui, en réaction, cherche à les récupérer à son profit. On aurait presque l’impression d’un jeu de pouvoirs communicants dans les deux sens du terme : le pouvoir politique se renforçant au détriment du pouvoir des médias, à l’encontre desquels on entretiendrait le soupçon dont profiteraient les intellectuels, trop heureux de l’occasion qui leur est ainsi donné de monter sur le devant de la scène. Sauf que leur marge de manoeuvre entre engagement politique et critique sociale est étroite, pour ne pas dire périlleuse.

Dans une tribune du Monde des 4 et 5 février dernier, Agathe Cagé, présidente de l’agence de conseil Compas Label déplore que depuis des lustres tant de propositions d’intellectuels soient restées lettres mortes. La politique de la ville a 40 ans si on prend comme point de départ le lancement des opérations Habitat et Vie Sociale (HVS) ; 35 ans depuis la création de la  Commission nationale pour le développement social des quartiers ; 30 ans si on compte à partir des créations concomitantes du Conseil national des villes (CNV) ainsi que du Comité et de la Délégation interministériels à la ville et au développement social urbain (CIV et DIV) ; 27 ans à compter de la première nomination d’un ministre (d’Etat) chargé en propre de la politique de la ville. D’aucuns, à défaut de pouvoir plaider en sa faveur sous l’angle de l’efficacité, l’ont justifiée a minima en laissant entendre – tout en passant pudiquement sur les émeutes de 2005 – que sans elle le pire serait advenu. Ce n’est pourtant pas faute de mises en garde et de conseils prodigués par les chercheurs et universitaires qui se sont penché au chevet de la ville malade de ses banlieues et de ces dernières laissées pour compte par leurs villes-centres. Les remèdes suggérés par maints experts, confortés par les praticiens jamais avares de contre-propositions, se seraient-ils montrés défaillants, n’auraient-ils pas été administrés à bon escient ou n’auraient-ils plus simplement pas du tout été appliqués ? Trente ou quarante ans de politique de la ville qui a vu s’accumuler les rapports, se complexifier le millefeuille des zonages, s’empiler les strates du rapetassage d’un patrimoine malmené. Le temps de la politique de la ville perdure alors qu’une politique urbaine intégrée peine à prendre le relais.

« La grande mobilisation nationale en faveur des habitants des quartiers » lancée par le ministère de la cohésion des territoires et mise en oeuvre par le si bien nommé Commissariat Général à l’Egalité des Territoires permettra-t-elle auxdits intellectuels de se faire enfin entendre dans le concert des voix critiques, dont celle des praticiens et usagers de la ville ? 

C’est, bien éloignés du monde des intellectuels et en retrait de cette mobilisation, que nous estimons très modestement apporter notre contribution en restituant au travers de ce rapport d’enquête sur les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère et les quartiers Nord de Marseille la parole des acteurs et des habitants impliqués dans le renouvellement urbain.

Nous abordons donc aujourd’hui le premier volet de notre conclusion placée « sous le signe du lien » consacré à un regard rétrospectif sur le chemin parcouru depuis la mise en oeuvre de la loi d’orientation foncière de 1967 mis en parallèle avec l’évolution de la littérature sur la ville. Car si chercheurs et essayistes partagent quelque peu le sentiment de parler dans le vide, ce n’est pas, comme on l’avance souvent, parce que leurs analyses et le fond de leur pensée ne serait pas en phase avec l’air du temps, mais bien plutôt faute d’être entendus, sinon écoutés. Et avec le recul, le décalage n’en apparait que plus instructif entre ce que dictent les évènements et les réponses apportées par la législation et la règlementation d’une part, la pensée critique d’autre part.

Bonne lecture.

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   A.   Conclusion et ouverture « sous le signe du lien » [*]

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Littérature de l’urbanisme
Du « tribu foncier urbain » à la « ville des flux »

Il n’y a pas d’idée, si ancienne et absurde soit-elle, qui ne soit capable de faire progresser notre connaissance. […] Les interventions politiques ne sont pas non plus à rejeter. On peut en avoir besoin pour vaincre le chauvinisme de la science qui résiste à tout changement du statut quo.
Paul Feyerabend[1]

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XXVI – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : un partenariat public-privé élargi

Chères lectrices, chers lecteurs

Un regard rétrospectif sur les politiques urbaines de la seconde moitié du XXe siècle nous aura, espérons-le, permis de saisir l’importance des évolutions et leurs limites, puisque, selon  Tancrède, le neveu du Guépard, pour « que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ».

Au terme de notre parcours prenant à témoin les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère et les quartiers Nord de Marseille, un bref rappel s’impose. C’est en juin 1964 que le Comité interministériel pour l’aménagement du territoire, encore sous l’influence de « Paris et le désert français » de J.-F. Gravier, instituait huit métropoles d’équilibre bientôt rejointes par cinq nouvelles. Quarante-six ans plus tard, par une loi du 16 décembre 2010, dite de « réforme des collectivités territoriales », était, entre autres dispositions, créé un nouveau statut de métropole en vue de renforcer les territoires ; les grandes agglomérations de l’hexagone étant censées être le moteur de leur croissance et de leur attractivité.  A la faveur de la victoire de la gauche aux présidentielles de 2012, était votée la loi de Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014 refondant les dispositions de la loi de 2010. Dans la foulée, la loi portant Nouvelle organisation territoriale de la République du 7 août 2015 (NOTRe) visait, conjointement à la réduction du nombre des régions métropolitaines, à  clarifier les compétences des collectivités territoriales. Au 1er janvier 2018, l’hexagone compte, au titre de ces lois, 21 métropoles, dont 3 à statut particulier : le Grand Paris ainsi que les métropoles d’Aix-Marseille-Provence et de Lyon (Grand Lyon).

Entre 1964, date de constitution des métropoles d’équilibre, et 2010, date de création du statut des nouvelles métropoles, d’une part la loi Boscher est intervenue le 10 juillet 1970 pour faciliter la création d’agglomérations nouvelles destinées, en réaction à la politique des grands ensembles, à absorber la croissance démographique de la capitale et des métropoles tout en desserrant leur tissu urbain ; d’autre part le retournement de la conjoncture allait précipiter une réorientation de la politique d’aménagement du territoire, initiée par le VIe plan (1971-1975), en faveur des villes moyennes, trait d’union entre grandes et petites villes, entre métropoles et monde rural (cf. les contrats de villes moyennes). Cinq décennies plus tard, en décembre 2017, le gouvernement annonçait un nouveau plan doté de 5 milliards sur 5 ans destiné à soutenir le développement des villes moyennes et à revitaliser leurs centres.

Voilà pour la politique urbaine, à laquelle est venue se superposer dans les années 70 la politique de la ville avec le lancement des procédures Habitat et Vie sociale (HVS). Outre la loi d’Orientation du 13 juillet 1991 consacrant le droit à la ville, rappelons que le 13 décembre 2000 était promulguée la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement urbain et le 1er août 2003 la loi d’Orientation et de Programmation pour la Rénovation urbaine (cadre d’opérations de « construction-démolition ») évoquant les procédures du même nom, objet d’un décret du 31 décembre 1958 (opérations dites « bulldozer »). Mais, le 14 février 2014 était promulguée la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion urbaine revenant à la notion de « renouvellement urbain ». Et, le 14 novembre dernier, le président de la République en visite dans le Nord annonçait le retour de J.-L. Borloo, auteur de la loi de 2003, chargé de l’élaboration d’un nouveau plan en faveur des quartiers en difficulté.

« Eternel retour », peut-être, mais sûrement pas « du même », tant les conjonctures sont différentes et les contextes nouveaux. Allers-retours sémantiques, révélateurs d’errements méthodologiques à l’origine d’impasses et de dérives ayant brusqué une évolution faisant passer à l’arrière plan les politiques urbaines, supplantées par des politiques de la ville appelées à en corriger les défaillances. D’où, entre autres mesures à caractère social, les investissements, publics et privés, destinés à pallier les écarts de développement entre territoires (objet du présent article) justifiant le remplacement du ministère en charge de la ville par un ministère de la cohésion des territoires.

Bonne lecture.

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Siège de la Caisse des Dépôts et Consignations
Quai Anatole France – Paris 7e

Photo Metalheart/Wikimedia Commons

 

3.  Un partenariat public privé élargi : plus d’investissement privé dans les quartiers prioritaires politique de la ville, plus d’Etat en dehors

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TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN – Postface : marginalité et terrorisme

Chères lectrices, chers lecteurs

Ce projet d’étude a été déposé auprès de l’Institut CDC pour la Recherche à l’automne 2011 et n’a vraiment pu démarrer pour des raisons administratives et financières qu’en 2013. Les difficultés rencontrées lors de son déroulement et le décrochage en cours de route de l’IUAR d’Aix-en-Provence sollicité pour nous appuyer méthodologiquement ont fait qu’il n’a pu être terminé que fin 2016. C’est dire que nous avons été vite rattrapés par l’actualité mais que, prisonnier de notre cadre de recherche, le phénomène djihadiste ainsi que l’écho des attentats meurtriers de 2015 et 2016 en banlieue, n’ont pu être abordés qu’à la marge et d’une manière superficielle, et ce malgré notre volonté d’adapter la démarche initiale et notre souhait de coller au plus près du présent comme du réel. Pourtant, sachant bien qu’il n’y avait aucun lien de filiation directe avec la condition urbaine, les événements douloureux que nous avons connu à partir de 2015, même non évoqués, restaient présents à l’arrière plan de nos entretiens, et la question qui hantait nos interlocuteurs était de savoir pourquoi les drames vécus étaient différemment perçus ici ou là et pourquoi des jeunes, en particulier, se montraient si sensibles à l’idéologie mortifère véhiculée par certains groupes ou leaders religieux.

La récente actualité – les attaques terroristes de Carcassonne et Trèbes – est malheureusement venue nous rappeler que le monstre – Léviathan qui sème la terreur, au contraire de celui de Hobbes, garant de la paix civile – restait tapi dans son antre, abruti de bêtise, nourri de haine, de frustration et de violence refoulée. Par qui et pourquoi ? Comment a-t-on pu se laisser surprendre, après tant de « rage » accumulée, par l’explosion de fureur apocalyptique qui s’en est suivi, alors que les signes avant-coureurs de la crise des valeurs, ébranlées par les coups de boutoirs des migrations, étaient ignorés. Vaincu sur son terrain moyen-oriental, l’EI séduit toujours, son idéologie se repaissant de l’exécration de la civilisation occidentale surprise en déficit de sens et prise en défaut d’intégration.

Raison suffisante pour revenir sur le sujet et chercher un éclairage chez les auteurs, chercheurs et penseurs de tous horizons, qui se sont penché sur les maux dont notre société ne saurait s’absoudre en en rejetant systématiquement sur les autres, la banlieue ou l’étranger, la cause et la responsabilité. Et raison nécessaire de ne pas lâcher prise, pour se donner les moyens, au-delà du traitement symptomatique, d’enrayer les dérives délétères qui minent notre vivre-ensemble, sans surestimer, ni, inversement, sous-estimer, les effets de lieu.

Bonne lecture.

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La Duchère – Château d’eau, oeuvre de François- Régis Cottin, architecte, et de Nicolas Esquillan, ingénieur Il n’y a pas de causes si modeste soit-elle qui ne mérite un monument

Retour sur une enquête miroir de nos errements

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POST-BLOG 2 : La ville et ses déchets

Chères lectrices, chers lecteurs

J’avais annoncé la clôture de ce blog consacré à la littérature de la ville. Quelques-uns d’entre vous m’ayant demandé d’en prolonger la publication, qu’on ne peut normalement plus visualiser après avoir laissé deux mois sans publier, j’ai repris, quitte à les refondre ou les actualiser, quelques comptes rendus d’ouvrages ou chroniques parus durant ces trois dernières années.  

Bonne lecture.

landfill-879437_640Photo PIXABAY

POST-BLOG 2

Dans l’«Histoire de la merde » que nous conte Dominique Laporte, la ville a toute sa part : si la campagne nourrit la ville, celle-ci en contrepartie produit du déchet, à charge pour le citadin de le recycler… sur le modèle de la nature.

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