LYON-LA DUCHERE : Au coeur du renouvellement urbain, la culture conjuguée à l’action sociale (6)

Chères lectrices, chers lecteurs

C’est se payer de mots que de parler de populisme de droite et de populisme de gauche. Il y « un » populisme, bien représenté dans son hétérogénéité par une frange – difficile à quantifier – des « gilets jaunes », qui puise dans le fond de commerce et de l’extrême gauche et de l’extrême droite.

Parmi les idéologies les plus colportées à cet égard : celle qui touche à la richesse et à la pauvreté en termes de vases communicants dans une conception statique de l’économie et de la société. Le fond du problème en effet, pour autant que l’on croit encore au progrès, n’est pas de prendre aux riches pour le donner aux pauvres mais, pour le « peuple » et ses représentants, de s’assurer le contrôle des conditions de la production des richesses, autrement dit de l’investissement, pour une répartition équitable des fruits de l’expansion.

De même l’histoire nous a enseigné que la démocratie directe, en déblayant par avance le terrain de la conquête du pouvoir, n’était qu’un leurre faisant le jeu des extrêmes ainsi plus libres d’occuper ledit terrain, alors que le remède à la défiance vis à vis du modèle républicain est plutôt à rechercher dans une meilleure articulation entre démocratie représentative et démocratie participative.

Les « gilets jaunes » ne constituent pas un « mouvement » mais une mouvance ayant pour origine un ressentiment contre des élites qui se sont coupées du « peuple » à la faveur de la technicisation de nos sociétés dites bien imprudemment « avancées ». Autant dire qu’on ne saurait construire une politique en l’absence de plate-forme sur laquelle la fonder. N’est-il pas, à cet égard, exaspérant de voir des intellectuels surmédiatisés censés se mettre à la place des plus démunis pour défendre leur cause, alors que la plus élémentaire psychologie nous a appris qu’il était bien vain de chercher à se couler dans la peau d’autrui. Au sens propre, sympathie n’est pas empathie, et c’est plutôt en restant à sa place, avec son bagage intellectuel et sa sensibilité propre, que l’on est le plus à même de comprendre et d’élaborer des solutions concertées, pour autant que l’on manifeste un tant soit peu la volonté d’aller à la rencontre de l’Autre, sans arrogance ni condescendance ; péché bien peu mignon, capital, des élites.

Il se trouve que sous la pression de la spécialisation des savoirs la démocratisation de l’enseignement ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation de la culture. Pourquoi, sinon parce que l’enseignement académique s’est révélé impuissant à réaliser l’égalité des chances et à compenser les conséquences des inégalités de condition. Ce, d’autant plus que la base s’élargissait et se diversifiait et que les inégalités de revenu se creusaient. Si on ne peut demander plus à l’enseignement que ce qu’il peut donner, il n’empêche qu’en l’état de notre société postmoderne, c’est-à-dire ayant dépassé le stade analogique pour s’être engagée dans celui du numérique, une meilleure articulation entre pédagogie et apprentissage de la démocratie s’impose, conditionnée par une refonte et des méthodes d’enseignement et des programmes. Sachant que la nécessaire prise en compte des nouvelles technologies n’y suffira pas, qu’il faudra encore intégrer les contraintes résultant de la diversification des composantes culturelles de la population. Raison supplémentaire pour dépasser le débat stérile entre « républicains » et « pédagogues ».

Il est plus qu’urgent de recouvrer la raison, et si les « gilets jaunes » pouvaient se flatter d’avoir percer l’abcès, la démocratie ne pourrait que leur en savoir gré. Encore faut-il que le pouvoir, au-delà d’aveux de défaillances et de faiblesses – dont on aurait tort de lui faire grief après lui avoir reproché son arrogance –, soit déterminé à accompagner socialement les mesures de transformation structurelle de la société dans une économie mondialisée ; autrement dit, à ne pas négliger l’équité en s’attaquant aux problèmes de fond.

Considérations de bon sens rétorqueront les forts en « thèmes » ! Mais le bon sens, n’en déplaise à monsieur Descartes, est-il vraiment partagé ?

C’est donc sur un doute – cartésien néanmoins – que nous clôturons, après les 4000 de La Courneuve, notre enquête à La Duchère sur le rôle de la culture dans le renouvellement urbain, convaincu que, plus qu’un accompagnement, elle est un englobant qui imprègne la société urbaine à l’instar du paysage dans lequel baigne la matérialité de la ville. Et ce, avant d’aborder, début janvier, une ultime séquence sur « la place de la religion dans l’espace public » en prenant à nouveau l’exemple de ce quartier en rénovation du 9e arrondissement de Lyon, qui fut aussi le lieu d’une sombre rivalité entre communautés juives et musulmanes au sujet de l’implantation de leurs lieux de culte, que nous espérons aujourd’hui dépassée. Si la culture a sa source dans la religion, on n’aura garde d’oublier que la violence est originellement liée au sacré, sinon à la religion. D’où la question, qui nous ramène toujours à René Girard, de savoir, à la suite d’Olivier Roy, si l’inscription de la religion dans la culture n’est pas non plus le meilleur moyen d’exorciser ses démons.

Bonne lecture chères lectrices, chers lecteurs, belles fêtes de fin d’année et meilleurs voeux pour celle qui s’annonce avec, comme toujours, son aura d’inconnues.

Vue de Lyon de la terrasse de la MJC où le Lien-Théâtre à élu résidence et où Anne-Pascale Paris nous a reçu.

d) Lorsque la parole des habitants est relayée par l’expression artistique (suite et fin)

3. Le mal-être des jeunes, dit pour être surmonté

Lire la suite « LYON-LA DUCHERE : Au coeur du renouvellement urbain, la culture conjuguée à l’action sociale (6) »

LYON-LA DUCHERE : La place de la religion dans l’espace public

Chères lectrices, chers lecteurs

Ce n’est pas parce que nous entamons une « nouvelle » année qu’elle ne se situerait pas dans le prolongement de l’ancienne. Les « gilets jaunes » sont là pour nous le rappeler. Mais si le mouvement s’essouffle, sa persistance au-delà de la trêve des confiseurs, n’en manifeste pas moins une métamorphose : de mouvement revendicatif en délinquance collective n’hésitant pas à s’attaquer aux biens et aux personnes. A telle enseigne que les « black blocs » prennent la tenue des « gilets jaunes » et que ces derniers hésitent de moins en moins à adopter les comportements des premiers pour manifester sous la cagoule. Retour du refoulé ?

Après les concessions faites par le pouvoir sur le plan social et celui des pratiques démocratiques, il serait plus que temps que le gouvernement et le « mouvement » en tirent les conséquences en matière sécuritaire, sachant qu’on a plus affaire à une nébuleuse qu’à un mouvement identifiable. Il est, à cet égard, pathétique d’entendre sur les ondes les commentateurs les plus avisés exprimer pour nous, sourds mais non aveugles, ce que pensent les « gilets jaunes », ce qu’ils réclament, ce qu’ils peuvent bien ressentir ; des journalistes interpréter leurs faits et gestes à la lumière des sciences sociales ; des intellectuels de renom se croire obligés de se mettre en retrait de leur statut social pour mieux comprendre les motivations des acteurs d’un mouvement insaisissable. Il est pathétique de voir les uns et les autres suspendus aux sondages partiels effectués sur quelques ronds-points faire des pronostics sur l’avenir d’un mouvement aussi spontané ; de voir, surgissant brusquement de leur retraite, des personnalités jadis en vue exciper de leur expérience passée de la politique et des mouvements sociaux pour nous commenter des évènements inédits ; de voir des « responsables » politiques chercher, sur le fil du rasoir, à reprendre à leur compte des mots d’ordre pour beaucoup aussi contradictoires qu’inconsistants ; pathétique enfin, le souci des médias d’inviter sans plus de discernement, au nom du principe d’égalité de traitement de l’information, des « représentants » des « gilets jaunes ».

Pour être pathétique, le constat, reflet d’une faillite de notre faculté de jugement et expression de notre impuissance, n’en est pas moins alarmant. Tant de vains efforts pour essayer de dévoiler le sens d’une « geste » qui évoque des archaïsmes auxquels on ne saurait pourtant l’assimiler sans grossière méprise : les « gilets jaunes » semblent avoir désormais adopté une stratégie consommée d’agitateurs qui, n’ayant plus rien à perdre, n’aspireraient qu’à entrainer l’opinion dans un délire de mise à bas des institutions démocratiques, lesquelles, pour être malades, n’en ont pas moins le mérite d’exister en dépit de l’affadissement de leurs symboles. Pendant ce temps, en Europe même, les Hongrois manifestent pour sauver les leurs menacées par un pouvoir autoritaire se réclamant d’une conception illibérale du régime politique et d’un nationalisme sans complexe. C’est Tamas Miklos Gaspar, philosophe hongrois, qui le dit : « La Hongrie est le plus mauvais élève européen des libertés publiques et de l’autonomie des institutions. » Puisse la France ne pas le devenir à son tour à la faveur de l’exploitation politique d’un mécontentement social, qui, justifié en dépit de ses incongruités, devrait se saisir du grand débat public proposé par le président de la République en vue de conforter un régime démocratique certes vacillant mais non moribond.

La France en aurait presque oublié qu’il y a trois ans jour pour jour la tuerie de Charlie Hebdo se soldait par 12 morts et 11 blessés. Mais l’attentat djihadiste du 11 décembre dernier à Strasbourg (5 morts et 11 blessés) est venu rappeler que la menace restait bien présente. Il s’en est cependant fallu de peu que l’écho ne fut étouffé par la fureur « jaune », comme si les réflexes de solidarité ne pouvaient éviter de se faire concurrence. On rêve, n’en déplaise à Emmanuel Todd, d’une contre-manifestation d’une ampleur de celle des 10 et 11 janvier 2015 ayant rassemblé dans le recueillement quelque 4 millions de personnes dans tout l’Hexagone, à comparer aux 50 000 manifestants, des égarés parmi des excités ou des excités parmi des égarés, de samedi dernier.

Quel rapport entre ce rappel et les dérives d’un mouvement qui n’en finit pas de se chercher une identité et une plate-forme de revendications cohérentes ? Tous les évènements sont singuliers et, outre que ceux évoqués sont dans leurs conséquences humaines hors de proportions, il serait bien osé de faire des rapprochements tant les contextes dans lesquels ils s’insèrent sont différents. Sauf que dans tous les cas, ceteris paribus, on a affaire à une accumulation de frustrations, certes de causes variables, un déficit de reconnaissance, qui débouchent sur une même violence irrationnelle dont le déchainement est un défi à l’intelligence. Autant de facteurs psychologiques dont le poids dans la formation de la personnalité est sans commune mesure avec celui des conditions matérielles d’existence, bien que les premiers ne soient pas sans lien avec les secondes. Enfin, les injures à caractère ouvertement raciste, les menaces anonymes de morts proférées, y compris à l’encontre de « gilets jaunes », ne sont pas sans évoquer la barbarie qui, avec son lot de violence et d’obscurantisme, sommeille, sans l’excuse des influences extérieures, sous le volcan dont ces derniers entretiennent l’éruption, quoiqu’ils en aient ; sachant que l’histoire récente nous a appris combien le passage à l’acte, dépourvu de signes avant-coureurs, pouvait être vite franchi.

Traditionnellement couleur de l’infamie, mais qui serait en voie de réhabilitation, « le jaune a un bel avenir devant lui  » affirme en bonne part Michel Pastoureau (Le petit livre des couleurs). Acceptons-en l’augure.  

Aussi, n’est-ce pas tout-à-fait par hasard que nous reprenons aujourd’hui notre enquête sur le renouvellement urbain du quartier de La Duchère à Lyon. Après avoir exposé la relation que la rénovation entretenait avec la culture, grande oubliée des piliers du développement durable, il reste, en effet, à nous interroger sur la place qui peut être réservée à la religion dans l’espace public, alors même que fait retour cette violence à laquelle elle est originellement liée. Et ce, avant de conclure la semaine prochaine sur le pilotage interdisciplinaire des opérations d’aménagement et des actions sociales et culturelles qui les accompagnent.

Bonne lecture.

X
Duchère : Flèche de l’église de Balmont convertie en cinéma d’Art et d’Essai

La place de la religion dans l’espace public, son articulation avec la culture

Il faut compter, parmi les institutions et les acteurs qui participent à la vie du quartier, avec le Foyer protestant, très présent et les représentants des autres confessions. Annie Schwartz dans ses « Mémoires d’un grand ensemble » en 1993 se faisait l’écho de « liens intercommunautés » ayant contribué à l’instauration « d’une certaine harmonie dans la cohabitation de personnes aux sensibilités et aux origines ethniques différentes ». Elle rapporte que « ces liens privilégiés entre les trois communautés, renforcés par des contacts individuels et de voisinage ont abouti à la naissance du Groupe Abraham, un groupe presque unique selon Ali Benald » de l’Association de la Communauté musulmane de La Duchère qui lui explique que « nous sommes partis du constat que juifs, chrétiens, musulmans, nous avions le même Dieu et que par conséquent, il ne pouvait pas nous dire des vérités différentes ». Pourtant en mars 2002, la synagogue, voisine de la mosquée, était l’objet d’une agression matérielle unanimement condamnée par les représentants des trois communautés. Cela n’a cependant pas suffi à calmer les esprits, au point que la synagogue a dû envisager son déplacement.

Lire la suite « LYON-LA DUCHERE : La place de la religion dans l’espace public »

LE REEQUILIBRAGE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE sous l’éclairage (indirect) de Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry, économistes inquiets

Extrait de « Histoire des jouets » de Henry René (1902)
Flickr

« Que m’importent les controverses, et les arguties des docteurs ? Au nom de la science ils peuvent nier les miracles ; au nom de la philosophie, la doctrine et au nom de l’histoire les faits.  […] Même, il me plaît qu’ils y parviennent, car ma foi ne dépend en rien de cela. »[1]

Lire la suite « LE REEQUILIBRAGE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE sous l’éclairage (indirect) de Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry, économistes inquiets »

SEMINAIRE ANALYSE ET POLITIQUE DE LA VILLE : La ville dans l’action publique – Un demi-siècle d’expériences

Chères lectrices, chers lecteurs

C’est, l’heure de la retraite  venue, pour ne pas entrer en errance oisive que j’avais, voici cinq ans déjà, entrepris cette pérégrination dans la littérature de la ville. Pérégrination au gré de retrouvailles au fond de ma bibliothèque ou de nouvelles rencontres, parfois inopinées. L’itinéraire ainsi reconstruit depuis les célèbres enquêtes de Villermé en France et Engels en Angleterre m’ont permis de vous faire partager ma passion pour ces « urbanités » qui, traversant toutes les disciplines, les transcendent pour rejoindre les « humanités ». Convergence qui ne tient nullement au hasard mais bien plutôt d’un destin qui nous a progressivement fait passer de la vie campagnarde à la vie urbaine, laquelle n’a pas fini de se renouveler pour tantôt nous rebuter tantôt nous attirer, nous séduire ; bref, toujours nous surprendre.

Puis, délaissant quelque peu nos livres,  nous avons renoué avec le terrain pour vous livrer le témoignage d’une enquête portant sur trois sites en rénovation : Les Quatre mille de La Courneuve, La Duchère à Lyon et les Quartiers nord de Marseille. Enquête au cours de laquelle nous avons cherché à comprendre les errements d’une reconquête urbaine doublée d’une thérapie sociale à travers une centaine d’entretiens auprès de professionnels et d’acteurs associatifs ainsi que d’habitants, non moins acteurs de la transformation de leurs lieux de vie.

De notre parcours livresque à l’enquête de terrain, aucune rupture, tant l’un de l’autre se sont réciproquement nourris. Et il n’y a pas moins continuité avec ces séminaires d’«analyse et politique de la ville» que nous publions à partir d’aujourd’hui. Riches d’interventions pluridisciplinaires et de débats, ils sont animés par Guy Burgel depuis plusieurs années en partenariat avec le LGU de l’université Paris Nanterre, la FMSH, l’EHESS et le Comité d’Histoire des ministères de l’Ecologie et de l’Habitat. Pour l’année 2017-2018, consacrée à « La ville dans le débat public », le premier de ces séminaires, dont la session s’est tenue le 15 décembre dernier portait sur « La ville dans l’action publique : un demi-siècle d’expériences », dont vous pouvez lire le compte rendu ci-dessous. 

Photo Marcus (Flickr)

Ville nouvelle de Marne-la-Vallée : Les Espaces d’Abraxas (vue de l’Arche) de Ricardo Bofill ; lequel, dans une interview au Journal Le Monde du 8 février 2014, avouait « Je n’ai pas réussi à changer la ville » (Photo Marcus/ Flickr) :

« Le projet est né d’une utopie théorique, en Espagne, dans les années 60. “Ville dans l’espace” consistait à considérer la ville comme un processus et non comme un objet fini. L’objectif était de mélanger les catégories sociales et de créer des modules qui peuvent être investis de différentes manières. […] Ma démarche est opposée à celle de Le Corbusier. »

« Mon modèle n’a pas été pris en exemple pour construire d’autres villes. Je me suis trompé dans la temporalité. La période, la fin des années 60, n’était pas propice au changement car après moi, on a continué à faire des barres. Le malheur qui règne dans les banlieues françaises n’a pas été aboli. »

« Il s’agit d’un espace unique qui a pâti du manque d’esprit communautaire propre à la France : les populations ne se sont pas mélangées. Mais les Espaces d’Abraxas ont été abandonnés : à l’époque, on disait que pour que ça marche il fallait y faire vivre au maximum 20 % d’immigrés, afin de réussir à réellement mélanger les populations. Ça n’a pas été appliqué. Le manque également d’équipements et de commerces et le fait que l’espace soit fermé sur lui-même pose des problèmes à certains. Pour moi, c’est une expérience unique et finie et je ne la répéterai jamais car j’ai vu les difficultés que ça entraîne. »

Ricardo Bofill

Compte rendu du séminaire

Sommaire des exposés et intervenants

 Retour sur une action : la politique des villes nouvelles

  • Sabine Effosse (historienne, Université Paris Nanterre)
  • Bertrand Warnier (urbaniste, Établissement public d’aménagement de Cergy-Pontoise)

De la loi d’Orientation foncière (LOF) à la loi Solidarité et Renouvellement urbain (SRU) : la loi sur la longue durée

  • Laurent Coudroy de Lille (géographe, Université Paris Est Créteil, Institut d’urbanisme de Paris)

Une innovation : le ministère de la politique de la ville

  • Renaud Epstein (sociologue-politologue, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye)

Deux témoignages personnels sur la politique de la ville

  •  Yves Dauge (ancien sénateur-maire de Chinon, Indre-et-Loire)
  • Jean Frébault (urbaniste, Conseil général des Ponts et Chaussées)

Table ronde : Présence et absence de la ville dans le débat public

  •  Jean-Pierre Duport (ancien préfet d’Île-de-France, de la Seine-Saint-Denis, ancien président de Réseau ferré de France)
  • Christian Devillers (architecte-urbaniste)

Conclusion

  •  Guy Burgel
Lire la suite « SEMINAIRE ANALYSE ET POLITIQUE DE LA VILLE : La ville dans l’action publique – Un demi-siècle d’expériences »

LA VILLE COMME « EXPERIENCE INTERIEURE »

Composition X de Vassily Kandisky
Entre conscience et cosmos : la ville
http://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/kandinsky/kandinsky.comp-10.jpg

La ville comme « expérience intérieure »

Sans chercher à s’extraire de son environnement, même la ville, métaphore de l’être social, gagnerait à une plongée dans L’expérience intérieure [*]. Ainsi nous interpelle Georges Bataille :

« L’être particulier, perdu dans la multitude, délègue à ceux qui en occupent le centre, le souci d’assumer la totalité de l’ “être”. […] Cette gravitation naturelle des êtres a pour effet l’existence d’ensembles sociaux relativement stables. En principe, le centre de gravitation est dans une ville ; dans les conditions anciennes, une ville, comme une corolle enfermant un pistil double, se forme autour d’un souverain et d’un dieu. Si plusieurs villes se composent et renoncent à leur rôle de centre au profit d’une seule, un empire s’ordonne autour d’une ville entre autres, où la souveraineté et les dieux se concentrent : dans ce cas, la gravitation autour de la ville souveraine appauvrit l’existence des villes périphériques, au sein desquelles les organes qui formaient la totalité de l’être ont disparu ou dépérissent. De degré en degré, les compositions d’ensembles (de villes, puis d’empires) accèdent à l’universalité (tendent vers elle tout au moins). »

Il n’est pas de meilleure expression du défi auquel est confronté le gouvernement à la veille (ou l’avant-veille) de l’annonce d’un énième plan pour les banlieues cautionné par un revenant.

Comment les banlieues peuvent-elles tirer profit du dynamisme des centres-villes pour conforter leurs particularismes et valoriser leurs ressources propres ?

Comment les villes moyennes et petites peuvent-elles encore jouer leur rôle dans l’aménagement du territoire sans être affaiblies, voire écrasées, par le développement des métropoles régionales ?

Last but not least, la capitale peut-elle continuer à accroitre son pouvoir d’attraction sur les nantis sans rejeter les démunis, et à s’enrichir sans en faire bénéficier la province ?

Si la théorie du ruissellement n’a jamais été validée en économie, l’aménagement du territoire lui offre une bonne occasion de faire ses preuves à nouveaux frais et de prendre une revanche sur ses détracteurs ; juste retour de ce que la métropolisation doit à la ruralité et à l’urbanité, dont elle n’a cessé de se nourrir.

C’est un combat, « père de toutes choses » et « dernier mot de notre raison » selon Ernst Jünger [**], un combat – politique – en faveur de la solidarité pour contrer l’esprit de compétition ; pas simplement pour la survie, mais pour le plein épanouissement de l’être, dans son universalité autant que dans ses particularités.

________________________

[*] © pour l’édition originale : 1943. Texte revu en 1954.

[**] Le Combat comme expérience intérieure, écrit en 1921. La première citation est reprise d’Héraclite (Fragment B 53).

TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : Les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, Les quartiers Nord de Marseille

Chères lectrices, chers lecteurs

Avant les vacances j’avais publié de larges extraits d’une étude réalisée en collaboration avec trois autres collègues, retraités de l’aménagement comme moi, dans le cadre et avec le soutien d’un partenariat rassemblant l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET, filiale opérationnelle de la CDC, et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence.

Les conditions de réalisation de cette étude ne nous ont pas permis de la mener avec toute la rigueur souhaitée. Ayant dû adapter notre démarche en conséquence, l’étude que nous avons rendue fin 2016 après plusieurs avaries – accidents de santé, tracas d’intendance – relève de ce fait plus du témoignage que d’une véritable recherche.

D’une durée programmée initialement sur deux ans, notre travail, dont le projet avait été déposé à l’automne 2011, s’est en fait déroulé sur plus de cinq en raison de ces vicissitudes. Sans doute n’avons-nous pas su faire comprendre aux membres du partenariat le sens de notre travail tel que nous l’envisagions à un tournant de la politique de la ville impulsé par la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion Urbaine du 21 février 2014. Les conclusions arrivent un peu tard – encore que ce ne le soit jamais pour infléchir un mouvement, à défaut d’en renverser le sens – et ce serait à présent un autre chapitre à ouvrir, alors même qu’un nouveau gouvernement, formé sous une présidence élue dans l’enthousiasme des uns et le scepticisme des autres, reprend les choses en main sans que l’on connaisse encore bien ses orientations.

C’est pourquoi notre travail a aujourd’hui plus valeur de bilan que d’orientations, ces dernières suggérées par nos interlocuteurs alors que s’esquissaient le nouveau PNRU. Aussi, bien que datée, est-ce à la demande de plusieurs d’entre vous que nous nous sommes résolus malgré tout à publier en feuilleton la synthèse de cette étude dans son intégralité.

Etant bien conscients des imperfections et de l’inachèvement de cette enquête dont les données auraient, pour le moins, gagné à être actualisées, c’est à vous aujourd’hui de juger du résultat et d’en tirer, s’il y a lieu, des leçons pour la poursuite du renouvellement urbain.

Pour commencer nous vous livrons un résumé des conclusions auxquelles nous sommes parvenus et qui nous ont été soufflées par nos interlocuteurs, acteurs du développement urbain, habitants inclus, une centaine en tout, de provenance aussi diverse que les thèmes abordés l’exigeaient.

Si vous le souhaitez, vous pouvez, pour obtenir toutes informations complémentaires sur ce travail ou me communiquer vos observations, toujours bien venues, m’écrire à l’adresse e-mail suivante : serre-jean-francois@orange.fr.

Dans l’espoir de susciter votre intérêt, même et surtout critique, bonne lecture.

******

Trois sites de renouvellement urbain emblématiques : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille

X
Cité idéale, attribué à Fra Carnevale (XVe siècle) – Walters Art Museum de Baltimore
                                               Cliché Wikipedia

Résumé d’une étude-témoignage

Un constat est à l’origine de l’étude. Depuis plus de trente ans la politique de la ville alterne les politiques : immobilières, urbaines, sociales, en faveur de l’emploi…

Une interrogation vient se superposer à ce constat : comment se fait-il que le rapport de l’Observatoire National des Zones Urbains Sensibles (ONZUS) pour 2014 conclue à une accentuation des écarts entre les quartiers politique de la ville et les autres ? Constat non contredit par les rapports pour 2015 et 2016 de l’Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV) qui a succédé à l’ONZUS.

D’où l’hypothèse que cette situation pourrait être imputable à la difficulté des acteurs de la politique de la ville à articuler – pour nous en tenir aux quatre thèmes que nous avons choisi de placer sous le projecteur – les aspects urbains, sociaux, économiques et culturels ; difficulté recouvrant une impuissance à se donner une représentation intégrée de la ville et de ses quartiers dans leur environnement à la fois physique et humain ; l’alternance des politiques cherchant à compenser, bien en vain, ce déficit de vision globale, l’inconstance dans la stratégie se payant du prix de la pérennisation de politiques d’exception et temporaires basées sur des mesures de discriminations positives hésitant entre leur application aux territoires et aux gens.

Lire la suite « TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : Les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, Les quartiers Nord de Marseille »

II – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : synthèse comparative

Chères lectrices, chers lecteurs

Si par la teneur alléchés du résumé de l’étude-témoignage du renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille postée le 10 septembre dernier, ou plus sérieusement par intérêt affectif, intellectuel, professionnel, vous ne craignez pas de vous lancer dans la lecture de ce feuilleton, nous vous invitons, en préalable, à prendre aujourd’hui connaissance des motivations de ses auteurs (une équipe de cinq retraités prématurément amputée d’un de ses membres pour raison de santé) et de l’esprit – à défaut de méthode rigoureuse – qui ont présidé à la réalisation d’une aventure émaillée d’imprévus et de quelques contrariétés.

Sachant que la semaine prochaine, nous rentrerons de plain-pied dans notre sujet par l’inscription des sites étudiés dans leur contexte géographique et historique.

Bonne lecture

Les 4000 de La Courneuve : quartier de La Tour

 

Marseille : quartiers Nord – Secteur du Merlan
La Duchère : place Abbé Pierre

A la mémoire de Marcel Hénaff, qui a si bien su relier, avec autant de sobriété que de pénétration, dans son ouvrage, La ville qui vient (Editions de L’Herne, 2008), joyau de la littérature de l’urbanité, l’avenir pressenti des villes à leur fondement anthropologique, indissociable de leur fondation matérielle. La ville qui vient, source d’inspiration de ce qui fut au coeur de cette enquête.

SYNTHESE COMPARATIVE

« Il ne s’agit plus seulement de livrer des logements en plus grand nombre possible. Il s’agit de faire naître des quartiers nouveaux composés avec tous les équipements publics et les activités commerciales, artisanales ou industrielles nécessaires pour qu’ils aient eux-mêmes une vie collective propre tout en s’intégrant dans un ensemble urbain ou régional plus vaste.»  

Pierre Sudreau, ministre de la construction de 1958 à 1962

Selon une enquête conduite par Paul Clerc dans 53 grands ensembles d’agglomérations d’au moins 30 000 habitants en 1965, 88% des habitants d’immeubles collectifs se déclaraient satisfaits de leur logement… comparé à celui occupé précédemment.

« En quoi le passé, ses réussites comme ses erreurs, peut aider pour éclairer les actions à venir ? »  

Jacques Jullien, ancien directeur régional de la SCET

Lire la suite « II – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : synthèse comparative »

VII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : des objectifs en partie partagés (3. les quartiers Nord de Marseille)

Chères lectrices, chers lecteurs

Nous poursuivons cette semaine notre compte rendu d’enquête dont nous avons publié un résumé le 10 septembre dernier.

C’est parce que la politique urbaine des années 50-60 n’a pas su prendre en compte dans sa complexité la société urbaine qu’on lui a appliqué l’emplâtre de la politique de la ville à partir des années 80. C’est parce que la politique de la ville a échoué à résorber les écarts de développement, à réduire les inégalités économiques, à promouvoir une culture commune à même de neutraliser les extrémismes religieux qu’on s’est résolu à recourir à une politique de « peuplement » poursuivant un objectif d’équilibre sociodémographique territorial dont l’enjeu est, au minimum, d’éviter que la concentration dans l’espace des handicaps sociaux et situations de précarité ne constitue un facteur aggravant, ne favorise la délinquance ou ne dégénère en manifestations de violence.

A l’heure où la politique de la ville est, sinon remise en question, intégrée dans un nouveau ministère de la cohésion des territoires et par ce fait même menacée de dilution, le moment est venu de se pencher sur son bilan. Ce que nous avons tenté, très concrètement, à travers l’étude de ces trois sites emblématiques en posant comme hypothèse que la fracture urbaine doublée d’une fracture sociale dont souffre les grands ensembles pourrait bien refléter une fracture plus générale de civilisation dont ces grands ensembles ne seraient l’avant-garde. D’où l’urgence de conjurer les risques de propagation des fêlures du corps social qu’ils préfigureraient par la mobilisation des énergies mises en oeuvre dans une rénovation urbaine dont la pertinence est parfois mise en cause, mais non la nécessité. Le grand ensemble comme métaphore d’un entre-deux monde dont la diversité ouvre sur des potentialités ambivalentes qu’il importe de savoir regarder en face lucidement avant tout engagement, aussi gros de risques que d’espoirs !

Après avoir resitué dans leur environnement et l’histoire de leur développement nos trois sites, et exposé les objectifs de la rénovation des Quatre mille et de La Duchère, nous poursuivons en présentant ceux des quartiers Nord de Marseille à travers Saint-Barthélemy et Malpassé.

Bonne lecture.

X
Quartier du Canet (XIVe arrondissement)
Station Alexandre : ancienne gare de triage reconvertie après rénovation en centre d’affaires dans le cadre d’une ZFU

c.  Les quartiers Nord de Marseille : la recomposition urbaine et la paix sociale

Lire la suite « VII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : des objectifs en partie partagés (3. les quartiers Nord de Marseille) »

XI – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : rénovation urbaine et renouveau social confrontés à la métropolisation

Chères lectrices, chers lecteurs

Après plus de six mois, le président de la République sort de son silence sur ce qu’il est convenu d’appeler « les quartiers » au risque de paraitre, tel Janus, comme ayant alternativement – et non « en même temps » – une double face : celle d’un président des riches et celle d’un président des défavorisés « assignés en résidence » dans ces quartiers relégués à la périphérie des villes, qui, parfois, n’osent même plus dire leur nom.

En appelant à la « mobilisation générale » de « toute la nation » selon un « plan de bataille » engageant « tout le gouvernement » en faveur de « l’émancipation » et du « retour du droit commun » dans lesdits quartiers, l’ambition n’en est pas moins généreuse, mais pose une série d’interrogations :

1) Dans quelle mesure s’inscrit-on toujours dans la loi de Programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 qui avait engagé un rééquilibrage entre rénovation urbaine et action sociale ?

2) Que signifie, dans ce cadre, le retour de l’ex-ministre de la ville J.-L. Borloo, partisan de la thérapie de choc en matière de rénovation ?

3) Que devient dans cette perspective la réorientation de la politique de peuplement engagée par le gouvernement Valls suite aux attentats de 2015 ?

4) Comment mettre les gens en situation de mobilité sans qu’ils perdent pour autant leurs repères, indissociables de la structuration des identités ?

5) Ce que l’on appelle, peut-être improprement, « radicalisation » ne serait-il pas,  plutôt que la conséquence de la « démission de la République », le symptôme de la perte de sens de la vie en société, qui doit amener les institutions à se remettre en cause pour donner du contenu à la laïcité, compatible avec la liberté de conscience inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme ?

6) Au-delà d’une série de mesures concrètes à court terme, bienvenues, qu’en est-il fondamentalement du « changement de méthode » annoncé ?

« Je veux que le visage de nos quartiers aient changé à la fin du quinquennat, a dit le président de la République, non pas parce qu’on aura atteint du chiffre mais parce qu’on aura réussi la rénovation morale. Le défi de civilisation se joue dans les quartiers. Je ne veux pas tant proposer des outils et des mesures que construire ensemble pour donner aux villes des résultats. C’est une fierté. Les habitants de la ville doivent être considérés comme des habitants de la République, des citoyens à part entière. »

On ne peut qu’approuver l’exigence d’une évaluation fondée sur des éléments qualitatifs, affranchie de la dictature des chiffres ; ce qui pose une ultime question : celle de l’ « articulation de l’urbain et du social » dans une politique de rénovation visant délibérément l’intégration dans la ville et la réduction des fractures sociales, sans tabou ; ce qui n’ira pas  sans un infléchissement, voire un renversement, des approches esquissé par le président le 14 novembre dernier à Tourcoing, non plus sans que soit revue la part des dotations affectées au social par rapport à celles qui le sont à l’urbain, sachant que l’accompagnement social de la rénovation urbaine sera d’autant moins requis et plus efficace que celle-ci se sera pliée aux besoins et aspirations de la société locale, émancipée (inversion des priorités : la société urbaine d’abord).

Répondre à cette ultime question, c’est aussi répondre aux préoccupations des acteurs de la politique de la ville des trois sites de rénovation/renouvellement urbain, objet de notre enquête : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille, dont nous poursuivons aujourd’hui l’exposé synthétique, avant de se risquer à interpréter – avec une part de subjectivité inévitable – les propos recueillis auprès d’une centaine d’acteurs, habitants compris.

Bonne lecture.

***

5.  A la charnière de la rénovation urbaine et du renouveau social

Pour Christian Devillers, l’architecte-urbaniste de Malpassé dans les quartiers nord de Marseille, l’articulation de l’urbain avec le social se joue dans l’accompagnement du relogement qui précède les démolitions. Lesquelles peuvent être motivées par des considérations tenant à l’état des bâtiments et des logements, urbanistiques ou sociales. Selon les situations, mais aussi les idéologies, les positions varient, accordant plus ou moins de poids à l’un ou l’autre de ces motifs.

La Courneuve
Secteur Nord des 4000
A l’arrière fond, la barre Robespierre destinée à la démolition

a)   Le traumatisme des démolitions

Lire la suite « XI – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : rénovation urbaine et renouveau social confrontés à la métropolisation »