Chères lectrices, chers lecteurs
Si par la teneur alléchés du résumé de l’étude-témoignage du renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille postée le 10 septembre dernier, ou plus sérieusement par intérêt affectif, intellectuel, professionnel, vous ne craignez pas de vous lancer dans la lecture de ce feuilleton, nous vous invitons, en préalable, à prendre aujourd’hui connaissance des motivations de ses auteurs (une équipe de cinq retraités prématurément amputée d’un de ses membres pour raison de santé) et de l’esprit – à défaut de méthode rigoureuse – qui ont présidé à la réalisation d’une aventure émaillée d’imprévus et de quelques contrariétés.
Sachant que la semaine prochaine, nous rentrerons de plain-pied dans notre sujet par l’inscription des sites étudiés dans leur contexte géographique et historique.
Bonne lecture
A la mémoire de Marcel Hénaff, qui a si bien su relier, avec autant de sobriété que de pénétration, dans son ouvrage, La ville qui vient (Editions de L’Herne, 2008), joyau de la littérature de l’urbanité, l’avenir pressenti des villes à leur fondement anthropologique, indissociable de leur fondation matérielle. La ville qui vient, source d’inspiration de ce qui fut au coeur de cette enquête.
SYNTHESE COMPARATIVE
« Il ne s’agit plus seulement de livrer des logements en plus grand nombre possible. Il s’agit de faire naître des quartiers nouveaux composés avec tous les équipements publics et les activités commerciales, artisanales ou industrielles nécessaires pour qu’ils aient eux-mêmes une vie collective propre tout en s’intégrant dans un ensemble urbain ou régional plus vaste.»
Pierre Sudreau, ministre de la construction de 1958 à 1962
Selon une enquête conduite par Paul Clerc dans 53 grands ensembles d’agglomérations d’au moins 30 000 habitants en 1965, 88% des habitants d’immeubles collectifs se déclaraient satisfaits de leur logement… comparé à celui occupé précédemment.
« En quoi le passé, ses réussites comme ses erreurs, peut aider pour éclairer les actions à venir ? »
Jacques Jullien, ancien directeur régional de la SCET
Ce travail réalisé en collaboration n’est pas sorti de rien. Il s’inscrit dans un contexte et une certaine conjoncture. Dans des histoires personnelles aussi que l’on taira, non par pudeur mais parce que hors sujet malgré le lien ténu mais résistant auxquelles il se rattache. C’est aussi dire que cette étude couronne des parcours professionnels qui n’ont pas manqué de laisser des traces et des interrogations que l’on pourra déceler en filigrane comme autant de problématiques, que ce soit celle du projet, de l’intégration urbaine, de la forme architecturale, de l’insertion sociale, de leur articulation, de l’organisation du pilotage… rencontrées dans le cours de l’enquête. Ce qui ne saurait, bien évidemment, tenir du hasard.
Une ultime interrogation nous taraude aujourd’hui : 40 ans après le lancement des démarches Habitat et vie sociale (HVS), 26 ans après la création d’un ministère de la ville attribué à Michel Delebarre (1990), pourquoi le dernier rapport publié par l’Observatoire des Zones Urbaines Sensibles (ONZUS), pour 2014, fait-il le constat que les écarts entre les quartiers, pourtant prioritaires, de la politique de la ville et les autres continuent à se creuser ? Constat non contredit par le rapport pour 2015 du nouvel Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV) qui lui a succédé, mais se garde bien de faire des rapprochements d’une année sur l’autre, les nouveaux critères de la géographie prioritaire lui en offrant le prétexte. Quant au rapport de ce même observatoire pour l’année 2016 on notera, qu’outre l’établissement d’une typologie des quartiers prioritaires et un état des lieux de la mise en place et du fonctionnement des Conseils citoyens, il est axé sur l’impact du PNRU sur la mixité social entre 2003 (année de promulgation de la loi Borloo) et 2013[1]. Il note à plusieurs reprises que les progrès enregistrés sont encore modestes (4 occurrences), tout en faisant remarquer que le PNRU n’est pas achevé. Il ne revient pas sur la question des conditions de vie des habitants, les écarts constatés avec les autres quartiers et les évolutions qu’avait pointées le rapport pour 2014.
La politique de la ville est-elle une politique d’exception destinée à être supplantée à terme par une politique urbaine liant indissolublement les aspects urbanistiques et sociaux ou est-elle appelée à durer ? Auquel cas il faudrait changer de registre pour en redéfinir la finalité et, partant, son positionnement dans l’ordre juridique, avec les conséquences qui en résulteraient sur la vocation de la société urbaine à incarner l’idéal républicain. Autant de questions, reflet des préoccupations des acteurs de terrain, que notre enquête a soulevées, propres à interpeller, croyons-nous, les responsables à quelque niveau qu’ils se situent.
Telles sont les motivations qui nous ont conduits, la retraite venue, à déposer à l’automne 2011 auprès de l’Institut CDC pour la Recherche ce projet d’étude portant sur les démarches de rénovation-renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de La Duchère à Lyon et des quartiers Nord de Marseille, et à centrer le sujet sur le clivage entre disciplines et le cloisonnement des pratiques qui en résulte, lesquels nous sont apparus comme pouvant être à l’origine des difficultés rencontrées par les praticiens pour relier les problématiques de la rénovation à celles de la société urbaine, saisie dans ses diverses dimensions. Comme si le défaut de vision globale pouvait être compensé par l’alternance de stratégies mises en œuvre au gré de changements de majorités politiques, et ce, au détriment de la cohérence de traitement dans la durée [2].
Mais, le produit de ce travail collectif (quatre membres, un cinquième ayant dû renoncer pour raisons de santé) est également tributaire des conditions dans lesquelles il s’est déroulé et qui nous ont amenés à réduire les déplacements pour limiter des frais jugés trop élevés. Il porte la marque des perturbations qui en ont résulté. En conséquence de quoi, nous avons dû aussi en rabattre sur les ambitions de départ, nous adapter et infléchir en cours de route une méthodologie qu’on aurait souhaité plus rigoureuse et plus collaborative (planifiée initialement sur deux années, pour être en phase avec la préparation du Programme National de Renouvellement Urbain, l’étude s’est en fait prolongée sur plus de cinq ans compte tenu du retard au démarrage et des aléas de son déroulement). Raison aussi pour laquelle ce travail relève plus du témoignage d’anciens briscards que d’une recherche proprement-dite, avec l’espoir, sans-doute présomptueux, que les matériaux récoltés et les pistes explorées pourront intéresser quelques chercheurs après nous, moins contraints et plus aguerris, en vue d’en conforter les hypothèses, et servir à des professionnels n’ayant pas le recul suffisant pour évaluer l’impact de leur pratique sur une société urbaine insaisissable dans le feu de l’action ; sachant bien qu’il n’est, dans ce rapport d’enquête, pas de réponses apportées à nos interrogations qui n’aient été inspirées par les acteurs avec lesquels nous nous sommes entretenus. Ce serait donc bien en vain que l’on y chercherait l’originalité, ou des recettes, juste des propositions suggérées par l’expérience.
Le point de vue adopté sera celui de l’aménageur, ne serait-ce que par fidélité à l’esprit de notre métier. Ce point de vue, c’est celui de l’espace à deux dimensions, objet du « zoning », qui a le tort de faire trop bon marché de la troisième dimension, celle que promeut l’urbaniste avec sa vision en volume. Il tend, en outre, à sous-estimer les enjeux économiques, sociaux et culturels, lesquels, pourtant, constituent autant de dimensions qui, pour être complémentaires, n’en sont pas moins substantielles. Or, la retraite nous permet justement de prendre le recul nécessaire pour souligner les limites de ce point de vue et faire le lien avec les aspects sociaux, économiques et culturels du renouvellement urbain, conscients que nous sommes que la ville est inséparable de la société urbaine qui l’abrite et l’anime. A cette exigence, ne pouvait tenter de répondre qu’une équipe pluridisciplinaire de praticiens partageant les mêmes attendus.
Notre approche du sujet se décompose en trois étapes : l’état des lieux, les objectifs, la démarche pour les atteindre. L’état des lieux, nous a fait apparaître les sites comme étant contrastés à la fois physiquement et socialement, mais non sans que s’en dégagent des constantes : une homogénéité de formes urbaines, à la base de tours et de barres, et une homogénéité de statut social (catégories socioprofessionnelles et niveaux de vie) alliée à une diversité d’origines culturelles. Contrairement à une première intuition, il nous est également apparu que les objectifs, malgré les injonctions des pouvoirs publics centraux, pouvaient différer localement : priorité urbanistique pour les uns, sociale pour les autres ; mixité sociale pour les uns impliquant de « casser les ghettos », promotion des populations en place pour les autres…, étant précisé que ces objectifs sont aussi dépendants de l’horizon dans lequel on se situe : court ou long terme. Quant aux démarches adoptées, au croisement du diagnostic dressé et des objectifs fixés, elles articulent différemment les diverses dimensions de l’urbain, au sens large du terme, et les phases de projet et de réalisation. C’est dire qu’en cheminant, la réalité s’est révélée moins simple qu’elle ne nous était apparue de prime abord, les politiques de la ville au niveau local étant quelque peu décalées par rapport à la politique de la ville.
Pour avoir suivi un cheminement largement improvisé du fait des contraintes et incidents de parcours rencontrés (empêchements, voire abandons pour raison de santé), l’étude n’a pas non plus été exécutée sans méthode. D’une part, si le travail a été réparti entre les membres de l’équipe en fonction du lieu de résidence de chacun pour des raisons pratiques et d’économie, l’étude des aspects économiques et d’insertion professionnelle a été prise en charge transversalement par un spécialiste de ces questions ; d’autre part, si les investigations auxquelles les membres de l’équipe se sont livré ont porté à la fois sur la collecte de documents et de données, y compris statistiques, ainsi que sur des entretiens (une centaine), ce sont ces derniers qui ont été privilégiés, mais toujours avec le souci de les confronter à des éléments d’information objectifs, étant convaincus que les distorsions constatées au niveau des pratiques n’étaient pas sans lien avec les écarts que nous pouvions détecter entre les données statistiques, les documents de planification et programmation urbaines et les discours des acteurs de terrain ou des administrations.
Enfin, conscients de l’inévitable partialité de nos conclusions, nous avons tenu, au terme de l’enquête, à échanger avec nos interlocuteurs pour les conforter. Le dialogue ainsi entretenu nous a bien évidemment amené à revenir sur certaines de nos appréciations et à mettre en regard le jugement porté sur elles par les acteurs de terrain.
Etude-témoignage avons-nous dit, fruit du dépouillement d’une centaine d’entretiens. Mais cela ne va pas non plus sans interprétation de la parole des acteurs et des habitants confrontée aux données recueillies par ailleurs. C’est l’objet de cette synthèse, sujette, bien sûr, à discussion.
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[1] Le rapport rappelle que le PNRU 1 comprend 399 projets locaux et indique que près de 70% des investissements du programme et 64% des subventions de l’ANRU ont été consacrées à l’habitat. En 10 ans, de 2003 à 2013, 15% des logements sociaux des quartiers en rénovation ont été démolis et près de la moitié des ménages concernés (47%) ont été relogés dans ces mêmes quartiers, manifestant la limite de la politique de « peuplement » poursuivie par les pouvoirs publics. A partir des résultats d’une analyse contrefactuelle, le rapport observe « une évolution du peuplement des quartiers conforme à l’objectif de mixité sociale, dans un contexte général peu propice, comme en témoigne les évolutions de pauvreté dans les autres ZUS ». C’est ainsi que la diminution moyenne de la proportion de ménages du premier quartile (les plus pauvres) a été, entre 2003 et 2013, de 1,2 point dans les quartiers objet de PRU par rapport aux autres quartiers de ZUS. Inversement la proportion de ménages du dernier quartile (les plus riches) a augmenté de 0,3 points. D’autre part, le pourcentage de ménages relevant du premier quartile a évolué de 45,6% à 45,9% dans les quartiers en rénovation urbaine alors que dans les autres quartiers situés en ZUS il est passé de 40,6% à 42,0%. Quant à la part de ménages du dernier quartile, il passe de 10,0% à 9,8% dans les quartiers en rénovation et de 11,6% à 11,1% dans les autres. Evolution positive mais effectivement encore modeste. Enfin, toujours selon le rapport, « les logements privés construits entre 2003 et 2013 accueillent une proportion de ménages pauvres deux fois moindre que celle des logements sociaux » : 25,8% contre 53,8%. Le rapport relève également d’importantes variations selon les quartiers, un quart des quartiers concentrant les évolutions les plus importantes en ce qui concerne le peuplement, ceux où les démolitions ont été les plus intenses (1/4 des quartiers représentant 28% des démolitions contre 7% ailleurs mais toujours en ZUS) : le taux de diversification y atteint 6% contre respectivement 3,7% ailleurs. On notera que les quartiers témoins de l’analyse contrefactuelle sont des quartiers classés en ZUS ; les résultats obtenus sont par conséquent relatifs aux effets de la rénovation sur l’évolution du « peuplement ». Ils ne disent rien sur l’impact des mesures spécifiques à la politique de la ville sur la généralité des quartiers « sensibles » ! C’est la limite de l’analyse par rapport à la problématique que nous avons cherché à cerner à travers nos trois études de cas.
[2] Certains nous ont opposé que l’alternance de stratégies serait liée à l’actualité et à l’acuité des problèmes qu’elle posait aux pouvoirs publics : la pénurie de logements, l’emploi, la précarité, l’exclusion, l’échec scolaire, la dégradation de l’hygiène, la délinquance… Il est incontestable que ces facteurs peuvent jouer et orienter les politiques, mais n’expliquent pas les sempiternels revirements stratégiques au gré des changements de gouvernement ou des renversements de majorité.
Juillet 2017 – BJ, JJ, BP, JFS
Réalisé avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’IUAR d’Aix-en-Provence
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A suivre : Trois histoires urbaines parallèles et néanmoins singulières
Pour m’écrire : serre-jean-françois@orange.fr
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