LES 4000 DE LA COURNEUVE : La promotion de la culture (3)

Chères lectrices, chers lecteurs,

Nous poursuivons aujourd’hui la relation de notre enquête sur ce que peut la culture pour le renouvellement urbain des quartiers en politique de la ville à travers l’exemple de La Courneuve, ville par ailleurs retenue pour l’implantation d’une des gares du Grand Paris Express conçues pour être autant de jalons culturels imaginés par un tandem constitué d’un architecte et d’un artiste. Sachant qu’écrire « ce que peut la culture » c’est conférer toute son importance à la création et à l’animation culturelles pour la vie des quartiers, mais c’est aussi en montrer les limites pour mettre l’accent sur les dimensions multiples qui font qu’une ville est ville.

Après avoir relaté l’action d’une association, puis d’un centre culturel, scène conventionnée, nous abordons aujourd’hui la question de l’appropriation des opérations de rénovation par les habitants à travers l’animation culturelle avec le concours d’une SEM d’aménagement. Ce, avant de chercher, à partir de la semaine prochaine, à tirer un bilan général de l’action culturelle, de ses promesses resituées dans leur contexte, celui de « quartiers » en marge mais appelés à s’ouvrir sur le Grand Paris.

L’enquête a été réalisée entre 2014 et 2016. Avec l’émergence d’un nouveau quartier autour de la gare du GPE au carrefour des Six-Routes, La Courneuve s’offre une nouvelle dimension urbaine dans laquelle la culture est appelée à prendre toute sa place conformément à la vocation de « Territoire de la culture et de la création » dévolue à Plaine Commune par le Contrat de Développement Territorial signé en janvier 2014.

Bonne lecture.

Au croisement des 4000 Sud et Nord et du centre-ville

III. Artistes en résidence, en avant-garde des opérations de rénovation urbaine et en appui à la démarche de coconstruction des projets

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LA VILLE COMME « EXPERIENCE INTERIEURE »

Composition X de Vassily Kandisky
Entre conscience et cosmos : la ville
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La ville comme « expérience intérieure »

Sans chercher à s’extraire de son environnement, même la ville, métaphore de l’être social, gagnerait à une plongée dans L’expérience intérieure [*]. Ainsi nous interpelle Georges Bataille :

« L’être particulier, perdu dans la multitude, délègue à ceux qui en occupent le centre, le souci d’assumer la totalité de l’ “être”. […] Cette gravitation naturelle des êtres a pour effet l’existence d’ensembles sociaux relativement stables. En principe, le centre de gravitation est dans une ville ; dans les conditions anciennes, une ville, comme une corolle enfermant un pistil double, se forme autour d’un souverain et d’un dieu. Si plusieurs villes se composent et renoncent à leur rôle de centre au profit d’une seule, un empire s’ordonne autour d’une ville entre autres, où la souveraineté et les dieux se concentrent : dans ce cas, la gravitation autour de la ville souveraine appauvrit l’existence des villes périphériques, au sein desquelles les organes qui formaient la totalité de l’être ont disparu ou dépérissent. De degré en degré, les compositions d’ensembles (de villes, puis d’empires) accèdent à l’universalité (tendent vers elle tout au moins). »

Il n’est pas de meilleure expression du défi auquel est confronté le gouvernement à la veille (ou l’avant-veille) de l’annonce d’un énième plan pour les banlieues cautionné par un revenant.

Comment les banlieues peuvent-elles tirer profit du dynamisme des centres-villes pour conforter leurs particularismes et valoriser leurs ressources propres ?

Comment les villes moyennes et petites peuvent-elles encore jouer leur rôle dans l’aménagement du territoire sans être affaiblies, voire écrasées, par le développement des métropoles régionales ?

Last but not least, la capitale peut-elle continuer à accroitre son pouvoir d’attraction sur les nantis sans rejeter les démunis, et à s’enrichir sans en faire bénéficier la province ?

Si la théorie du ruissellement n’a jamais été validée en économie, l’aménagement du territoire lui offre une bonne occasion de faire ses preuves à nouveaux frais et de prendre une revanche sur ses détracteurs ; juste retour de ce que la métropolisation doit à la ruralité et à l’urbanité, dont elle n’a cessé de se nourrir.

C’est un combat, « père de toutes choses » et « dernier mot de notre raison » selon Ernst Jünger [**], un combat – politique – en faveur de la solidarité pour contrer l’esprit de compétition ; pas simplement pour la survie, mais pour le plein épanouissement de l’être, dans son universalité autant que dans ses particularités.

________________________

[*] © pour l’édition originale : 1943. Texte revu en 1954.

[**] Le Combat comme expérience intérieure, écrit en 1921. La première citation est reprise d’Héraclite (Fragment B 53).

II – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN: Préambule

Chères lectrices, chers lecteurs

Si, alléchés par le résumé de l’étude-témoignage du renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille posté le 10 septembre dernier, ou, plus sérieusement, attiré par intérêt intellectuel ou professionnel, vous ne craignez pas de vous lancer dans la lecture de ce feuilleton, nous vous invitons, en préalable, à prendre aujourd’hui connaissance des motivations de ses auteurs (une équipe de cinq retraités prématurément amputée d’un de ses membres pour raison de santé) et de l’esprit – à défaut de méthode rigoureuse – qui ont présidé à la réalisation d’une aventure émaillée d’imprévus et de quelques contrariétés.

Sachant que la semaine prochaine, nous rentrerons de plain-pied dans notre sujet par l’inscription des sites étudiés dans leur contexte géographique et historique.

Bonne lecture

Les 4000 de La Courneuve : quartier de La Tour

 

Marseille : quartiers Nord – Secteur du Merlan
La Duchère : place Abbé Pierre

A la mémoire de Marcel Hénaff, qui a si bien su relier, avec autant de sobriété que de pénétration, dans son ouvrage, La ville qui vient (Editions de L’Herne, 2008), joyau de la littérature de l’urbanité, l’avenir pressenti des villes à leur fondement anthropologique, indissociable de leur fondation matérielle. La ville qui vient, source d’inspiration de ce qui fut au coeur de cette enquête.

Préambule : état des lieux, objectif, démarche

« Il ne s’agit plus seulement de livrer des logements en plus grand nombre possible. Il s’agit de faire naître des quartiers nouveaux composés avec tous les équipements publics et les activités commerciales, artisanales ou industrielles nécessaires pour qu’ils aient eux-mêmes une vie collective propre tout en s’intégrant dans un ensemble urbain ou régional plus vaste.»  

Pierre Sudreau, ministre de la construction de 1958 à 1962

Selon une enquête conduite par Paul Clerc dans 53 grands ensembles d’agglomérations d’au moins 30 000 habitants en 1965, 88% des habitants d’immeubles collectifs se déclaraient satisfaits de leur logement… comparé à celui occupé précédemment.

« En quoi le passé, ses réussites comme ses erreurs, peut aider pour éclairer les actions à venir ? »  

Jacques Jullien, ancien directeur régional de la SCET

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VII – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : des objectifs en partie partagés (3. les quartiers Nord de Marseille)

Chères lectrices, chers lecteurs

Nous poursuivons cette semaine notre compte rendu d’enquête dont nous avons publié un résumé le 10 septembre dernier.

C’est parce que la politique urbaine des années 50-60 n’a pas su prendre en compte dans sa complexité la société urbaine qu’on lui a appliqué l’emplâtre de la politique de la ville à partir des années 80. C’est parce que la politique de la ville a échoué à résorber les écarts de développement, à réduire les inégalités économiques, à promouvoir une culture commune à même de neutraliser les extrémismes religieux qu’on s’est résolu à recourir à une politique de « peuplement » poursuivant un objectif d’équilibre sociodémographique territorial dont l’enjeu est, au minimum, d’éviter que la concentration dans l’espace des handicaps sociaux et situations de précarité ne constitue un facteur aggravant, ne favorise la délinquance ou ne dégénère en manifestations de violence.

A l’heure où la politique de la ville est, sinon remise en question, intégrée dans un nouveau ministère de la cohésion des territoires et par ce fait même menacée de dilution, le moment est venu de se pencher sur son bilan. Ce que nous avons tenté, très concrètement, à travers l’étude de ces trois sites emblématiques en posant comme hypothèse que la fracture urbaine doublée d’une fracture sociale dont souffre les grands ensembles pourrait bien refléter une fracture plus générale de civilisation dont ces grands ensembles ne seraient l’avant-garde. D’où l’urgence de conjurer les risques de propagation des fêlures du corps social qu’ils préfigureraient par la mobilisation des énergies mises en oeuvre dans une rénovation urbaine dont la pertinence est parfois mise en cause, mais non la nécessité. Le grand ensemble comme métaphore d’un entre-deux monde dont la diversité ouvre sur des potentialités ambivalentes qu’il importe de savoir regarder en face lucidement avant tout engagement, aussi gros de risques que d’espoirs !

Après avoir resitué dans leur environnement et l’histoire de leur développement nos trois sites, et exposé les objectifs de la rénovation des Quatre mille et de La Duchère, nous poursuivons en présentant ceux des quartiers Nord de Marseille à travers Saint-Barthélemy et Malpassé.

Bonne lecture.

X
Quartier du Canet (XIVe arrondissement)
Station Alexandre : ancienne gare de triage reconvertie après rénovation en centre d’affaires dans le cadre d’une ZFU

c.  Les quartiers Nord de Marseille : la recomposition urbaine et la paix sociale

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XI – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : rénovation urbaine et renouveau social confrontés à la métropolisation

Chères lectrices, chers lecteurs

Après plus de six mois, le président de la République sort de son silence sur ce qu’il est convenu d’appeler « les quartiers » au risque de paraitre, tel Janus, comme ayant alternativement – et non « en même temps » – une double face : celle d’un président des riches et celle d’un président des défavorisés « assignés en résidence » dans ces quartiers relégués à la périphérie des villes, qui, parfois, n’osent même plus dire leur nom.

En appelant à la « mobilisation générale » de « toute la nation » selon un « plan de bataille » engageant « tout le gouvernement » en faveur de « l’émancipation » et du « retour du droit commun » dans lesdits quartiers, l’ambition n’en est pas moins généreuse, mais pose une série d’interrogations :

1) Dans quelle mesure s’inscrit-on toujours dans la loi de Programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 qui avait engagé un rééquilibrage entre rénovation urbaine et action sociale ?

2) Que signifie, dans ce cadre, le retour de l’ex-ministre de la ville J.-L. Borloo, partisan de la thérapie de choc en matière de rénovation ?

3) Que devient dans cette perspective la réorientation de la politique de peuplement engagée par le gouvernement Valls suite aux attentats de 2015 ?

4) Comment mettre les gens en situation de mobilité sans qu’ils perdent pour autant leurs repères, indissociables de la structuration des identités ?

5) Ce que l’on appelle, peut-être improprement, « radicalisation » ne serait-il pas,  plutôt que la conséquence de la « démission de la République », le symptôme de la perte de sens de la vie en société, qui doit amener les institutions à se remettre en cause pour donner du contenu à la laïcité, compatible avec la liberté de conscience inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme ?

6) Au-delà d’une série de mesures concrètes à court terme, bienvenues, qu’en est-il fondamentalement du « changement de méthode » annoncé ?

« Je veux que le visage de nos quartiers aient changé à la fin du quinquennat, a dit le président de la République, non pas parce qu’on aura atteint du chiffre mais parce qu’on aura réussi la rénovation morale. Le défi de civilisation se joue dans les quartiers. Je ne veux pas tant proposer des outils et des mesures que construire ensemble pour donner aux villes des résultats. C’est une fierté. Les habitants de la ville doivent être considérés comme des habitants de la République, des citoyens à part entière. »

On ne peut qu’approuver l’exigence d’une évaluation fondée sur des éléments qualitatifs, affranchie de la dictature des chiffres ; ce qui pose une ultime question : celle de l’ « articulation de l’urbain et du social » dans une politique de rénovation visant délibérément l’intégration dans la ville et la réduction des fractures sociales, sans tabou ; ce qui n’ira pas  sans un infléchissement, voire un renversement, des approches esquissé par le président le 14 novembre dernier à Tourcoing, non plus sans que soit revue la part des dotations affectées au social par rapport à celles qui le sont à l’urbain, sachant que l’accompagnement social de la rénovation urbaine sera d’autant moins requis et plus efficace que celle-ci se sera pliée aux besoins et aspirations de la société locale, émancipée (inversion des priorités : la société urbaine d’abord).

Répondre à cette ultime question, c’est aussi répondre aux préoccupations des acteurs de la politique de la ville des trois sites de rénovation/renouvellement urbain, objet de notre enquête : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille, dont nous poursuivons aujourd’hui l’exposé synthétique, avant de se risquer à interpréter – avec une part de subjectivité inévitable – les propos recueillis auprès d’une centaine d’acteurs, habitants compris.

Bonne lecture.

***

5.  A la charnière de la rénovation urbaine et du renouveau social

Pour Christian Devillers, l’architecte-urbaniste de Malpassé dans les quartiers nord de Marseille, l’articulation de l’urbain avec le social se joue dans l’accompagnement du relogement qui précède les démolitions. Lesquelles peuvent être motivées par des considérations tenant à l’état des bâtiments et des logements, urbanistiques ou sociales. Selon les situations, mais aussi les idéologies, les positions varient, accordant plus ou moins de poids à l’un ou l’autre de ces motifs.

La Courneuve
Secteur Nord des 4000
A l’arrière fond, la barre Robespierre destinée à la démolition

a)   Le traumatisme des démolitions

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XV – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : de l’espace public à l’espace commun

Chères lectrices, chers lecteurs

Cette synthèse sur le renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de La Duchère à Lyon et des quartiers de Saint-Barthélemy et Malpassé à Marseille, sites emblématiques de la politique de la ville, a été rédigée en 2015-2016. Mais le projet d’étude avait été déposé auprès de l’Institut CDC pour la Recherche et la problématique soulevée dès l’automne 2011. Depuis, un nouveau président de la République a été élu chamboulant l’échiquier politique et brouillant les cartes du jeu ; le « En même temps » est devenu un leitmotiv du discours présidentiel.

Aussi, pour prendre la mesure du saut qualitatif qu’a représenté cette nouvelle présidence, est-ce à la lumière du présent qu’il faut lire aujourd’hui cette synthèse ; laquelle, partant du constat de l’alternance de politiques de la ville (au pluriel) depuis 40 ans, posant en conséquence le diagnostic de leur impuissance à sortir de l’impasse où les déviations du Mouvement moderne avaient, après-guerre, précipité les politiques urbaines, suggère de réarticuler les stratégies touchant à l’urbanisme, à l’action sociale, à l’économie, à l’éducation et à la culture, ainsi qu’à l’environnement, dans une politique urbaine intégrée. Du moins sont-ce les enseignements tirés d’une centaine d’entretiens avec des acteurs et habitants rencontrés.

L’avenir dira si les promesses du « En même temps » seront tenues par le nouveau ministère de la cohésion des territoires, dont la dénomination aurait pu annoncer un abandon de la politique de la ville si, dans son discours de Tourcoing du 14 novembre dernier, le président de la République n’avait manifesté l’intention de la relancer. Et cela, alors même qu' »en même temps » son gouvernement projetait de ponctionner à hauteur de 1,5 milliards d’€ les organismes HLM (ponction dite réduction de loyer de solidarité) pour compenser la baisse des APL !

En tout état de cause, « une » politique de la ville refondée dans une politique urbaine intégrant les dimensions sociale, économique, culturelle… est la condition d’une sortie honorable des impasses dans lesquelles « les » précédentes politiques de la ville se sont fourvoyées. Condition pour que la politique appliquée à la rénovation des grands ensembles ou au renouvellement urbain en général ne se réduise pas au traitement des symptômes – comme la politique de peuplement – mais s’attaque aux problèmes de fond que pose l’articulation de l’aménagement et de l’équipement des territoires à la composition et aux caractéristiques de leur population.

Etant entendu, qu’il y faudra plus qu’un simple « accompagnement social » des opérations de rénovation, mais bien, toutes les tentatives de fonder le social sur l’économie ayant échoué, procéder à sa réinsertion dans l’économie à une échelle élargie (urbaine et rurale, donc nationale) qui permette les péréquations.

Sans doute est-ce là dessus que Macron et son gouvernement sont attendus par tous ceux qui ont pâti des politiques précédentes.

***

Mais si la condition sociale est dépendante du développement économique, la qualification des espaces urbains n’est pas sans avoir un impact sur les pratiques sociales. Et si le paysage contribue à cette qualification, c’est toujours en fonction du statut qui est conféré à ces espaces.

Avec la distinction des espaces privés, publics et communs, nous clôturons aujourd’hui le chapitre consacré à l’articulation « disciplinaire » des dimensions urbaines. Et ce, avant d’aborder la semaine prochaine la question de la « gouvernance », notion d’autant plus contestée qu’elle s’est vulgarisée.

Bonne lecture.

La Duchère : l’esplanade « Compas-Raison »                   Aménagement sculptural de Serge Boyer

d)  De l’espace public à l’espace commun

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XVIII – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : essai de typologie et limites d’une comparaison

Chères lectrices, chers lecteurs

Suite à l’agression dont ont été victimes, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, deux policiers à Champigny-sur-Marne, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur a déclaré au micro d’Europe 1 : « Lorsque l’on voit ces grandes barres on se dit qu’il y a un aspect inhumain qui ne peut générer que de la violence ». Comme s’il suffisait de raser des tours et barres, souvent qualifiées de criminogènes, pour résoudre les problèmes humains que posent ces quartiers ! C’est trop d’honneur fait au béton, trop peu consenti à la chair de l’urbain.

Un peut court, Monsieur le ministre, surtout quand, en tant que maire de l’arrondissement de La Duchère, le IXe, on a contribué en profondeur au renouvellement urbain de ce quartier qui partait à vau-l’eau :  « La Duchère, je lui ai consacré une grande partie de ma vie. Ce quartier est au fond de mon coeur. J’y ai construit mon schéma politique », déclariez-vous en juin 2016 lors d’une émission de Franc 3 Rhône-Alpes. Vous n’avez-certes pas lésiné sur les démolitions au début, mais la résistance des habitants a eu raison de votre volontarisme. Vous avez en fin de compte subordonné la table rase à un objectif supérieur : celui d’un équilibre démographique plus conforme à l’esprit de renouvellement urbain qui avait inspiré la loi SRU de l’an 2000 avec lequel renouera la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014.

On eut apprécié entendre, à cette occasion, Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, pour rappeler que l’ « urbain » ne saurait se laisser enfermer dans des formes géométriques qu’il déborde, tant il s’impose par son épaisseur sociale et culturelle. Mais depuis sa prise de fonction, monsieur Mézard, en charge de la cohésion des territoires, reste obstinément silencieux, tout comme Emmanuel Macron jusqu’à sa déclaration de Tourcoing le 14 novembre dernier. Comment interpréter ces pages blanches de l’agenda du pouvoir, par ailleurs atteint d’une frénésie de réformes ? Cela, alors même que la « marche » du président de la République est, de son propre aveu – doublement atténué par le recours à la prétérition et l’emploi de la double négation [*] – quelque peu boiteuse, appuyant, jusqu’à présent, plus souvent sur la jambe droite que sur la gauche.

Nous sommes d’autant plus conforté pour poursuivre la publication des résultats de notre enquête portant sur le renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de La Duchère et des quartiers Nord de Marseille. Après exposé du diagnostic sous toutes ses dimensions, nous abordons aujourd’hui le bilan que l’on peut dresser de 15 ans d’application de la loi Borloo ; bilan qui nous permet de mettre en exergue trois grandes tendances d’évolution, lesquelles, pour n’être pas représentatives de la diversité des quartiers prioritaires, ne nous apparaissent pas moins exemplaires des stratégies politique de la ville localement mises en oeuvre. 

Ceci avant de récapituler, dans les semaines qui viennent, les orientations dégagées des entretiens menés auprès des habitants des quartiers et des acteurs de leur rénovation. Avec à l’arrière plan une question lancinante : comment relier ce que le progrès mal maîtrisé des sciences et techniques de l’urbain a délié, pour refonder la ville ? Et de se demander si les solutions aux maux de civilisation ne seraient pas susceptibles d’émerger de la rénovation en cours des grands ensembles, en tant qu’ils accusent, plus qu’ils ne reflètent, les fractures de la société dans son ensemble.

Les grands ensembles de banlieues ou de périphéries de centre-ville comme laboratoire social ou terres d’expérimentation des réformes à venir ?

[*] Propos rapportés par Le Monde du 4 janvier à l’issue du séminaire du 3 de ce mois : « Je ne vais pas vous dire que je ne me suis jamais senti boiter. »

 

Quartiers Nord de Marseille

4. Essai de typologie, limites d’une comparaison

Pour récapituler, la périodisation permettant de rendre compte de l’histoire des trois sites analysés est applicable aux grands ensembles en général. Cinq grandes périodes peuvent être distinguées, dont une dizaine d’années de construction, suivies d‘une décennie de mouvements sociaux urbains, avant que ne commence une longue période d’une quarantaine d’années, ponctuées d’explosions urbaines, vouées à la rénovation ; cinquante ans en y ajoutant le nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (PRU 2). Les dernières années écoulées depuis la promulgation de la dernière loi de programmation pour la ville en 2014 étant marquées par une accélération des réformes sous la pression des évènements :

  • fin des années 50-années 60: faisant suite à la période de reconstruction d’après-guerre, réalisation des « grands ensembles » ;
  • années 70: période de luttes urbaines (contre les hausses de charges, le défaut d’entretien, une gestion défectueuse, l’absence de prise en considération des besoins…), qui fut aussi celle des opérations Habitat et Vie Sociale (HVS) préludant au lancement d’une politique de la ville ;
  • années 1980-2000: expérimentation, après les émeutes des Minguettes dans la banlieue de Lyon, de politiques de la ville oscillant entre le quartier, la ville ou l’agglomération, d’une part, entre la réhabilitation ou rénovation urbaine et le traitement des problèmes sociaux d’autre part, à travers successivement les opérations Développement Social des Quartiers (DSQ), Développement Social Urbain (DSU), Grands Projets Urbains et Opérations de Rénovation Urbaine (GPU et ORU), Grands Projets de Ville (GPV)  – sachant que le ministère de la ville est créé à mi-parcours, en 1990, après le soulèvement de Vaulx-en-Velin, à nouveau en région lyonnaise ;
  • années 2003-2013: mise en œuvre du programme de rénovation urbaine de la loi d’orientation et de programmation pour la ville du 1er août 2003, dite loi Borloo ;
  • années 2014 : lancement d’une nouvelle génération de programme pour la ville, celui de la loi Lamy renouant avec le renouvellement urbain, non sans que trois Comités Interministériels à l’Egalité et à la Citoyenneté tirent en 2015 et 2016 les conséquences de deux années de terrorisme en mettant en avant les préoccupations de peuplementet que soient approuvés les protocoles de préfiguration d’un deuxième Programme National, désormais baptisé de Renouvellement Urbain.

Les moyens mis en œuvre par la politique de la ville ont, ainsi, oscillé au rythme de la variation de ses objectifs depuis plus de trente ans. En suivant sur le moyen terme les stratégies adoptées par les villes sur lesquelles nous avons enquêté on a pu observer une plus grande constance qui tient aussi au fait que dans les trois cas les équipes municipales ont été reconduites à plusieurs reprises. La comparaison entre les sites analysés n’en serait que plus aisée si elle ne s’avérait pas risquée pour la  raison qu’il n’est pas de stratégie pure et que si les documents de planification ou programmes d’action expriment des positions fermes sur les principes, les situations locales appellent des infléchissements qui se traduisent sur le terrain par des résultats la plupart du temps imprévisibles.

Des trois exemples analysés on peut néanmoins dégager des enjeux, des objectifs et des moyens mis en œuvre pour les atteindre quelques dominantes, parmi les points forts du renouvellement urbain,  qui ne préjugent malgré tout en rien de l’avenir, à savoir :

  • Pour Les Quatre-mille de La Courneuve, un enjeu de promotion sociale en facilitant les parcours résidentiels : objectif social prioritaire;
  • Pour les quartiers Nord de Marseille, un enjeu d’intégration urbaine par le désenclavement des quartiers et l’amélioration de la relation au centre-ville : objectif urbain prioritaire;
  • Pour La Duchère à Lyon, un enjeu de désenclavement et de mixité social à atteindre par la diversité de l’habitat : objectif social-urbain.

Mais si, schématiquement, on peut avancer qu’en ce qui concerne les quartiers Nord de Marseille le social est subordonné à l’urbain, c’est en prenant en considération l’avancement moindre du projet (en partie du fait de la mise en œuvre tardive de la loi Borloo) qui, du point de vue de ses promoteurs mêmes, rend prioritaire la rénovation, laquelle conditionne un développement social orienté vers la mixité. En revanche, pour les Quatre-mille de La Courneuve le développement social est bien une priorité politique à laquelle est subordonné l’objectif de mixité lié à la rénovation urbaine. La Duchère se situant, à cet égard, dans une situation intermédiaire, formellement plus équilibrée, compte tenu de l’avancement du projet urbain, qui s’est accompagné d’un renouvellement parallèle de la population.

La Duchère : place Abbé Pierre

Aussi bien, est-ce Cécile Geoffray, la nouvelle directrice du Centre social de La Sauvegarde à La Duchère, qui a le mieux défini pour nous, avec son regard neuf, la situation de ces quartiers dits « prioritaires » en évoquant un « entre-deux » ; car c’est justement de cela qu’il s’agit, d’un entre-deux à la fois spatial entre ville-centre et périphérie, temporel entre un avant et un après rénovation, générationnel entre les parents et leur descendance, social entre les anciens habitants issus de catégories plus ou moins défavorisées et les nouveaux issus des classes moyennes, etc. Un entre-deux physique doublé d’un entre-deux social, dont le décalage des temporalités exige un suivi au plus près par un partenariat institutionnel à même de coordonner les actions et d’ajuster les phases du développement dans une perspective à long terme ne sacrifiant pas la satisfaction dans l’urgence des besoins les plus impérieux. Entre-deux, également, entre les phases de conception, apanage des maîtres d’œuvre, et de réalisation, tâche des rénovateurs, où l’habitant-usager est justifié à intervenir au titre de la participation, coconstruction aujourd’hui. N’est-ce pas, en effet, le privilège de l’habitant-usager de pouvoir, en position intermédiaire, faire le lien, en se tenant par un apparent paradoxe à distance des uns et des autres – maîtres d’œuvre et rénovateurs – pour rester au plus près des besoins et les faire prévaloir ? Entre-deux fertilisé par les apports croisés des experts et des usagers, terreau propice à l’éclosion des initiatives des citadins-citoyens soutenues par les associations locales et centres sociaux qui en émanent, encouragées par les mouvements culturels et autres compagnies artistiques qui contribuent à l’animation en jouant de l’« effet catharsis »[1]. Entre-deux prometteur, à condition de savoir résister à la tentation, par réaction contre l’inconfort de la situation, de se refermer sur un entre-soi stérile et sclérosant.

Transposée sur le plan de l’urbanisme et de l’architecture à la banlieue, c’est cette situation qu’ont évoquée pour nous les frères Goldstein, architectes-urbanistes à La Courneuve, lors de l’entretien qu’ils nous ont accordé en avril 2015 : « Nous rejetons toute prétention de recomposition urbaine. La banlieue a sa raison d’être, façonnée par des décennies, marquée par l’empreinte  des hommes. On ne peut impunément vouloir aller à l’encontre. » Autrement dit, la banlieue est de ces « entre-deux » dont l’ordonnancement reflète l’état d’esprit d’une société qu’il s’agit à présent d’accompagner dans son évolution ; et ce, en cherchant à tirer parti des potentialités d’un tissu urbain façonné par l’histoire pour  laisser aux générations à venir la latitude de le remodeler en réponse à leurs besoins économiques et à leurs aspirations sociales. C’est ce tissu urbain que les grands ensembles ont bouleversé, au point d’en interdire toute transformation sans opération chirurgicale, qu’il s’agit de redécouvrir pour, étant convaincu de sa « raison  d’être », le recoudre et rétablir sa continuité avec l’environnement au lieu de lui tourner le dos. Dans cet esprit, pour les frères Goldstein comme pour Bernard Paurd, il est primordial de se caler sur les traces héritées du passé, parcellaire et cheminements, la rénovation urbaine passant avant tout par la qualité architecturale. C’est en ce sens que si le renouvellement urbain implique la rénovation ce n’est pas sans préservation de la mémoire des lieux auxquels les habitants, anciens ou nouveaux, doivent pouvoir s’identifier : urbanisme et architecture fondus dans l’art du paysage, renouvellement urbain comme synthèse de protection et de rénovation.

Les trois sites emblématiques, que nous avons choisis comme objet d’enquête pour cette raison même, ne sauraient bien entendu prétendre être représentatifs. Il faut, d’autre part, tenir compte de l’état d’avancement des projets qui ne permettent pas, par exemple, de mettre sur le même plan que les autres un site comme Marseille. Il nous apparaît néanmoins qu’ils illustrent, à travers trois stratégies, moins tranchées que les sites ne sont contrastés, les alternatives auxquelles, sans être exclusives, sont très généralement confrontées les politiques locales. Dans les trois cas l’enjeu principal est bien la perception que les politiques se font et cherchent à faire prévaloir de la relation urbain/social, tributaire de la situation locale mais aussi d’options politiques, relation qui détermine dans une large mesure la stratégie d’intégration adoptée. C’est en cela que le caractère « exemplaire » des opérations analysées, sans se risquer à des prévisions sur leur devenir qui dépend de bien d’autres choses plus ou moins aléatoires, peut permettre de dégager des enseignements, à condition de les resituer dans leur contexte.

Précisons toutefois, notamment lorsque nous qualifions d’ « équilibrée » la stratégie du Grand Lyon, que nous ne portons pas de jugement de valeurs. Nous faisons simplement, pour ce dernier cas, le constat que, dans l’esprit des politiques, dont sont empreints les textes régissant les documents de planification urbaine et les contrats chargés de les mettre en œuvre, la rénovation urbaine et l’objectif de mixité sociale sont étroitement liés, sans primat accordé à l’une plutôt qu’à l’autre (la « primauté » − dont le poids serait la mesure − est du reste à distinguer de la « priorité », qui intègre le temps dans le raisonnement). Les déclarations du maire, pour qui les démolitions ne sont pas négociables, passage obligé pour la réalisation des objectifs de mixité tant fonctionnels que sociaux, sont à cet égard significatives. Pour porter un jugement de valeur sur les stratégies il eut fallu adopter d’autres critères, politiques, ce dont nous nous sommes bien gardés dans le cadre de ce modeste travail.

C’est aussi insister sur le fait qu’il n’est en la matière ni recette miracle, ni leçon définitive, ni solution purement locale faisant abstraction de la conjoncture et de la politique nationale, mais que des pistes n’en méritent pas moins d’être explorées pour, surtout en cette période de transition sociétale, législative et politique que nous vivons actuellement, affermir des positions qui autrement seraient vouées à l’instabilité.

BJ, JJ, BP, JFS – Juillet 2017
Réalisé avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET, l’IUAR d’Aix-en-Provence
La Courneuve : immeuble des frères Goldstein

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[1] Rendu à ce stade d’interprétation des données de notre enquête, difficile, malgré tout ce qui nous tient par ailleurs éloigné du contexte de l’œuvre et de la philosophie de son auteur, de résister à la tentation de citer Hermann Hesse : « … il y a des époques où toute génération se trouve coincée entre deux temps, entre deux genres de vie, tant et si bien qu’elle en perd toute spontanéité, toute moralité, toute fraicheur d’âme. » (Le Loup des steppes)                                                                                                                                                Les urbanistes ne manqueront pas, par ailleurs, de noter avec intérêt, du moins ceux qui sont sensibles à la dimension sociale de l’urbain, qu’à Sainte-Anne l’équipe médicale utilise un logiciel de simulation de la ville pour aider les schizophrènes à sortir de leur enfermement psychologique : « Les premiers résultats montrent une amélioration de l’attention, de la sensation de bien être physique et de la qualité des interactions sociales », commente un psychiatre du service. (Le Monde, supplément « Science et Médecine » du 24 juin 2015)

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XIX – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la synthèse urbaine (1. Préalable sémantique)

Chères lectrices, chers lecteurs

« Paradoxalement, et contrairement à l’opinion commune, la ville européenne apparaît plus menacée dans ses fondements sociaux que dans ses cadres matériels. Le sursaut salvateur ne saurait venir que du politique ou du citoyen », écrit Guy Burgel dans La ville contemporaine après 1945 ( 6e volume de l’Histoire de l’Europe urbaine éditée sous la direction de Jean-Luc Pinol).

C’est bien ce que révèle la crise des politiques urbaines de la seconde moitié du XXe siècle, qu’une politique de la ville mise en place dans le dernier tiers du siècle n’a jusqu’à présent pas su endiguer en raison de la dissociation opérée entre l’urbain et le social

Après l’analyse fondée sur le recueil de données complétées d’entretiens auprès d’acteurs et d’habitants des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille, après un bilan des programmes et réalisations de la rénovation de ces trois grands ensembles assorti d’une esquisse de typologie, la synthèse s’impose d’autant plus que la ville elle-même, avec son humanité plurielle inséparable de son environnement sensible, est synthèse. Synthèse comme l’est la réalité mise en pièces par l’intellect avant que l’action ne la reconstruise selon les principes et les normes de la culture de référence. Mais, synthèse urbaine de plus en plus difficilement saisissable dans sa mouvance : ville de flux, comme en a bien rendu compte Olivier Mongin dans son dernier ouvrage [*], indéfiniment extensible, dans la dimension horizontale comme dans la verticale. Et pour cette raison même, en crise. 

Or, c’est dans les marges que tout se joue. On a trop abusé de la mise en exergue de l’opposition entre centre et périphérie pour ne pas, paradoxalement, devoir recentrer le débat sur ces frontières qui, plutôt que lier, fracturent l’espace. Les grands ensembles des années 60 ne sont plus à la périphérie, mais n’en restent pas moins isolés d’un contexte urbain qui les ignore et de centres-villes qui les redoutent, quand ils ne les rejettent pas.    

Après l’analyse des sites que nous avons retenus pour leur exemplarité, nous entamons aujourd’hui cette synthèse, pleine d’embuches, qui se déclinera en cinq séquences :

  1. Des ambiguïtés du vocabulaire au piège de la spécialisation des pratiques,
  2. L’impensé de la société urbaine,
  3. Le déni de la forme urbaine,
  4. Du projet urbain au projet social-urbain,
  5. La politique de la ville en question,

Synthèse, au terme de laquelle nous proposerons une conclusion – provisoire – sous le « signe du lien ». Conclusion intégrant l’urgence d’un repositionnement politique.

Bonne lecture.

[*] La ville des flux sous-titré L’envers et l’endroit de la mondialisation urbaine (2013).

 

X
Les 4000 de La Courneuve – Secteur Sud (frères Goldstein, architectes)

 

C. Synthèse urbaine : de l’impensé de la société urbaine à l’énigme de son articulation

C’est le moment de revenir sur le rapport du Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU de janvier 2010 rédigé par Thomas Kirszbaum.

1. Des ambiguïtés du vocabulaire au piège de la spécialisation des pratiques

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XX – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la synthèse urbaine (2. L’impensé de la société urbaine)

Chère lectrice, cher lecteur

En 1913, Charles Péguy s’en prenait au parti intellectuel en ces termes : « La méthode, […], l’invention moderne, la nouveauté moderne, ce n’est point l’exactitude, c’est l’épuisement du détail indéfini, c’est l’épuisement de la documentation et de la littérature sur un sujet, et même sur tous les sujets. » Et un paragraphe plus loin il précisait : « L’exactitude n’est ni la vérité ni la réalité. […] C’est la perfection du discernement. » ( L’argent suite)

Sans doute ne peut-on parler aujourd’hui de « parti intellectuel » comme Péguy au temps de l’affaire Dreyfus, mais d’un entre-soi d’intellectuels, oui, parmi nombre d’autres entre-soi : de chercheurs, d’experts, de techniciens, d’acteurs de terrain, d’habitants, ou de résidents plutôt, qui n’en sont pas moins acteurs, si ce n’est qu’ils ne jouent pas la scène qui leur est dévolue mais la vivent. On n’échappe pas à l’entre-soi, tellement les extrêmes que sont le solipsisme et l’universalisme sont hors de portée. Et, s‘il est une leçon que l’on a pu tirer des conditions d’exécution de notre enquête, plus encore que de ses résultats, c’est bien celle-là. 

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu, en tant que praticiens, retraités de surcroît, que nous ne pouvions prétendre faire un travail de chercheurs avec ce qu’il impliquerait d’exhaustivité, d’ « épuisement de la documentation », de poursuite du « détail infini », mais oeuvre de témoins. D’aucuns nous ont reproché de n’avoir pas de méthode [*], d’enfoncer des portes ouvertes. Mais c’était, d’une part, sans compter avec le cadre de réalisation de l’étude, ses contraintes, les tracasseries administratives et les aléas de santé en ayant rendu l’exécution acrobatique avec sa part d’improvisation, d’autre part, feindre d’ignorer que lesdites portes avaient été entrouvertes, sinon ouvertes, par nos interlocuteurs mêmes, expérimentés s’il en fut, et certaines depuis belle lurette, mais sans que les seuils en aient été franchis pour autant. A croire qu’il ne suffit pas qu’une porte soit ouverte pour accéder au domaine et qu’il faille encore que le seuil n’en soit pas trop élevé.

 Filons la métaphore, histoire de marquer sa distance avec la science, si « humaine » soit-elle : n’avons-nous pas, jusqu’à récemment encore, occupé la planète comme des squatters, en refermant les portes derrières nous tout en veillant pour celles qui restaient malgré tout ouvertes à en relever le seuil afin d’en limiter le franchissement. Cloisonnements et dénivelés sans doute historiquement nécessaires à l’affermissement de nos identités, mais que les technologies de communication modernes ont rendu vains, pour le meilleur et pour le pire. Au point qu’aujourd’hui il n’y aurait plus de salut que dans l’érection de murs derrière lesquels se réfugier pour échapper à la dilution ou dans des zones à défendre (dernier avatar des zones d’aménagement différé) en marge du contrat social qui nous lie, pour le meilleur et le pire toujours. 

Faudrait-il donc se résigner à renvoyer chacun à sa position statutaire, à sa corporation, à son corps constitué, à sa famille disciplinaire, à sa catégorie ethnique, à sa classe sociale…, en bref à son entre-soi, assigné à un territoire ? Faut-il craindre de transgresser les frontières ? Sans doute est-il souhaitable de laisser les portes ouvertes pour permettre les échanges, tout en maintenant des seuils pour préserver les identités (la platitude n’ayant jamais été un gage d’harmonie).

Ayant, au cours de notre enquête, affronté l’épreuve des cloisonnements disciplinaires et des corporatismes, nous avons pris le parti d’ignorer la spécificité des disciplines et de défier l’esprit de corps des acteurs de la politique urbaine pour privilégier, dusse la rigueur en souffrir, le croisement des regards et l’enchevêtrement des voix entre praticiens et théoriciens, tenants des différentes disciplines, maîtres d’oeuvre et maîtres d’ouvrage, experts et politiques, administratifs et usagers, professionnels et habitants…, laissant les lectrices et les lecteurs seuls juges de la qualité (nous n’osons dire de la « perfection ») de notre « discernement » appliqué à  la « réalité » (la « vérité » étant une autre affaire) urbaine.

C’est donc « sciemment » que nous avons opté pour l’ouverture au risque de sacrifier l’exhaustivité, peut-être aussi la rigueur, mais en sauvegardant l’exactitude (ou du moins en s’efforçant de l’approcher au plus près).

Après les préalables sémantiques et avant d’aborder la question de la forme urbaine, qu’en est-il de la société urbaine à propos de laquelle Thomas Kirszbaum a parlé d’un « impensé de son articulation » ?

Bonne lecture. 

[*] C’est plus de 60 ans après Péguy, en 1975, que Paul Feyerabend s’est attaché a fustiger l’esprit de méthode et à démythifier la science dans son livre intitulé Contre la méthode, sous-titré : Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance.

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X
Quartiers Nord de Marseille

 

2. L’impensé de la société urbaine

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XXII – TROIS SITES EMBLÉMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : du projet urbain au projet social-urbain

De qui Macron est-il le président ?

C’était à la fin de l’année dernière (six mois après son élection) : Macron président des riches en vadrouille les 13 et 14 novembre dans les banlieues des Hauts-de-France et de Seine-Saint-Denis pour redresser son image. D’aucuns avaient alors estimé que ce n’était pas trop tôt !

C’était le mois dernier (soit, dans les deux mois qui ont suivi) : après une échappée à Davos, Macron président des villes battant  la campagne les 25 et 26 janvier en Auvergne pour, une fois de plus, tenter de faire mentir une réputation qui pouvait nuire à son ambition de transcender les clivages. D’aucuns se sont étonnés qu’après le long intervalle consécutif aux élections, nourri de polémiques sur une présidence par trop favorable aux riches, les deux déplacements aient été si rapprochés – mais séparés par le grand show de Davos –, brouillant la cartographie d’implantation de la richesse et de la pauvreté, entre lesquelles la classe moyenne, toujours aussi difficile à cerner, serait prise en étau. D’où l’abcès de fixation du monde politique sur son déclin supposé (et à sa relégation progressive dans les périphéries urbaines) en proportion de l’accroissement relatif de ses effectifs, enjeu électoral.

Macron équilibriste, faisant alternativement pencher à droite, à gauche le balancier pour se maintenir sur le fil le reliant à ses  concitoyens les plus éloignés  de la situation moyenne : entre richesse et pauvreté, centralité urbaine et périphérie, urbanité et ruralité.

Macron semblant découvrir que le « en même temps » est un sport d’autant plus périlleux que les riches ne sont pas les seuls en ville (ce qui a motivé une immersion en banlieues deux jours durant) et que les pauvres sont aussi à la campagne (d’où l’escapade de même durée en Auvergne). Sans doute, comme le pressentait déjà Henri Lefebvre il y a une soixantaine d’années prenant acte de ce qu’il n’y avait plus de société qu’urbaine – ce qui n’a pas empêché les inégalités de s’accroître depuis – y trouvera-t-il une justification de la création d’un ministère de la cohésion des territoires. L’hégémonie de la culture urbaine n’a pas gommé, bien au contraire, les différences de mentalité et les disparités de conditions sociales, avec leur conséquence en termes d’attitudes politiques : la polarisation. Paradoxe qui impose de remettre à plat les territoires pour rechercher le bon angle par lequel aborder les problèmes socio-économiques – et leur traduction spatiale – affectés par la mondialisation, elle-même produit de l’universalité et de l’irréversibilité du progrès technologique emporté par la contagion du numérique.

Reste à en tirer les conséquences et à démontrer qu’une politique équilibrée – économiquement efficace, socialement juste – est, dans un monde écartelé entre les extrêmes, encore possible ; à apporter la preuve, également, que la cure de rigueur budgétaire, dans un contexte d’urbanisation extensif autant, sinon plus, qu’intensif est compatible avec le progrès social ; à poser en conséquence le principe d’un « pouvoir d’agir citoyen » à l’encontre des tendances bureaucratiques et technocratiques d’une gouvernance à la dérive. Si transcender les clivages est bien dans la philosophie politique d’Emmanuel Macron, encore ne faudrait-il pas que le focus réglé par la gauche extrême (les Insoumis, pour ne pas les nommer) sur la minorité détenant une part disproportionnée de la richesse n’en vienne à masquer les mécanismes sous-jacents à la répartition des richesses (mondiaux plus encore que nationaux), qui ne sauraient se résumer à un problème de concentration entre quelques mains, lequel n’est qu’un épiphénomène ; de même que la concentration de la pauvreté sur certains territoires (grands ensembles des périphéries urbaines) n’est que l’expression spatialisée d’inégalités économiques autrement plus profondes.

Ce à quoi, pour nous en tenir à notre sujet d’étude, un projet urbain intégré devrait pouvoir contribuer en articulant les dimensions d’un renouvellement social inscrit dans un environnement bâti rénové avec l’objectif de restituer à la nature une place qu’on lui avait déniée au nom d’une certaine modernité. Sachant que c’est par la médiation du paysage que la société locale exprime son caractère et ses potentialités dans la forme urbaine dessinée par les hommes de l’art.

Bonne lecture.

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4. Du projet urbain au projet social-urbain

La Courneuve
Maquette du projet de rénovation du secteur Sud des 4000 – Bernard Paurd, urbaniste

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