Chères lectrices, chers lecteurs
Nous poursuivons cette semaine notre compte rendu d’enquête dont nous avons publié un résumé le 10 septembre dernier.
C’est parce que la politique urbaine des années 50-60 n’a pas su prendre en compte dans sa complexité la société urbaine qu’on lui a appliqué l’emplâtre de la politique de la ville à partir des années 80. C’est parce que la politique de la ville a échoué à résorber les écarts de développement, à réduire les inégalités économiques, à promouvoir une culture commune à même de neutraliser les extrémismes religieux qu’on s’est résolu à recourir à une politique de « peuplement » poursuivant un objectif d’équilibre sociodémographique territorial dont l’enjeu est, au minimum, d’éviter que la concentration dans l’espace des handicaps sociaux et situations de précarité ne constitue un facteur aggravant, ne favorise la délinquance ou ne dégénère en manifestations de violence.
A l’heure où la politique de la ville est, sinon remise en question, intégrée dans un nouveau ministère de la cohésion des territoires et par ce fait même menacée de dilution, le moment est venu de se pencher sur son bilan. Ce que nous avons tenté, très concrètement, à travers l’étude de ces trois sites emblématiques en posant comme hypothèse que la fracture urbaine doublée d’une fracture sociale dont souffre les grands ensembles pourrait bien refléter une fracture plus générale de civilisation dont ces grands ensembles ne seraient l’avant-garde. D’où l’urgence de conjurer les risques de propagation des fêlures du corps social qu’ils préfigureraient par la mobilisation des énergies mises en oeuvre dans une rénovation urbaine dont la pertinence est parfois mise en cause, mais non la nécessité. Le grand ensemble comme métaphore d’un entre-deux monde dont la diversité ouvre sur des potentialités ambivalentes qu’il importe de savoir regarder en face lucidement avant tout engagement, aussi gros de risques que d’espoirs !
Après avoir resitué dans leur environnement et l’histoire de leur développement nos trois sites, et exposé les objectifs de la rénovation des Quatre mille et de La Duchère, nous poursuivons en présentant ceux des quartiers Nord de Marseille à travers Saint-Barthélemy et Malpassé.
Bonne lecture.

Station Alexandre : ancienne gare de triage reconvertie après rénovation en centre d’affaires dans le cadre d’une ZFU
c. Les quartiers Nord de Marseille : la recomposition urbaine et la paix sociale
Le Schéma de Cohérence Territorial a ouvert la voie d’une évolution du modèle urbain : « Le renouvellement urbain, associé à la densification et à l’intensification urbaines, devient un principe intangible dans l’organisation du territoire communautaire » et dans le cadre d’une architecture territoriale hiérarchisée.
Les orientations stratégiques ont été dessinées par le contrat de ville de Marseille Provence Métropole (MPM) pour la période 2015-2020, basées sur les regards croisés entre des territoires dégradés et des populations en difficulté. Dans cet esprit, l’accent a été mis, dans le nouveau contrat de ville, sur la complémentarité entre un axe d’interventions transversales visant une meilleure insertion des quartiers Nord dans la ville et une action publique adaptée à la spécificité de chaque quartier.
Aux termes du contrat de ville : « La diminution de la population concernée par rapport à l’ancienne géographie a pour objectif de mieux concentrer l’action publique dans les quartiers présentant les difficultés les plus saillantes. »
L’objectif commun aux opérations des quartiers Nord est le rééquilibrage du développement de cette partie de la ville à la fois sur le plan urbain, social et économique :
- d’une part, en tirant parti de l’Opération d’Intérêt National Euroméditerranée située à proximité ;
- d’autre part, en mettant à profit les infrastructures qui drainent la circulation à la fois dans le sens nord-sud et ouest-est, ce dernier axe, la L2, en reliant l’autoroute du Nord à celui de l’Est, constituant l’épine dorsale des quartiers de l’ex ZUP n° 1 autour de laquelle structurer la rénovation urbaine, sous condition de son intégration au milieu urbain et de son enfouissement au moins partiel.
Le désenclavement des quartiers qui constituent le secteur, très fragmenté, mêlant noyaux villageois anciens et ensembles immobiliers de logements sociaux ou de copropriétés, passe ainsi par la reconstitution de la trame viaire, d’une part, et l’aménagement des liaisons avec le centre-ville et les pôles d’activité par les transports en commun, dont certains en sites propres, d’autre part. La rénovation urbaine, devra, en outre, s’appuyer sur la requalification des espaces publics afin de faire en sorte que les habitants puissent se les réapproprier dans un esprit de cohabitation favorisant le vivre-ensemble.
« …Marseille, écrit Paul Chemetov, doit accepter de se voire telle qu’elle est, unique et différente. L’unité de cette ville-territoire, progressivement éparpillée depuis la guerre, doit se reconstituer par l’affirmation claire de ses espaces publics, ceux de la citoyenneté, par la transformation des réseaux techniques en espaces publics, ceux de l’échange, ce fut le cas du canal de Marseille, enfin et surtout par la sauvegarde des terres libres qui sont le poumon de son futur. »[1]
En matière de logements, outre la résorption de l’habitat dégradé et indigne, l’objectif est d’améliorer l’offre de logements existante et de la diversifier pour faciliter les parcours résidentiels à l’échelle communautaire. A cette fin, il est prévu de favoriser la mixité en encourageant sur site la construction de logements privés, à loyer intermédiaire notamment, et de réaliser en contrepartie des programmes de logements sociaux dans les quartiers centraux.
Mais, comme l’énonce le contrat de ville, la mixité des fonctions urbaines n’est pas en reste : « …il est nécessaire de mieux connecter les stratégies macro-économiques avec la réalité des territoires prioritaires », en mettant à profit les dynamiques économiques métropolitaines tout en s’appuyant sur les spécificités des quartiers en matière d’infrastructures et de ressources humaines.
Pour conforter les efforts consentis en matière d’amélioration physique du cadre de vie et de promotion économique et sociale des habitants, le contrat de ville insiste, enfin, sur le retour du droit dans ces quartiers, victimes de l’insécurité, et sur la promotion de la citoyenneté.
C’est bien, en conséquence, d’un rééquilibrage urbain, sur le plan à la fois social et économique, qu’il s’agit de promouvoir, et ce, dans le cadre élargi de la nouvelle métropole. Face « au défaut d’intégration » de certains quartiers ayant dans le passé eu pour conséquence de « renforcer les effets de frontières », le contrat de ville observe que « l’enjeu majeur posé à l’action publique pour dépasser le caractère clivé de l’armature urbaine du territoire communautaire réside dans la manière d’accrocher les projets de développement à la réalité des quartiers, de façon à ce que ces derniers trouvent leur place dans les dynamiques territoriales en cours. »
Il faut, en effet, bien comprendre que ces orientations s’inscrivent dans le cadre désormais en vigueur, depuis le 1er janvier 2016, de la Métropoled’Aix-Marseille-Provence, et sont la préfiguration de son futur « projet de cohésion sociale et territoriale » ; l’organisation de cette métropole devant décider des conditions de leur mise en œuvre, étant précisé qu’elles sont aussi basées sur le Pacte de sécurité et de cohésion sociale de décembre 2013 fixant pour les quartiers politique de la ville de Marseille les priorités de l’Etat. Reste à en avoir la volonté et à s’en donner les moyens.
A la différence de Plaine Commune et du Grand Lyon toutefois aucun objectif chiffré n’est donné concernant la réduction des écarts de développement ou la mixité. Des résultats n’en sont pas moins atteints en matière de rééquilibrage puisque selon Nicolas Binet, directeur de Marseille Rénovation Urbaine, concernant les reconstitutions de l’offre, un tiers ont été réalisées sur place, 20% au centre-ville, qui est en ZUS, et 50% hors site.
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Plus circonscrite, peu éloignée du centre-ville, plutôt bien reliée à son environnement, accessible par l’autoroute A6 et située à proximité de la gare SNCF de Vaise, bien désservie par les transports en commun (métro jusqu’à Vaise, bus au-delà), La Duchère se distingue des deux autres grands ensembles par une problématique de décloisonnement et de maillage interne au site avec reconstitution d’une centralité, garantie d’une unité urbaine.
Les Quatre-mille de La Courneuve et les quartiers Nord de Marseille sont, en comparaison, dominés par le problème de la relation au centre-ville. Toutefois, entre ces deux sites la problématique diffère. Dans les quartiers Nord de Marseille, la ZUP n° 1 ayant à l’origine constitué une opportunité pour les acquisitions foncières et les travaux de la L 2, dut se plier aux contraintes de la rocade. De sorte qu’aujourd’hui la fracture est urbaine autant que sociale, et l’objectif est bien de faire en sorte que la rocade qui traverse les quartiers de l’ex-ZUP soit structurante pour le renouvellement urbain auquel elle doit désormais s’adapter.
L’enclavement dont souffrent les 4000 est d’un autre ordre. Bernard Barre, ancien directeur de l’urbanisme de La Courneuve, rappelle que « la question de la discontinuité spatiale se pose ici à une échelle qui n’est pas celle de la grande périphérie ou d’un très grand éloignement du centre ». Le grand ensemble des 4000 tournant le dos au centre-ville, l’objectif de la rénovation est de le retourner et de l’ouvrir sur le cœur de ville, non sans que ce dernier soit en parallèle revitalisé pour mériter le recours à la métaphore organique. C’est la raison de la création de la ZAC dite Convention/République. Pour B. Barre, « la première des discontinuités entre le grand ensemble et la ville est en tout premier lieu d’ordre social, et résulte d’abord […] d’une politique de peuplement de nature ségrégative »[2].
BJ, JJ, BP, JFS – Juillet 2017Réalisé avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’IUAR d’Aix-en-Provence |
[1] Marseille-ville territoire paru dans La Ville (Alger-Marseille-Barcelone) de janvier 1995.
[2] Citations tirées d’un document établi à l’attention du jury du Grand Prix de l’Urbanisme 2000, actualisé en avril 2001.
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A suivre : 4. Des démarches politiques, plus ou moins intégrées
a) Les Quatre mille de La Courneuve : la société urbaine avant l’urbanisme
b) La Duchère : le primat du paysage urbain et la mixité en ligne de mire
c) Les quartiers Nord de Marseille : le défi de l’enclavement et des infrastructures
5. A la charnière de la rénovation urbaine et du renouveau social
a) Le traumatisme des démolitions
b) Des stratégies de peuplement ambivalentes
6. L’avenir encore incertain de la métropolisation
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Pour m’écrire : serre-jean-francois@orange.fr