LYON-LA DUCHERE : La place de la religion dans l’espace public

Chères lectrices, chers lecteurs

Ce n’est pas parce que nous entamons une « nouvelle » année qu’elle ne se situerait pas dans le prolongement de l’ancienne. Les « gilets jaunes » sont là pour nous le rappeler. Mais si le mouvement s’essouffle, sa persistance au-delà de la trêve des confiseurs, n’en manifeste pas moins une métamorphose : de mouvement revendicatif en délinquance collective n’hésitant pas à s’attaquer aux biens et aux personnes. A telle enseigne que les « black blocs » prennent la tenue des « gilets jaunes » et que ces derniers hésitent de moins en moins à adopter les comportements des premiers pour manifester sous la cagoule. Retour du refoulé ?

Après les concessions faites par le pouvoir sur le plan social et celui des pratiques démocratiques, il serait plus que temps que le gouvernement et le « mouvement » en tirent les conséquences en matière sécuritaire, sachant qu’on a plus affaire à une nébuleuse qu’à un mouvement identifiable. Il est, à cet égard, pathétique d’entendre sur les ondes les commentateurs les plus avisés exprimer pour nous, sourds mais non aveugles, ce que pensent les « gilets jaunes », ce qu’ils réclament, ce qu’ils peuvent bien ressentir ; des journalistes interpréter leurs faits et gestes à la lumière des sciences sociales ; des intellectuels de renom se croire obligés de se mettre en retrait de leur statut social pour mieux comprendre les motivations des acteurs d’un mouvement insaisissable. Il est pathétique de voir les uns et les autres suspendus aux sondages partiels effectués sur quelques ronds-points faire des pronostics sur l’avenir d’un mouvement aussi spontané ; de voir, surgissant brusquement de leur retraite, des personnalités jadis en vue exciper de leur expérience passée de la politique et des mouvements sociaux pour nous commenter des évènements inédits ; de voir des « responsables » politiques chercher, sur le fil du rasoir, à reprendre à leur compte des mots d’ordre pour beaucoup aussi contradictoires qu’inconsistants ; pathétique enfin, le souci des médias d’inviter sans plus de discernement, au nom du principe d’égalité de traitement de l’information, des « représentants » des « gilets jaunes ».

Pour être pathétique, le constat, reflet d’une faillite de notre faculté de jugement et expression de notre impuissance, n’en est pas moins alarmant. Tant de vains efforts pour essayer de dévoiler le sens d’une « geste » qui évoque des archaïsmes auxquels on ne saurait pourtant l’assimiler sans grossière méprise : les « gilets jaunes » semblent avoir désormais adopté une stratégie consommée d’agitateurs qui, n’ayant plus rien à perdre, n’aspireraient qu’à entrainer l’opinion dans un délire de mise à bas des institutions démocratiques, lesquelles, pour être malades, n’en ont pas moins le mérite d’exister en dépit de l’affadissement de leurs symboles. Pendant ce temps, en Europe même, les Hongrois manifestent pour sauver les leurs menacées par un pouvoir autoritaire se réclamant d’une conception illibérale du régime politique et d’un nationalisme sans complexe. C’est Tamas Miklos Gaspar, philosophe hongrois, qui le dit : « La Hongrie est le plus mauvais élève européen des libertés publiques et de l’autonomie des institutions. » Puisse la France ne pas le devenir à son tour à la faveur de l’exploitation politique d’un mécontentement social, qui, justifié en dépit de ses incongruités, devrait se saisir du grand débat public proposé par le président de la République en vue de conforter un régime démocratique certes vacillant mais non moribond.

La France en aurait presque oublié qu’il y a trois ans jour pour jour la tuerie de Charlie Hebdo se soldait par 12 morts et 11 blessés. Mais l’attentat djihadiste du 11 décembre dernier à Strasbourg (5 morts et 11 blessés) est venu rappeler que la menace restait bien présente. Il s’en est cependant fallu de peu que l’écho ne fut étouffé par la fureur « jaune », comme si les réflexes de solidarité ne pouvaient éviter de se faire concurrence. On rêve, n’en déplaise à Emmanuel Todd, d’une contre-manifestation d’une ampleur de celle des 10 et 11 janvier 2015 ayant rassemblé dans le recueillement quelque 4 millions de personnes dans tout l’Hexagone, à comparer aux 50 000 manifestants, des égarés parmi des excités ou des excités parmi des égarés, de samedi dernier.

Quel rapport entre ce rappel et les dérives d’un mouvement qui n’en finit pas de se chercher une identité et une plate-forme de revendications cohérentes ? Tous les évènements sont singuliers et, outre que ceux évoqués sont dans leurs conséquences humaines hors de proportions, il serait bien osé de faire des rapprochements tant les contextes dans lesquels ils s’insèrent sont différents. Sauf que dans tous les cas, ceteris paribus, on a affaire à une accumulation de frustrations, certes de causes variables, un déficit de reconnaissance, qui débouchent sur une même violence irrationnelle dont le déchainement est un défi à l’intelligence. Autant de facteurs psychologiques dont le poids dans la formation de la personnalité est sans commune mesure avec celui des conditions matérielles d’existence, bien que les premiers ne soient pas sans lien avec les secondes. Enfin, les injures à caractère ouvertement raciste, les menaces anonymes de morts proférées, y compris à l’encontre de « gilets jaunes », ne sont pas sans évoquer la barbarie qui, avec son lot de violence et d’obscurantisme, sommeille, sans l’excuse des influences extérieures, sous le volcan dont ces derniers entretiennent l’éruption, quoiqu’ils en aient ; sachant que l’histoire récente nous a appris combien le passage à l’acte, dépourvu de signes avant-coureurs, pouvait être vite franchi.

Traditionnellement couleur de l’infamie, mais qui serait en voie de réhabilitation, « le jaune a un bel avenir devant lui  » affirme en bonne part Michel Pastoureau (Le petit livre des couleurs). Acceptons-en l’augure.  

Aussi, n’est-ce pas tout-à-fait par hasard que nous reprenons aujourd’hui notre enquête sur le renouvellement urbain du quartier de La Duchère à Lyon. Après avoir exposé la relation que la rénovation entretenait avec la culture, grande oubliée des piliers du développement durable, il reste, en effet, à nous interroger sur la place qui peut être réservée à la religion dans l’espace public, alors même que fait retour cette violence à laquelle elle est originellement liée. Et ce, avant de conclure la semaine prochaine sur le pilotage interdisciplinaire des opérations d’aménagement et des actions sociales et culturelles qui les accompagnent.

Bonne lecture.

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Duchère : Flèche de l’église de Balmont convertie en cinéma d’Art et d’Essai

La place de la religion dans l’espace public, son articulation avec la culture

Il faut compter, parmi les institutions et les acteurs qui participent à la vie du quartier, avec le Foyer protestant, très présent et les représentants des autres confessions. Annie Schwartz dans ses « Mémoires d’un grand ensemble » en 1993 se faisait l’écho de « liens intercommunautés » ayant contribué à l’instauration « d’une certaine harmonie dans la cohabitation de personnes aux sensibilités et aux origines ethniques différentes ». Elle rapporte que « ces liens privilégiés entre les trois communautés, renforcés par des contacts individuels et de voisinage ont abouti à la naissance du Groupe Abraham, un groupe presque unique selon Ali Benald » de l’Association de la Communauté musulmane de La Duchère qui lui explique que « nous sommes partis du constat que juifs, chrétiens, musulmans, nous avions le même Dieu et que par conséquent, il ne pouvait pas nous dire des vérités différentes ». Pourtant en mars 2002, la synagogue, voisine de la mosquée, était l’objet d’une agression matérielle unanimement condamnée par les représentants des trois communautés. Cela n’a cependant pas suffi à calmer les esprits, au point que la synagogue a dû envisager son déplacement.

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SEMINAIRE ANALYSE ET POLITIQUE DE LA VILLE : La ville dans l’action publique – Un demi-siècle d’expériences

Chères lectrices, chers lecteurs

C’est, l’heure de la retraite  venue, pour ne pas entrer en errance oisive que j’avais, voici cinq ans déjà, entrepris cette pérégrination dans la littérature de la ville. Pérégrination au gré de retrouvailles au fond de ma bibliothèque ou de nouvelles rencontres, parfois inopinées. L’itinéraire ainsi reconstruit depuis les célèbres enquêtes de Villermé en France et Engels en Angleterre m’ont permis de vous faire partager ma passion pour ces « urbanités » qui, traversant toutes les disciplines, les transcendent pour rejoindre les « humanités ». Convergence qui ne tient nullement au hasard mais bien plutôt d’un destin qui nous a progressivement fait passer de la vie campagnarde à la vie urbaine, laquelle n’a pas fini de se renouveler pour tantôt nous rebuter tantôt nous attirer, nous séduire ; bref, toujours nous surprendre.

Puis, délaissant quelque peu nos livres,  nous avons renoué avec le terrain pour vous livrer le témoignage d’une enquête portant sur trois sites en rénovation : Les Quatre mille de La Courneuve, La Duchère à Lyon et les Quartiers nord de Marseille. Enquête au cours de laquelle nous avons cherché à comprendre les errements d’une reconquête urbaine doublée d’une thérapie sociale à travers une centaine d’entretiens auprès de professionnels et d’acteurs associatifs ainsi que d’habitants, non moins acteurs de la transformation de leurs lieux de vie.

De notre parcours livresque à l’enquête de terrain, aucune rupture, tant l’un de l’autre se sont réciproquement nourris. Et il n’y a pas moins continuité avec ces séminaires d’«analyse et politique de la ville» que nous publions à partir d’aujourd’hui. Riches d’interventions pluridisciplinaires et de débats, ils sont animés par Guy Burgel depuis plusieurs années en partenariat avec le LGU de l’université Paris Nanterre, la FMSH, l’EHESS et le Comité d’Histoire des ministères de l’Ecologie et de l’Habitat. Pour l’année 2017-2018, consacrée à « La ville dans le débat public », le premier de ces séminaires, dont la session s’est tenue le 15 décembre dernier portait sur « La ville dans l’action publique : un demi-siècle d’expériences », dont vous pouvez lire le compte rendu ci-dessous. 

Photo Marcus (Flickr)

Ville nouvelle de Marne-la-Vallée : Les Espaces d’Abraxas (vue de l’Arche) de Ricardo Bofill ; lequel, dans une interview au Journal Le Monde du 8 février 2014, avouait « Je n’ai pas réussi à changer la ville » (Photo Marcus/ Flickr) :

« Le projet est né d’une utopie théorique, en Espagne, dans les années 60. “Ville dans l’espace” consistait à considérer la ville comme un processus et non comme un objet fini. L’objectif était de mélanger les catégories sociales et de créer des modules qui peuvent être investis de différentes manières. […] Ma démarche est opposée à celle de Le Corbusier. »

« Mon modèle n’a pas été pris en exemple pour construire d’autres villes. Je me suis trompé dans la temporalité. La période, la fin des années 60, n’était pas propice au changement car après moi, on a continué à faire des barres. Le malheur qui règne dans les banlieues françaises n’a pas été aboli. »

« Il s’agit d’un espace unique qui a pâti du manque d’esprit communautaire propre à la France : les populations ne se sont pas mélangées. Mais les Espaces d’Abraxas ont été abandonnés : à l’époque, on disait que pour que ça marche il fallait y faire vivre au maximum 20 % d’immigrés, afin de réussir à réellement mélanger les populations. Ça n’a pas été appliqué. Le manque également d’équipements et de commerces et le fait que l’espace soit fermé sur lui-même pose des problèmes à certains. Pour moi, c’est une expérience unique et finie et je ne la répéterai jamais car j’ai vu les difficultés que ça entraîne. »

Ricardo Bofill

Compte rendu du séminaire

Sommaire des exposés et intervenants

 Retour sur une action : la politique des villes nouvelles

  • Sabine Effosse (historienne, Université Paris Nanterre)
  • Bertrand Warnier (urbaniste, Établissement public d’aménagement de Cergy-Pontoise)

De la loi d’Orientation foncière (LOF) à la loi Solidarité et Renouvellement urbain (SRU) : la loi sur la longue durée

  • Laurent Coudroy de Lille (géographe, Université Paris Est Créteil, Institut d’urbanisme de Paris)

Une innovation : le ministère de la politique de la ville

  • Renaud Epstein (sociologue-politologue, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye)

Deux témoignages personnels sur la politique de la ville

  •  Yves Dauge (ancien sénateur-maire de Chinon, Indre-et-Loire)
  • Jean Frébault (urbaniste, Conseil général des Ponts et Chaussées)

Table ronde : Présence et absence de la ville dans le débat public

  •  Jean-Pierre Duport (ancien préfet d’Île-de-France, de la Seine-Saint-Denis, ancien président de Réseau ferré de France)
  • Christian Devillers (architecte-urbaniste)

Conclusion

  •  Guy Burgel
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LA VILLE COMME « EXPERIENCE INTERIEURE »

Composition X de Vassily Kandisky
Entre conscience et cosmos : la ville
http://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/kandinsky/kandinsky.comp-10.jpg

La ville comme « expérience intérieure »

Sans chercher à s’extraire de son environnement, même la ville, métaphore de l’être social, gagnerait à une plongée dans L’expérience intérieure [*]. Ainsi nous interpelle Georges Bataille :

« L’être particulier, perdu dans la multitude, délègue à ceux qui en occupent le centre, le souci d’assumer la totalité de l’ “être”. […] Cette gravitation naturelle des êtres a pour effet l’existence d’ensembles sociaux relativement stables. En principe, le centre de gravitation est dans une ville ; dans les conditions anciennes, une ville, comme une corolle enfermant un pistil double, se forme autour d’un souverain et d’un dieu. Si plusieurs villes se composent et renoncent à leur rôle de centre au profit d’une seule, un empire s’ordonne autour d’une ville entre autres, où la souveraineté et les dieux se concentrent : dans ce cas, la gravitation autour de la ville souveraine appauvrit l’existence des villes périphériques, au sein desquelles les organes qui formaient la totalité de l’être ont disparu ou dépérissent. De degré en degré, les compositions d’ensembles (de villes, puis d’empires) accèdent à l’universalité (tendent vers elle tout au moins). »

Il n’est pas de meilleure expression du défi auquel est confronté le gouvernement à la veille (ou l’avant-veille) de l’annonce d’un énième plan pour les banlieues cautionné par un revenant.

Comment les banlieues peuvent-elles tirer profit du dynamisme des centres-villes pour conforter leurs particularismes et valoriser leurs ressources propres ?

Comment les villes moyennes et petites peuvent-elles encore jouer leur rôle dans l’aménagement du territoire sans être affaiblies, voire écrasées, par le développement des métropoles régionales ?

Last but not least, la capitale peut-elle continuer à accroitre son pouvoir d’attraction sur les nantis sans rejeter les démunis, et à s’enrichir sans en faire bénéficier la province ?

Si la théorie du ruissellement n’a jamais été validée en économie, l’aménagement du territoire lui offre une bonne occasion de faire ses preuves à nouveaux frais et de prendre une revanche sur ses détracteurs ; juste retour de ce que la métropolisation doit à la ruralité et à l’urbanité, dont elle n’a cessé de se nourrir.

C’est un combat, « père de toutes choses » et « dernier mot de notre raison » selon Ernst Jünger [**], un combat – politique – en faveur de la solidarité pour contrer l’esprit de compétition ; pas simplement pour la survie, mais pour le plein épanouissement de l’être, dans son universalité autant que dans ses particularités.

________________________

[*] © pour l’édition originale : 1943. Texte revu en 1954.

[**] Le Combat comme expérience intérieure, écrit en 1921. La première citation est reprise d’Héraclite (Fragment B 53).

TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : Les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, Les quartiers Nord de Marseille

Chères lectrices, chers lecteurs

Avant les vacances j’avais publié de larges extraits d’une étude réalisée en collaboration avec trois autres collègues, retraités de l’aménagement comme moi, dans le cadre et avec le soutien d’un partenariat rassemblant l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET, filiale opérationnelle de la CDC, et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence.

Les conditions de réalisation de cette étude ne nous ont pas permis de la mener avec toute la rigueur souhaitée. Ayant dû adapter notre démarche en conséquence, l’étude que nous avons rendue fin 2016 après plusieurs avaries – accidents de santé, tracas d’intendance – relève de ce fait plus du témoignage que d’une véritable recherche.

D’une durée programmée initialement sur deux ans, notre travail, dont le projet avait été déposé à l’automne 2011, s’est en fait déroulé sur plus de cinq en raison de ces vicissitudes. Sans doute n’avons-nous pas su faire comprendre aux membres du partenariat le sens de notre travail tel que nous l’envisagions à un tournant de la politique de la ville impulsé par la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion Urbaine du 21 février 2014. Les conclusions arrivent un peu tard – encore que ce ne le soit jamais pour infléchir un mouvement, à défaut d’en renverser le sens – et ce serait à présent un autre chapitre à ouvrir, alors même qu’un nouveau gouvernement, formé sous une présidence élue dans l’enthousiasme des uns et le scepticisme des autres, reprend les choses en main sans que l’on connaisse encore bien ses orientations.

C’est pourquoi notre travail a aujourd’hui plus valeur de bilan que d’orientations, ces dernières suggérées par nos interlocuteurs alors que s’esquissaient le nouveau PNRU. Aussi, bien que datée, est-ce à la demande de plusieurs d’entre vous que nous nous sommes résolus malgré tout à publier en feuilleton la synthèse de cette étude dans son intégralité.

Etant bien conscients des imperfections et de l’inachèvement de cette enquête dont les données auraient, pour le moins, gagné à être actualisées, c’est à vous aujourd’hui de juger du résultat et d’en tirer, s’il y a lieu, des leçons pour la poursuite du renouvellement urbain.

Pour commencer nous vous livrons un résumé des conclusions auxquelles nous sommes parvenus et qui nous ont été soufflées par nos interlocuteurs, acteurs du développement urbain, habitants inclus, une centaine en tout, de provenance aussi diverse que les thèmes abordés l’exigeaient.

Si vous le souhaitez, vous pouvez, pour obtenir toutes informations complémentaires sur ce travail ou me communiquer vos observations, toujours bien venues, m’écrire à l’adresse e-mail suivante : serre-jean-francois@orange.fr.

Dans l’espoir de susciter votre intérêt, même et surtout critique, bonne lecture.

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Trois sites de renouvellement urbain emblématiques : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille

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Cité idéale, attribué à Fra Carnevale (XVe siècle) – Walters Art Museum de Baltimore
                                               Cliché Wikipedia

Résumé d’une étude-témoignage

Un constat est à l’origine de l’étude. Depuis plus de trente ans la politique de la ville alterne les politiques : immobilières, urbaines, sociales, en faveur de l’emploi…

Une interrogation vient se superposer à ce constat : comment se fait-il que le rapport de l’Observatoire National des Zones Urbains Sensibles (ONZUS) pour 2014 conclue à une accentuation des écarts entre les quartiers politique de la ville et les autres ? Constat non contredit par les rapports pour 2015 et 2016 de l’Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV) qui a succédé à l’ONZUS.

D’où l’hypothèse que cette situation pourrait être imputable à la difficulté des acteurs de la politique de la ville à articuler – pour nous en tenir aux quatre thèmes que nous avons choisi de placer sous le projecteur – les aspects urbains, sociaux, économiques et culturels ; difficulté recouvrant une impuissance à se donner une représentation intégrée de la ville et de ses quartiers dans leur environnement à la fois physique et humain ; l’alternance des politiques cherchant à compenser, bien en vain, ce déficit de vision globale, l’inconstance dans la stratégie se payant du prix de la pérennisation de politiques d’exception et temporaires basées sur des mesures de discriminations positives hésitant entre leur application aux territoires et aux gens.

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II – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : synthèse comparative

Chères lectrices, chers lecteurs

Si par la teneur alléchés du résumé de l’étude-témoignage du renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille postée le 10 septembre dernier, ou plus sérieusement par intérêt affectif, intellectuel, professionnel, vous ne craignez pas de vous lancer dans la lecture de ce feuilleton, nous vous invitons, en préalable, à prendre aujourd’hui connaissance des motivations de ses auteurs (une équipe de cinq retraités prématurément amputée d’un de ses membres pour raison de santé) et de l’esprit – à défaut de méthode rigoureuse – qui ont présidé à la réalisation d’une aventure émaillée d’imprévus et de quelques contrariétés.

Sachant que la semaine prochaine, nous rentrerons de plain-pied dans notre sujet par l’inscription des sites étudiés dans leur contexte géographique et historique.

Bonne lecture

Les 4000 de La Courneuve : quartier de La Tour

 

Marseille : quartiers Nord – Secteur du Merlan
La Duchère : place Abbé Pierre

A la mémoire de Marcel Hénaff, qui a si bien su relier, avec autant de sobriété que de pénétration, dans son ouvrage, La ville qui vient (Editions de L’Herne, 2008), joyau de la littérature de l’urbanité, l’avenir pressenti des villes à leur fondement anthropologique, indissociable de leur fondation matérielle. La ville qui vient, source d’inspiration de ce qui fut au coeur de cette enquête.

SYNTHESE COMPARATIVE

« Il ne s’agit plus seulement de livrer des logements en plus grand nombre possible. Il s’agit de faire naître des quartiers nouveaux composés avec tous les équipements publics et les activités commerciales, artisanales ou industrielles nécessaires pour qu’ils aient eux-mêmes une vie collective propre tout en s’intégrant dans un ensemble urbain ou régional plus vaste.»  

Pierre Sudreau, ministre de la construction de 1958 à 1962

Selon une enquête conduite par Paul Clerc dans 53 grands ensembles d’agglomérations d’au moins 30 000 habitants en 1965, 88% des habitants d’immeubles collectifs se déclaraient satisfaits de leur logement… comparé à celui occupé précédemment.

« En quoi le passé, ses réussites comme ses erreurs, peut aider pour éclairer les actions à venir ? »  

Jacques Jullien, ancien directeur régional de la SCET

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III – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : des histoires urbaines parallèles et néanmoins singulières (1. Les 4000 de La Courneuve)

Chères lectrices, chers lecteurs

Nous entamons aujourd’hui, après le préalable introductif publié la semaine dernière 17 septembre, l’analyse des sites enquêtés par un bref exposé historique permettant de remonter aux raisons d’une déshérence et à la gestation des remèdes qui seront appliqués en conséquence.

Jointe à l’étude de l’insertion des sites dans leur agglomération respective et à ses ratés, l’analyse, espérons-nous, permettra d’apporter les clefs indispensables à la compréhension des opérations de rénovation ou de renouvellement – selon les périodes – qui seront engagées dans des contextes politiques et économiques alternant interventions sur l’urbain, le social et l’économique sans guère d’esprit de suite.

Bonne lecture

 

A. Trois histoires urbaines parallèles et néanmoins singulières : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille

Partout on retrouve les mêmes ingrédients : un paysage de béton, des tours et des barres disposées orthogonalement, des dégradations dues à des défauts de préfabrication et à une construction hâtive, la fragmentation de l’espace indissociable de l’enclavement, des drames humains, et la pauvreté encore et toujours. Pourtant les gens changent plus vite que les pierres malgré quelques démolitions et reconstructions ça et là, mais la pauvreté et les difficultés de la vie, qui ne sont pas l’apanage des grands ensembles loin de là, elles, demeurent, diffuses. Pire, alors qu’on efface tant bien que mal les plaies de la pierre, les drames humains laissent une empreinte que la succession des générations peine à transformer en espoir faute d’entrevoir un avenir où se régénérer. Et le travail de mémoire engagé dans ces quartiers trop longtemps en déshérence, une fois décanté de ses scories, risque d’être vain s’il n’est pas susceptible de faire éclore les promesses du futur.

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VII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : des objectifs en partie partagés (3. les quartiers Nord de Marseille)

Chères lectrices, chers lecteurs

Nous poursuivons cette semaine notre compte rendu d’enquête dont nous avons publié un résumé le 10 septembre dernier.

C’est parce que la politique urbaine des années 50-60 n’a pas su prendre en compte dans sa complexité la société urbaine qu’on lui a appliqué l’emplâtre de la politique de la ville à partir des années 80. C’est parce que la politique de la ville a échoué à résorber les écarts de développement, à réduire les inégalités économiques, à promouvoir une culture commune à même de neutraliser les extrémismes religieux qu’on s’est résolu à recourir à une politique de « peuplement » poursuivant un objectif d’équilibre sociodémographique territorial dont l’enjeu est, au minimum, d’éviter que la concentration dans l’espace des handicaps sociaux et situations de précarité ne constitue un facteur aggravant, ne favorise la délinquance ou ne dégénère en manifestations de violence.

A l’heure où la politique de la ville est, sinon remise en question, intégrée dans un nouveau ministère de la cohésion des territoires et par ce fait même menacée de dilution, le moment est venu de se pencher sur son bilan. Ce que nous avons tenté, très concrètement, à travers l’étude de ces trois sites emblématiques en posant comme hypothèse que la fracture urbaine doublée d’une fracture sociale dont souffre les grands ensembles pourrait bien refléter une fracture plus générale de civilisation dont ces grands ensembles ne seraient l’avant-garde. D’où l’urgence de conjurer les risques de propagation des fêlures du corps social qu’ils préfigureraient par la mobilisation des énergies mises en oeuvre dans une rénovation urbaine dont la pertinence est parfois mise en cause, mais non la nécessité. Le grand ensemble comme métaphore d’un entre-deux monde dont la diversité ouvre sur des potentialités ambivalentes qu’il importe de savoir regarder en face lucidement avant tout engagement, aussi gros de risques que d’espoirs !

Après avoir resitué dans leur environnement et l’histoire de leur développement nos trois sites, et exposé les objectifs de la rénovation des Quatre mille et de La Duchère, nous poursuivons en présentant ceux des quartiers Nord de Marseille à travers Saint-Barthélemy et Malpassé.

Bonne lecture.

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Quartier du Canet (XIVe arrondissement)
Station Alexandre : ancienne gare de triage reconvertie après rénovation en centre d’affaires dans le cadre d’une ZFU

c.  Les quartiers Nord de Marseille : la recomposition urbaine et la paix sociale

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IX – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : les démarches adoptées (2. La Duchère)

Chères lectrices, chers lecteurs

En 1946, dans Bilan de l’histoire, René Grousset écrivait : « C’est une loi de l’Histoire qu’en de nombreux pays les provinces-frontières, les régions des Marches, sont souvent appelées à un rôle politique prépondérant. » Citation reproduite dans la préface de Robert Aron à la réédition de l’ouvrage. L’observation vaut pour ces marges que sont les banlieues dans les agglomérations et ces enclaves que sont les grands ensembles dans les banlieues ou en périphérie des centres-villes. Nous transposons la conclusion qu’en tire René Grousset en supprimant les termes relevant d’une analyse géopolitique pour mieux faire ressortir la pertinence de son application aux marges urbaines : « Leurs populations […], aguerries par une vie de lutte perpétuelle […], y acquièrent une supériorité […] qui finit par les imposer au reste de leurs compatriotes. »

La transposition est d’autant plus légitime qu’aujourd’hui les grands ensembles sont rattrapés par la croissance des agglomérations et qu’ils partagent avec les villes, dont « les murs » ne cessent de reculer, les handicaps et les atouts, les travers et les qualités, les misères et les espoirs… Comme si la ville et ses marges, avec ses enclaves, étaient appelées, pour le pire, à se contaminer et, pour le meilleur, à se féconder mutuellement, par-delà leurs limites, de plus en plus floues : « nouvelle frontière », creuset de toutes les initiatives, où se croisent les talents, par où transitent les innovateurs et porteurs de projets parmi les plus audacieux.

Les 4000 de La Courneuve, grand ensemble de la région parisienne, La Duchère, grand ensemble intra-muros, les quartiers Nord de Marseille, marquèterie de noyaux villageois, d’ensembles immobiliers, d’espaces verts et de terrains vagues : autant de configurations dans lesquelles une pensée binaire paresseuse tend à inscrire une opposition entre ville et banlieue, alors même que l’une et l’autre s’interpénètrent, parfois pour leur malheur, quand elles sont laissées à elles-mêmes, plus souvent pour leur bonheur, pourvu que leur développement conjoint soit accompagné à bon escient. Il y va de la cohésion de la société urbaine, irréversiblement confrontée à la diversité et à la mobilité de ses membres.

Après avoir, au chevet de nos trois sites, retracé, dans un premier temps, leur histoire et les objectifs de leur rénovation, puis exposé, dans notre précédent article, la démarche adoptée pour les Quatre mille de La Courneuve, nous poursuivons aujourd’hui avec La Duchère avant d’aborder la semaine prochaine les quartiers de Malpassé et Saint-Bathélemy au nord de Marseille.

Bonne lecture.

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b) La Duchère : Le primat du paysage urbain et la mixité en ligne de mire

Le paysage n’est autre chose que la présentation culturellement instituée de cette nature qui m’enveloppe.
Anne Cauquelin (L’invention du paysage)
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Halle d’athlétisme Stéphane Diagana Cabinet d’architecture Chabanne & Partenaires
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XIII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la question foncière et l’attraction de la culture

Chères lectrices, chers lecteurs

Après la phase de présentation générale et de diagnostic des quartiers politique de la ville de La Courneuve (les 4000), Lyon (La Duchère) et Marseille (Malpassé et Saint-Barthélemy), nous avons abordé dans la dernière livraison de notre blog la scène urbaine à partir de la question du peuplement dont nous avons entamé la critique. Nous poursuivons aujourd’hui avec la question foncière avant de présenter la semaine prochaine l’aménagement spatial. Les acteurs du développement urbain et le problème posé par le partage des compétences entre disciplines, qui vient singulièrement compliquer ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui d’un terme vague : la gouvernance, seront abordés par la suite.

Certes, il faut compter avec la part de subjectivité – inévitable – de l’exercice. Néanmoins, il n’est rien, des conclusions que nous avons tirées de notre enquête, qui ne nous ait été suggéré par nos interlocuteurs. S’il ne faut donc pas rechercher de scoop dans cet exposé, qui ne prétend nullement se situer à la hauteur d’une recherche académique, nous n’en estimons pas moins que les témoignages recueillis à travers une centaine d’entretiens méritent d’autant plus attention que le président de la République, le 14 novembre dernier à Tourcoing, après s’être attaché à redéfinir les objectifs de la Politique de la ville et énumérer quelques unes des mesures concrètes de leur mise en oeuvre, s’est prononcé en faveur d’une « méthode différente ».

En attendant que le recadrage de la politique de la ville se précise, sans doute n’est-il pas vain de revenir, à travers trois sites « emblématiques » de renouvellement urbain, sur un bilan de 40 année d’atermoiements pour en tirer des enseignements susceptibles de guider les politiques à venir.

Bonne lecture.

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b)   Quand la question foncière est mise sous le boisseau alors que la culture passe sur le devant de la scène

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Les 4000 de La Courneuve : plan de masse d’origine – Secteurs Sud-Ouest et Nord séparés par le carrefour des Six Routes, lieu d’implantation de la future gare du Grand Paris Express
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XIV – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : de la forme urbaine au paysage urbain

Chères lectrices, chers lecteurs

Si, pour passer du peuplement – impliquant des procédures de sélection – à la société urbaine – dont le concept est indissociable de la cohésion lui est inhérent – il faut introduire du lien social, encore faudra-t-il pour que la société urbaine prenne la consistance d’une ville que son architecture et sa forme urbaine soit accordée à ses aspirations, lesquelles dépassent de beaucoup ses besoins élémentaires pour prendre en compte la qualité des rapports sociaux et les perspectives d’ascension sociale de ses membres.

Entre le corps de la ville et l’esprit censé l’animer il faut de surcroît interposer l’élément qui assure l’adéquation entre la matérialité de l’urbain et la société. C’est ce qui a manqué au Mouvement moderne, obsédé par la fonctionnalité, pour faire vivre la ville. Cet élément, qui fait que la ville a une âme, est le paysage, seul à même d’introduire de l’émotion dans ce qui autrement risque de réduire l’urbain à un agencement de formes dénuées de repères et de sens.

Enfin, entre l’espace privé, espace de l’intimité investi par la personne, et l’espace public, espace anonyme du citoyen, c’est l’introduction de l’espace commun qui permet de garantir les solidarités sans lesquelles une ville ne serait qu’une coquille vide. Or, entre l’espace privé,  l’espace commun et l’espace public, c’est bien le paysage avec ses gradations qui fait la différence.

Tout est, comme on le voit, affaire de transitions. De transitions et non, sous prétexte de séparer ce qui est incompatible, de ruptures  comme trop souvent lorsqu’il s’agit de sortir de l’anomie et de mettre de l’ordre. C’est la déconnexion de l’urbanisme à société urbaine qui justifie le recours à l’art paysager pour renouer le lien affectif que le fonctionnalisme triomphant avait rompu au nom d’une conception purement formelle de l’environnement, réduit à un cadre de vie.

Peuplement, statut du foncier (articles XII et XIII de notre blog), paysage urbain (objet de notre livraison d’aujourd’hui) et espace commun (qui sera abordé la semaine prochaine), tels nous sont apparus les trois piliers susceptibles de rendre compte du phénomène urbain et de qualifier la ville, une fois dépassées les oppositions binaires. 

« Il y a, écrit Julien Gracq dans Le rivage des Syrtes, des villes pour quelques-uns qui sont damnées, par cela seulement qu’elles semblent nées et bâties pour fermer ces lointains qui seuls leur permettraient d’y vivre ». C’est l’avantage du paysage que d’ouvrir aux habitants des perspectives au-delà d’eux-même, sur le monde. 

Bonne lecture.

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c)   De la forme urbaine[1] au paysage urbain

« Etant donné l’origine historique du concept, on entendra donc par paysage urbain, le spectacle de la ville au quotidien, vu par le promeneur qui, sans hiérarchiser, prend en charge le réel non plus d’un regard circulaire et englobant dans une volonté de totalisation immédiate, mais au rythme de la marche, en intégrant le temps de la perception. Ce n’est plus le regard éloigné mais le regard de proximité tant spatiale qu’affective […] »
Françoise Chenet-Faugeras[2]
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La Duchère Façade d’immeuble place Abbé-Pierre
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