Démission de Collomb : sécurité et culture
L’allocution prononcée par Gérard Collomb le 2 octobre dernier, suite à sa démission, est choquante à plusieurs titres.
Elle nous parait indigne d’un ministre de l’intérieur, ministre d’Etat de surcroit, démissionnaire, qui a exercé ses fonctions durant seize mois et décidé brutalement de les cesser alors qu’il avait quelques semaines plutôt annoncé qu’il ne quitterait le gouvernement qu’après les élections européennes, annonce déjà grandement contestable. La valse-hésitation de l’ex-ministre ne trahit-elle pas un caractère guère compatible avec son rang ? Qu’il en ait profité pour transmettre un message passe encore. Mais en dénonçant, en présence du Premier ministre, la situation critique de « quartiers » dont il avait la responsabilité du maintien de l’ordre, et pour la paix desquels il prévoyait de mettre en place une police de sécurité du quotidien d’ici janvier 2019, il outrepasse la décence et exprime avec désinvolture ce que l’on peut caractériser comme de l’impuissance.
Non content de jeter le doute dans les esprits sur l’efficacité du déploiement de ce nouveau dispositif en substitution de la police de proximité décriée par la droite, monsieur Collomb n’hésite pas à prendre le risque de stigmatiser lesdits quartiers : « La situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend tout son sens parce qu’aujourd’hui dans ces quartiers c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. Il faut à nouveau assurer la sécurité dans ces quartiers mais je crois qu’il faut fondamentalement les changer… ».
D’abord face à un tel constat, et alors même qu’il s’apprêtait à mettre les moyens – déploiement de 1 300 policiers et gendarmes dans 60 quartiers d’ici juin 2020 – pour remédier à une situation dont la gravité ne cesse d’être incriminée, comment justifier une démission qui s’apparente à une fuite devant ses responsabilités ? Pourquoi d’autre part surenchérir sur la déplorable image dont ces quartiers sont victimes, quand on a eu en charge la responsabilité de leur sécurité, en passant sous silence tout le travail de terrain des acteurs du renouvellement urbain, notamment depuis la mise en vigueur de la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, laquelle a permis de procéder à un rééquilibrage entre les démolitions-reconstructions du plan Borloo de 2003 et l’accompagnement social et a renforcé l’implication des habitants dans la « coconstruction » de leur environnement. Et ce, alors même que les crédits inscrits au projet de loi de finances pour 2019 pour la politique de la ville sont en augmentation de 20% par rapport à 2018 pour atteindre 514 millions (concernant 1 514 quartiers) et que le programme de rénovation urbaine, initialement de 5 milliards, passe à 10 milliards d’euros (sur 10 ans pour 466 opérations). Abondement survenu, il est vrai, après réduction des emplois aidés et annulation de 46,5 millions d’€ de crédits contrats de ville. Mais, suite à la rectification opérée après que les réactions ne se soient pas fait attendre, peut-on encore douter, après des décennies d’errements, de la volonté de changement d’un gouvernement auquel on a fait partie et apporté sa contribution au plus haut niveau sans incohérence ? La Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, non remise en cause, a fixé la méthode à laquelle le président a ajouté une touche de pragmatisme, et le gouvernement Philippe l’a doté de moyens supplémentaires. On peut sans doute juger qu’ils ne sont toujours pas à la hauteur des ambitions affichées, mais encore faut-il ne pas sous-estimer les contraintes budgétaires jointes à la menace que fait peser le spectre de l’extrême droite sur nos démocraties, laquelle oblige, à l’échelle de l’Europe, à des compromis problématiques que la question de l’accueil des migrants, à laquelle Gérard Collomb a fait allusion dans son allocution, illustre tragiquement.
Mais, à mettre l’accent sans contrepartie sur l’insécurité dont pâtissent ces quartiers – à des degrés divers – on occulte tout le travail de terrain des opérateurs et intervenants sociaux réalisé en concertation avec leurs habitants pour les sortir de l’ornière. Et c’est oublier que l’objectif de sécurité est indissociable de celui de cohésion sociale que poursuit le renouvellement urbain. Objectif que nous nous étions fixé de mettre en perspective en lançant, avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence, une enquête dans trois de ces quartiers : les 4000 de La Courneuve, La Duchère à Lyon (dans l’arrondissement dont Gérard Collomb fut maire) et les Quartiers Nord de Marseille.
Aussi est-ce, pour l’équipe qui a réalisé l’enquête en 2014-2016 – quatre aménageurs pouvant se prévaloir d’une riche expérience de terrain –, l’occasion d’en publier les conclusions inédites relatives à l’action culturelle, dont l’impact, en contrepoint des opérations de rénovation, nous a paru conséquent et pouvoir contribuer au renouveau social qu’appelle le renouvellement urbain. Témoignage aussi de ce que peut la culture (avec l’éducation) pour pacifier des relations tendues entre catégories sociales, ethniques et d’appartenances religieuses diverses au sein de sociétés locales dont la composition pour être hétérogène, n’en recèle pas moins des ressources que l’on sous-estime trop souvent. Ce n’est pas minimiser les problèmes que pose, au regard de la sécurité, la situation de ces quartiers à l’écart des centres urbains du fait de leur diversité conflictuelle, que de valoriser leurs atouts et les promesses d’avenir qui s’y attachent.
