RUES DESERTEES, THEATRES FERMES

Paris – Avenue de la Grande Armée – 26 mars 2020
Photo Eric Salard / Flickr

La revanche du biopouvoir

En 2003, dans un entretien avec Richard Sennett, sociologue auteur de La Chair et la Pierre, Falk Richter, dramaturge allemand, metteur en scène d’Hôtel Palestine s’exprimait ainsi : « plus le théâtre a lieu dans la politique et dans les médias, moins il y a lieu au théâtre. » Il y a peu encore, la comédie ou le drame investissant les espaces publics, on était tenté de presser metteurs en scènes et comédiens de s’en emparer pour qu’ils rejouent sur scène ce que la rue exprimait, afin de rendre l’espace public au citadin.

Aujourd’hui, la pandémie a convaincu le biopouvoir, impatient de faire ses preuves et comptant sur la vulnérabilité des citoyens, de vider la rue et de fermer les théâtres. Occasion de se donner en spectacle par médias interposés et, après des mois d’agitations et de grèves inlassablement reconduites, de renforcer son emprise sur des citoyens confinés pour la bonne cause.

Les thèses de Michel Foucault n’avaient pourtant pas besoin d’être confirmées depuis quarante ans que l’exercice de la politique s’efforce de s’y conformer à travers le contrôle des populations. Sauf à considérer que, s’estimant maltraité par le politique, le biopouvoir aurait trouvé dans la pandémie l’opportunité de prendre sa revanche.

A situation exceptionnelle, action publique d’exception, rétorquera-ton. Certes, mais une fois le pli pris encore faudra-t-il, le mal terrassé, déplier la page pour une nouvelle feuille de route. Ce sera au pouvoir politique de s’y atteler après avoir remis chacun à sa place. Sans illusions toutefois, la marque restera. Puisse-t-il en être malgré tout pour le mieux.   

CONFINEMENT ET URBANITE

A propos de la pandémie de coronavirus, on évoque couramment un « après » qui ne sera jamais plus comme « avant ». Un « après » d’autant plus inquiétant, sinon angoissant, qu’on peine à en esquisser les traits, quand on n’y renonce pas. Et si l’on se résigne malgré tout à vaticiner c’est bien pour conjurer cette angoisse face à l’inconnu, qui nous attend au tournant pour se dévoiler ; au tournant d’une échéance encore incertaine et redoutée en tant que telle. Faudra-t-il faire table rase du passé, d’une culture à grand peine accumulée depuis des millénaires, revenir aux sources, ou plus modestement nous régénérer ? Faudra-t-il consentir à nous adapter – passivement – au lieu de chercher à nous rendre, plus encore qu’avant, « maître et possesseur de la nature » ? Peut-être faudra-t-il bien plutôt composer avec elle – dans tout ce que le terme de « composition » implique de solidarité – pour nous rendre enfin « maîtres et possesseurs » de nous-mêmes.    

En attendant, le confinement s’impose à nous dans toute son ambivalence : dispositif de protection contre le virus, qui se mue malgré nous en « enfer » sartrien de suspicion généralisée de l’ « Autre », notre prochain, d’où proviendrait le mal et dont il faudrait s’éloigner pour préserver notre intégrité. De là les rappels à l’ordre des nostalgiques d’un retour à la nature, assimilé à la campagne, présumée vierge des maux de la civilisation urbaine. Retour à un ordre de l’entre-soi champêtre et du repli dans ses frontières géographiques et ethniques. Ordre de la « ruralité » opposée à l’anomie de l’« urbanité ». D’où les relents d’ « urbanophobie », qui trouvent dans la pandémie la confirmation de leurs prédictions apocalyptiques. Aujourd’hui comme hier, mais avec ce facteur aggravant que la pandémie vient s’ajouter aux bouleversements climatiques et à la réduction de la biodiversité, imputables à la civilisation urbaine, bouc émissaire de nos malheurs cumulés.

Rien de tel pour se défaire de la tentation d’un retour à la nature et du repli sur soi que de briser le miroir que nous tendent les collapsologistes, rejoints par les pourfendeurs de la mondialisation, pour prendre conscience de ce qui se joue derrière, à savoir la confrontation avec un espace public vidé de sa substance. Peut-être ne nous en fallait-il pas moins pour comprendre combien il est difficile de rivaliser avec l’espace public quand il s’agit d’animer les espaces privés auxquels la ville est réduite par ces temps de confinement.

De quelle « inquiétante étrangeté » ne sommes nous pas saisis, lorsque dérogeant à l’injonction des pouvoirs publics, nous nous risquons à sortir de « chez-soi » pour se retrouver en « soi-même », dans une ville vidée de ses habitants, décor déserté, à peine animé par quelque passant le plus souvent accompagné de son chien, ou par le vol de pigeons, dont c’est le royaume, mais qui ne sauraient survivre longtemps à ce régime tellement ils dépendent de nous, les humains.

Le contraste avec la ville d’« avant » est si saisissant que nous ne pouvons pas ne pas redouter ce que serait cette ville d’ « après », prémonition d’un cataclysme que nous promet une écologie « profonde ». Si profonde qu’après avoir touché le fond, comme d’un « trou noir », il serait impossible d’en sortir. S’il fallait une preuve par l’absurde de ce que l’ « urbanité » recèle de positif, elle est bien dans ce spectacle de désolation d’une ville dépourvue de ses âmes, réduite à l’enfilade de façades derrière lesquelles ruminent leurs occupants, désœuvrés, attendant on ne sait trop quoi, tellement l’air de la ville bruisse de rumeurs contradictoires. L’air de la ville, censé nous rendre libre selon l’adage.

On s’en voudrait de culpabiliser les citadins qui, fuyant le confinement, ont déserté la ville pour se réfugier, qui à la campagne, qui à la mer, qui à la montagne. On pourrait bien leur reprocher une forme de lâcheté, alors que tant d’autres sont comme assignés à résidence, contraints et forcés de servir leurs congénères victimes du sort. Mais on ne saurait leur en tenir rigueur, bien persuadé que, sitôt levé l’interdit, ils n’auront de cesse que de rejoindre la ville, leur ville. Une ville qu’ils auront eu tout loisir de rêver dans leur retraite pour l’animer d’un sang épuré de ses miasmes urbains à leur retour.

Car l’ « urbanité », aussi salutaire qu’inéluctable, a encore de beaux jours devant elle. Une urbanité autant soucieuse de la nature que de l’homme, moins que jamais opposable à la « ruralité » avec laquelle elle partage le temps, au rythme des saisons. En bref, une urbanité débarrassée de ses phobies, tout entière vouée au réenchantement de la ville, cité charnelle avant que d’être minérale.

Raison suffisante pour, profitant de notre confinement, se plonger à nouveau dans la lecture stimulante de trois textes de Georg Simmel :

  1. Les grandes villes et la vie de l’esprit,
  2. Sociologie des sens ;
  3. Pont et porte.

Trois textes datant respectivement de 1903, 1907 et 1909, mais qui n’ont rien perdu ni de leur fraicheur ni de leur pertinence :

https://citadinite.home.blog/2013/06/10/la-sociologie-formelle-de-georg-simmel-la-ville-entre-liberte-et-alienation-1903/

Bonne lecture en attendant le retour à une meilleure fortune !  

A propos de SOCIOLOGIE DE L’ESPACE de Martina Löw

La ville n° 2 (1910) – Robert Delaunay
Coldc reaction / Wikipedia

L’espace au cœur du phénomène urbain

Dans L’espace critique Paul Virilio l’avait dit : « Ubiquité, instantanéité, le peuplement du temps supplante le peuplement de l’espace. » Autrement dit, aujourd’hui, le temps aurait pris sa revanche sur l’espace, dont on affirmait, jadis, qu’il était la marque de la puissance alors que le temps était celle de l’impuissance (Jules Lagneau : Cours sur la perception in Célèbres leçons). Les nouvelles techniques de l’information et de la communication (NTIC) en décuplant les vitesses de transmission et raccourcissant les distances aurait réduit l’espace à la portion congrue. C’est au temps désormais de contrôler l’espace par le moyen des communications électroniques et des transports rapides, qui mettent l’espace à la portée de tout un chacun en un « rien » de temps. On n’aménagerait plus tant l’espace que le temps, objet de toutes nos préoccupations comme en témoignent les dispositions prises par des villes toujours plus nombreuses pour prendre en compte les temporalités qui rythment le quotidien des citadins.  La conséquence en fut un éclatement de l’espace conduisant à un phénomène de « désurbanisation » générale, comme si privés de nos repères dans l’espace on se raccrochait au temps pour en trouver. Pourtant, la planification du temps, réduite au court terme, n’a rien gagné à l’abandon de toutes velléités de planification spatiale depuis les années 80.

Dans ses Principles of Economics publiés en 1936, Alfred Marshall prétendait déjà que « l’influence du temps est bien plus fondamentale que celle de l’espace ». Ce qui n’a pas empêché des auteurs de langue allemande, héritiers du modèle d’équilibre spatial de von Thünen appliqué au XIXe siècle à l’agriculture, de prendre en compte l’espace dans leur réflexion économique durant l’entre-deux guerres : August Lösch et Alfred Weber. Intégré dans la théorie économique l’espace n’apparaissait plus neutre et pouvait influer sur les équilibres économiques. Par ailleurs, en 1933 Walter Christaller, géographe, élaborait sa théorie générale des « lieux centraux ».

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DES ALIENES ET DES VILLES

Minecraft (Pixabay)

Les urbanistes auront noté avec intérêt, du moins ceux qui sont sensibles à la dimension sociale de l’urbain, qu’à Sainte-Anne l’équipe médicale utilisait un logiciel de simulation de la ville pour aider les schizophrènes à sortir de leur enfermement psychologique : « Les premiers résultats montrent une amélioration de l’attention, de la sensation de bien être physique et de la qualité des interactions sociales », commente un psychiatre du service.

La ville contemporaine en libératrice des aliénés, jadis irrémédiablement enfermés dans l’hôpital général.

Aux urbanophobes de tirer les leçons de l’expérience, sans pour autant porter préjudice à l’écologie, dont la ville, d’abord réticente, porte avec un engouement croissant les habits neufs.

Ville d’autant plus désaliénante qu’elle est verte.

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Référence : Le Monde du 24 juin 2015, supplément « Science et Médecine ».

LYON-LA DUCHERE : Au coeur du renouvellement urbain, la culture conjuguée à l’action sociale

Chères lectrices, chers lecteurs

Nous poursuivons aujourd’hui le récit tiré de notre enquête sur la culture dans le renouvellement urbain. A chaque territoire sa spécificité répondant à une histoire, une société locale et aussi à une politique. D’où des configurations variées. Les 4000 de La Courneuve, avec sa scène conventionnée, sur lesquels nous nous sommes précédemment penchés, se trouvait à cet égard dans une situation intermédiaire par rapport aux quartiers Nord de Marseille dominés par sa scène nationale et La Duchère dont le paysage culturel est plus éclaté, partagé entre une MJC, des centres sociaux et des compagnies théâtrales. C’est dire que la culture est non seulement se qui relie les habitants entre eux mais qu’elle est plus fondamentalement à l’articulation de l’urbain, compris dans sa matérialité, et de la société urbaine saisie dans sa chair. Ce qui vaut à l’architecture, au terme de la loi du 3 janvier 1977, d’être une « expression de la culture ». Définition que ne désavoue pas la loi du 7 juillet 2016 relative à « la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ».

A chacun son projet, donc, relié à un territoire dont l’espace architecturé disperse, en dépit de son immersion paysagère, des habitants que la culture a pour ambition de rassembler. C’est aussi bien le projet culturel et artistique de Francesca Poloniato, directrice de la scène nationale du Merlan à Marseille, dont le slogan « Au fil de l’Autre » est fondé sur « la présence, l’ouverture et le partage » que celui d’Armelle Vernier, directrice de la scène conventionnée d’Oudremont à La Courneuve, qui, dans un « monde en chantier », suggère de « laisser parler l’imaginaire : rêvons, échangeons, inventons, les artistes nous en donne l’occasion ».

Sous d’autres formes encore, les acteurs qui président au destin culturel de La Duchère ne disent pas autre chose sur le fond. Mais la forme est loin d’être indifférente au fond quand les cultures – le pluriel est de mise dans ces quartiers – sont confrontées à la diversité. Irréductible? à voir ! Défi ? c’est sûr !

Cela étant, dans un monde que la modernité a fragilisé, il faut bien s’interroger : où va la culture? vers quel horizon nous mène-t-elle ? Questions que l’on ne saurait approcher sans évaluer ce qui constitue l’efflorescence de toute culture : les expressions artistiques dans leur variété, et sans en sonder la source, à savoir les religions.    

Bonne lecture. 

La Duchère : l’esplanade « Compas-Raison » Aménagement sculptural de Serge Boyer
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LYON-LA DUCHERE : Au coeur du renouvellement urbain, la culture conjuguée à l’action sociale (2)

Chères lectrices, chers lecteurs

A l’heure où les « gilets jaunes », après les « bonnets rouges », contribuent à accentuer, non sans dramatisation, l’opposition entre le « peuple » des campagnes et le « gratin » des métropoles, on en oublierait presque une autre opposition qui  perdure malgré tout, celle entre centres-villes et banlieues, dont les grands ensembles, enclaves  aujourd’hui rattrapées par l’extension urbaine. Pour être de nature différente les deux oppositions n’en relèvent pas moins d’un antagonisme plus général entre tendances centrifuges et tendances centripètes prises dans un chassé-croisé toujours recommencé.

Pour le Centre d’études, de recherches et de formation institutionnelles (Cerfi),  fondé en 1967 par Félix Guattari, la ville était « métaphore » de la répression du désir à travers les équipements collectifs du pouvoir. Dans son sillage, Alain Médam pouvait en 1971 parler de « ville-censure » et  Jacques Dreyfus en 1976 de  « ville disciplinaire ». Mais, par un de ces renversements  dont l’histoire a le secret, aujourd’hui c’est le monde rural et périurbain qui serait  victime du refoulement du désir, dont l’expression serait étouffée par la « souffrance » et la « colère », alors qu’en ville l’individu, fondu dans la foule anonyme, trouverait les conditions de sa libération.

C’est méconnaitre que, de nos jours, l’avenir se joue peut-être moins dans la ville ou la campagne que dans l’« entre-deux » qui les oppose au lieu de les réunir, faute d’une politique de territoires équilibrée. Aussi, après Guattari et ses émules, on peut bien poser la question : de quoi la banlieue et les grands ensembles en rénovation sont-ils la métaphore ? D’une fracture sociale, économique, culturelle… redoublée d’une fracture territoriale qu’on retrouve à tous les niveaux de l’espace national, entre nomades périurbains et sédentaires des villes et des campagnes ; plus largement d’une fracture entre « riches » et « pauvres », entre le peuple et les élites, le peuple et la représentation nationale, celle-ci et les gouvernants. Fracture qui se reflète jusqu’en notre for intérieur clivé en une mentalité urbaine et une mentalité rurale irréconciliables – vestiges d’une histoire sociale marquée par les migrations. Fracture sur laquelle un ancien président de la République avait fondé sa campagne électorale, bien en vain : diagnostic laissé en jachère, dont les gouvernements successifs ont hérité, tentant de colmater des brèches dans le cadre d’une politique de la ville erratique, impuissante à prendre le problème à bras le corps pour s’attaquer aux causes d’un mal qui la dépasse. Illustration aujourd’hui à travers l’expérience de la rénovation de La Duchère dont nous poursuivons l’exposé. Le centre social de La Sauvegarde implanté en limite nord-ouest du site – à la différence de celui du Plateau, coeur rénové du quartier – s’est retrouvé confronté à une situation physique et sociale d’autant plus dégradée que le renouvellement urbain du secteur se faisait attendre. Situation que la directrice du centre social qualifiait à juste titre d’ « entre-deux », dans tous les sens du terme : spatial mais aussi générationnel. « Entre-deux » ambivalent, symbole d’un profond malaise, mais creuset de dynamiques et d’initiatives qui peinent à être reconnues.

 Ne pas opposer le centre à la périphérie, donc, mais repenser en de nouveaux termes les problèmes que posent les inégalités de développement et déséquilibres territoriaux qui sont à la source de cette polarisation, laquelle ne cesse de se déplacer pour épouser les contours d’une société fragilisée par les conséquences de la libéralisation à outrance de l’économie (dérèglementation), du progrès technologique destructeur d’emplois, de l’urbanisation généralisée et de la mondialisation (ouverture à la concurrence). On ne sortira de cette opposition, perçue par l’opinion à travers des verres déformants, qu’avec une  politique qui sache prendre en compte la spécificité des territoires, leur vocation et leur complémentarité telles que l’histoire et la géographie les ont façonnés, mais en se projetant vers l’avenir. Si les récentes annonces du gouvernement relatives à la « réindustrialisation » de 124 « territoires périphériques » vont dans ce sens, il y a encore beaucoup à faire pour compenser la suppression, justifiée par la baisse de la démographie, des services publics en milieu rural, rééquilibrer la répartition des logements sociaux, réglementer les loyers en fonction d’un objectif de réduction de la dépendance à la voiture et, parallèlement, pallier l’éloignement des emplois en développant transports en commun et économie numérique, etc.

Le « En même temps » du Président est sans doute entaché de trop d’ambiguïtés.  L’expression serait juste si, mettant l’accent sur la nécessaire coordination synchrone du traitement des problèmes, elle n’avait pas conduit à une sous-estimation des contraintes de temps. Le mouvement des « gilets jaunes » – chez lesquels des relents de poujadisme viennent se plaquer sur un populisme de droite et de gauche mêlées – aura au moins eu un mérite, celui de mettre au jour les incohérences d’une politique qui a trop tardé à assumer les conséquences sociales d’une transition énergétique incontournable.

C’est pourtant la même méthode qui avait été prise en défaut dans la programmation de la politique de la ville, corrigée in extremis en septembre dernier, même si on peut estimer que c’est encore insuffisant. En bon cartésien (*) le gouvernement  a réaffirmé sa volonté de garder le cap ; encore faut-il qu’il prenne la mesure des réactions que ne manque pas de provoquer son volontarisme qui, si justifié soit-il, néglige par trop l’impact qu’il peut avoir sur l’opinion.

C’est aussi la leçon que nous ont délivrée les politiques de la ville qui se sont succédé depuis 40 ans : faute d’avoir su prendre en compte les interactions entre opérations de rénovation, accompagnement social, soutien à l’activité économique et à l’emploi, développement durable et promotion culturelle, ces politiques se sont, dans le passé, enlisées. Il reste à concevoir et mettre en œuvre, sous l’égide du nouveau ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, une politique digne de ce nom, c’est-à-dire intégrée, de nature à combler le fossé qui oppose les conditions plus que les mentalités, à réconcilier urbains et ruraux afin qu’ils retrouvent la positivité du désir – sur laquelle misaient en leur temps Guattari et son complice Deleuze, aujourd’hui sacrifiée à la civilisation du numérique – dans le choix d’un type d’habitat et d’un emploi qui ne soient plus discriminants.

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(*) « Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées. » (Maximes touchant à la « morale par provision » de Descartes : Discours de la méthode, III)

  

                                                                                      Duchère : Tour panoramique en arrière plan

 

b) Le centre social de La Sauvegarde en périphérie nord-ouest de La Duchère

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LYON-LA DUCHERE : Au coeur du renouvellement urbain, la culture conjuguée à l’action sociale (4)

Chères lectrices, chers lecteurs

Confronté à la violence, le gouvernement a dû céder. Plutôt qu’en déduire l’efficacité de la violence, c’est à la pratique de la démocratie qu’il faut s’en prendre. Et en tirer les leçons pour l’avenir, à savoir que la vérité du politique dépend tout à la fois de :

la représentativité de la majorité sortie des urnes,

la justification des intérêts qu’elle est en capacité de défendre,

la pertinence et la cohérence du projet politique dont elle est porteuse.

Dans une configuration idéale le projet politique est mis en œuvre par une majorité représentative des intérêts en cause. Autant dire qu’une telle conjonction n’étant jamais réalisée, il n’est, à défaut d’un introuvable consensus, pas d’autre alternative, hors la violence, que l’opposition ou le compromis. C’est tout le sens du « bouclage politique » : assurer que les préoccupations et aspirations des citoyens seront relayées par les institutions, dont le parlement, le gouvernement et le président de la République incarnant l’Etat, garant de la cohésion nationale.

Persuadé que la violence est soit l’expression d’une parole dévoyée soit le dernier recours des mutiques, qui avancent masqués, chacun doit se résoudre à l’alternative pour autant qu’il croit à la force créatrice de la parole vraie. C’est ce dont sont convaincus les animateurs et compagnies artistiques du quartier de La Duchère en rénovation, qui s’efforcent, non pas de porter la parole, si bonne soit-elle, mais de la faire émerger de frustrations accumulées au fil d’un trop long temps d’exil.  Et ce, selon trois modes spécifiques afin qu’elle puisse remplir son office, différemment entendu en fonction des objectifs poursuivis et des méthodes adoptées : l’éducation populaire avec les ArTpenteurs, le théâtre documentaire avec Le Fanal, le théâtre action, de source belge, avec le Lien-Théâtre. Trois modes attachés à une parole antidote de la  violence, adaptés à ce que vivent les habitants des grands ensembles en rénovation ; modes d’intervention théâtrale qui, en raison de cette situation même, se distinguent du théâtre forum du brésilien Augusto Boal destiné, dans un tout autre contexte, aux populations opprimées des favélas.

Si pour Falk Richter, dramaturge allemand, « plus le théâtre a lieu dans la politique et dans les médias, moins il y a lieu au théâtre », se puisse-t-il que plus il ait lieu au théâtre moins il ait lieu dans la rue ?

Après trois samedis d’émeutes, chercher à comprendre ne suffit plus, il faut revenir à la raison, à savoir : ne pas céder à la violence, non plus à la bêtise ! Quitte à ce que les convictions cèdent devant le sens des responsabilités.

Bonne lecture tout de même.

X
Duchère : Flèche de l’église de Balmont convertie en cinéma d’Art et d’Essai

d) Lorsque la parole des habitants est relayée par l’expression artistique  

En association avec les centres sociaux et la MJC, les compagnies artistiques viennent en renfort pour porter la parole des habitants et la mettre en scène chacune avec sa personnalité, ses méthodes de travail, son expérience des publics. Nous avons identifié trois champs d’action représentés par trois compagnies à la rencontre desquelles nous avons été pour comprendre ce qui les animait et le retentissement de leur action sur la vie des gens et les relations sociales. Trois champs d’action autour de la parole et du jeu.

1. La parole des habitants au crible de la diversité culturelle

Nous avons retrouvé Patrice Vandamme, fondateur et directeur artistique de la Compagnie des ArTpenteurs, au Ciné Duchère, ancienne église désaffectée, œuvre moderniste de Pierre Genton, architecte, dont la flèche se dresse obliquement au-dessus de la masse grise de ses murs de béton brut. Figuration autrement symbolique dans sa forme autant que dans sa couleur. Nous avions quelques jours avant été accosté par lui place Abbé-Pierre, brandissant, en compagnie d’autres habitants, des banderoles multilingues. Patrice Vandamme, dont la compagnie peut s’enorgueillir de 24 années d’activité culturelle et a élu résidence à La Duchère depuis  2002, se réclame de l’éducation populaire. Il revendique une dimension pluri-artistique qui tourne autour du théâtre, de la parole, de l’écriture et de la lecture ; « l’idée étant de proposer des moyens d’expression aux personnes pour être présentes à elles-mêmes, aux autres et au monde, retrouver un certain dynamisme en déployant sur un territoire un projet global, en allant vers les gens pour proposer des spectacles et les associer à des projets culturels ancrés socialement ».

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LYON-LA DUCHERE : Au coeur du renouvellement urbain, la culture conjuguée à l’action sociale (5)

Chères lectrices, chers lecteurs

La fièvre est donc retombée. Les annonces présidentielles ont semé la division dans un mouvement qui prétendait incarner la volonté du « peuple », convertissant une fracture sociale en fracture partisane ; mouvement peut-être bien près de reproduire en son sein la dichotomie, pourtant dénoncée, entre représentants et représentés pour faire enfin valoir une parole susceptible d’être entendue par les politiques.

Il n’empêche, les « gilets jaunes » ont, en occupant les ronds-points et la rue, obtenu ce qu’aucune organisation sociale ou politique, syndicat, parti…, n’aurait osé espérer en suivant les voies de la délibération, de la manifestation dans l’ordre ou de la grève. Victoire incontestable, même si elle n’est pas reconnue comme telle par les plus radicaux, mais en trompe l’œil qui masque une réalité beaucoup plus profonde : celle d’une économie néolibérale à l’origine d’inégalités de plus en plus ressenties comme insupportables et d’une démocratie malade faute d’être capable de représenter la diversité des intérêts, privés par ce fait même de relais d’expression. A défaut de s’attaquer aux problèmes de fond, il y a fort à parier que le « système », qui n’est pas à un détournement près des conquêtes sociales,  reprenne d’une main ce qu’il a cédé de l’autre. Tant que l’on renoncera à arbitrer entre une politique économique de réduction à la source des inégalités et une politique de redistribution  visant seulement à en atténuer les conséquences dévastatrices, le fossé entre les « riches » et les « pauvres » continuera à se creuser et le revenu des classes moyennes à s’éroder.  Tant que l’on reculera, par esprit de corps, devant l’inéluctabilité d’une réforme en profondeur des institutions pour y introduire la représentativité de citoyens investis d’un réel pouvoir d’initiative et « de faire », la démocratie périclitera au profit de mouvements de contestation stériles parce que déconnectés du politique. Tant que l’éducation nationale se repliera, par corporatisme, sur son pré carré, elle ne se rendra que plus impuissante à lutter contre l’obscurantisme, le sectarisme, le complotisme, l’intolérance, le déferlement des fake news qui gangrènent la société dite « postmoderne ». L’obsession du pouvoir d’achat, si légitime qu’elle soit, ne doit pas masquer le déficit culturel qui affecte les comportements et l’opinion des laissés-pour-compte de nos élites, et qui exigerait d’investir dans une conception « intégrée » de la culture faisant le lien non seulement entre l’éducation, l’instruction (civique et politique), l’information et la sensibilisation à l’art, mais également avec les développements du numérique, de l’Internet et des réseaux sociaux ; développements dont les effets pervers ne sont plus à démontrer et tendent à déborder sur les bénéfices, qui demeurent encore largement inexploités. Faute d’une prise de conscience sans concession, la coupure dénoncée entre le peuple et les élites s’accentuera.

En lançant un grand débat national sur les questions soulevées par les « gilets jaunes », le président Macron, qui a par ailleurs doublé les crédits affectés au renouvellement urbain, se serait-il inspiré de l’exemple des quartiers prioritaires de la politique de la ville où ont été mis en place des conseils citoyens engagés dans un processus de « coconstruction » des projets de rénovation ? Le gouvernement est en tous cas bien placé à travers son ministère de la cohésion des territoires – censé promouvoir un équilibre entre espaces urbanisés et ruraux – pour  en  tirer  les  enseignements ; la politique de la ville et le renouvellement urbain, terrain d’expérimentation de la démocratie de proximité défiant, en tant qu’«entre-deux territorial et social», toute tentation de polarisation.

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Dans le quartier en rénovation de La Duchère à Lyon, la culture se surimpose au renouvellement urbain et à l’action sociale selon trois modalités portées par les deux centres sociaux, la MJC et les compagnies artistiques ; ces dernières ayant elles-mêmes leur propre mode d’intervention : l’éducation populaire pour les ArTpenteurs, le théâtre documentaire pour Le Fanal, le théâtre action pour le Lien-Théâtre. 

C’est avec Le Fanal que nous poursuivons aujourd’hui notre exploration des expériences culturelles menées à La Duchère, leur spécificité et leur impact sur le quotidien des gens affectés par les opérations de renouvellement urbain, leur cortège d’espoirs et de désillusions.   

Ainsi, avant de faire connaissance la semaine prochaine avec le Lien-Théâtre, laissez-vous guider aujourd’hui par Le Fanal.

La Duchère
Place Abbé Pierre sur laquelle s’ouvre la bibliothèque Annie-Schwartz

d) Lorsque la parole des habitants est relayée par l’expression artistique (suite)

2. L’exil rejoué et exorcisé

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LYON-LA DUCHERE : La coordination des actions sociales et culturelles avec les opérations de rénovation urbaine

Chères lectrices, chers lecteurs

La France s’emballe sur des petites phrases, le moindre propos est désormais prétexte à polémique exploitable politiquement. La violence de la parole fait écho à celle de la rue et inversement. Détachés de leur contexte – linguistique et social – les mots perdent leur sens, laissant les acteurs et les témoins de leurs faits et gestes dans un vide funeste que la violence vient combler.

Il suffit que le président mette en garde contre l’affaiblissement du « sens de l’effort » sur fond d’agitation des « gilets jaunes » pour que le propos soit interprété contre eux, nonobstant la circonstance qu’il s’adressait à des apprentis boulangers, dont il reconnaissait, par ailleurs, la « dureté » du métier, faisant au passage l’éloge du travail manuel. Dans une autre conjoncture sociale, toutes tendances confondues ou presque, les observateurs auraient applaudi.

Ironie de l’histoire, provocation de la littérature, horrifiques par ce qu’elles évoquent l’une et l’autre de turpitudes terrifiantes, c’est en pleine période révolutionnaire que Donatien Alphonse François de Sade, qui s’y connaissait en la matière, lançait son exhortation dans La philosophie dans le boudoir : « Français, encore un effort si vous voulez être républicains. » Brulot politique intercalé entre les « performances » toutes plus audacieuses les unes que les autres d’un roman érotique !  

Il n’empêche, le « mouvement » des « gilets jaunes » le prouve plus de deux cent ans après, il y a encore maints efforts à faire, contexte historique et culturel mis de côté, pour devenir vraiment républicains, autrement dit, littéralement, attachés à la chose publique ; les excès auxquels se sont laissé entraîner les plus radicaux des « gilets jaunes » le démontrent : injures à tonalité ouvertement raciste, agressions contre des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions, menaces de morts contre des personnalités en vue, destructions matérielles, violences physiques contre les personnes, simulations d’exécution capitale en effigie, gestes obscènes devant les caméras… L’agressivité, la haine et la trivialité frisant la barbarie ne connaissent plus de limites. Le drame de ce « mouvement » est que, dépourvu d’identité, ne lui reste que le recours à la violence pour exister. Affirmer, comme certains, qu’il est représentatif de la population dans son ensemble, alors qu’il ne peut même pas prétendre l’être de ses couches sociales inférieures, relève du sophisme. Mais, à défaut de pouvoir en identifier les composantes, du moins peut-on relever celles qui échappent à son emprise : les habitants des centres-villes, ceux des grands ensembles périphériques, le rural authentique, les immigrés… ; puissants et riches, vulnérables et précaires réunis dans le même sac. Le mouvement des « gilets jaunes » pourrait, ainsi, se définir en creux (négativement) à partir des catégories qui ne se reconnaissent pas en lui, aussi hétérogènes que celles qui s’en revendiquent ; une espèce d’entre-deux hâtivement qualifiée de classe moyenne, dont la définition reste insaisissable.

Faute d’un contenu revendicatif cohérent, qui en conditionne le réalisme, les formes de la mobilisation et ses mots d’ordre n’en expriment pas moins un malaise dont il est trop facile a posteriori de prétendre que les conséquences en auraient été prévisibles. Ce qui est sûr, c’est qu’il remonte à loin, que ses causes – économiques, sociales et politiques – ont été identifiées de longue date, mais que le pouvoir actuel ne saurait pour autant s’exonérer de la responsabilité qu’il porte dans la conduite d’une politique économique qu’il n’a pas su accompagner, faute d’en avoir anticipé les dégâts collatéraux sur l’état de santé, physique et moral, de la société dont il a la charge.   

Le gouvernement aurait tort de compter sur la division du mouvement pour espérer en finir avec les désordres dont ce dernier est à l’origine. Une telle division, qui s’esquisse déjà, comporte en effet un risque d’autant plus élevé qu’elle entraine à sa suite un clivage plus général de l’opinion, déjà sensible, mettant face à face deux France en opposition frontale : une prête à débattre de son devenir, pendant que l’autre ne rêve que d’en découdre. Comme si opposer la France des riches à celle des pauvres, la France des métropoles à celle des périphéries, la France des villes à la France rurale… ne suffisait pas. Tous face-à-face périlleux, mais dont le dernier en date est le plus explosif, propice à une exploitation par les extrêmes, en embuscade depuis le début des émeutes à défaut d’avoir pu récupérer le mouvement – rejeté par les partis – à leur profit.  

D’où l’urgence de prendre au mot la lettre du président de la République aux Français et de jouer « en confiance » le jeu du grand débat – sachant que la question de son débouché sur des propositions concrètes reste posée – pour exorciser le démon d’un « terrorisme » qui a tombé le masque samedi dernier. Un regret tout de même : que parmi les thèmes abordés – la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’Etat et des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté – l’éducation, l’école et la culture n’aient pas été mentionnés. Même si aucune piste n’est exclue, la crise actuelle était une opportunité pour en souligner les enjeux ; la qualité de l’expression politique citoyenne étant très largement tributaire de ce triptyque, dont le développement et les conditions de mise en oeuvre nous apparaissent primordiaux. Ne serait-ce que pour aider à se dégager des oppositions binaires simplistes qui pourrissent les débats politiques, pour retrouver le sens des nuances qui témoignent de notre lucidité, pour détecter les fake news, décrypter les slogans, pour savoir s’orienter à bon escient dans les réseaux sociaux, savoir analyser les images, animées ou non, pour être à même, enfin, d’interpréter les discours des leaders en évitant de tomber dans les pièges d’une rhétorique fallacieuse. Si la culture n’est pas l’horizon des « gilets jaunes », elle n’est pas un luxe pour autant. L’exercice de la démocratie, compte tenu de la volonté de participation exprimée, pourra de moins en moins se réduire à l’insertion d’un bulletin de vote dans l’urne. Elle a vocation à se développer pleinement à travers la parole des citoyens. 

Aussi bien, est-ce sur le souhait d’initiatives nombreuses et pertinentes allant dans ce sens pour faire échec aux tentatives de manipulation de l’opinion, que nous publions, en ce jour de présentation officielle du grand débat public, le dernier volet de notre rapport d’enquête sur la place et le rôle de la culture dans le renouvellement urbain des quartiers prioritaires de la politique de la ville, laissés-pour-compte – parmi d’autres pas moins défavorisés – du « mouvement ». Volet placé sous le sceau de l’interdisciplinarité à travers la coordination  d’un développement social-urbain intégré.

Bonne lecture.

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Tour panoramique, au pied de laquelle est installée la Mission Duchère

La coordination des actions sociales et culturelles avec les opérations de rénovation urbaine (conclusion)

Les associations sont nombreuses sur le quartier, de toutes natures et vocations. C’est tout un tissu social riche et divers, à l’image de sa population, sur lequel les équipements réalisés avant et après la rénovation peuvent s’appuyer.

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LES 4000 DE LA COURNEUVE : La promotion de la culture

Démission de Collomb : sécurité et culture

L’allocution prononcée par Gérard Collomb le 2 octobre dernier, suite à sa démission, est choquante à plusieurs titres.

Elle nous parait indigne d’un ministre de l’intérieur, ministre d’Etat de surcroit, démissionnaire, qui a exercé ses fonctions durant seize mois et décidé brutalement de les cesser alors qu’il avait quelques semaines plutôt annoncé qu’il ne quitterait le gouvernement qu’après les élections européennes, annonce déjà grandement contestable. La valse-hésitation de l’ex-ministre ne trahit-elle pas un caractère guère compatible avec son rang ? Qu’il en ait profité pour transmettre un message passe encore. Mais en dénonçant, en présence du Premier ministre, la situation critique de « quartiers » dont il avait la responsabilité du maintien de l’ordre, et pour la paix desquels il prévoyait de mettre en place une police de sécurité du quotidien d’ici janvier 2019, il outrepasse la décence et exprime avec désinvolture ce que l’on peut caractériser comme de l’impuissance.

Non content de jeter le doute dans les esprits sur l’efficacité du déploiement de ce nouveau dispositif en substitution de la police de proximité décriée par la droite, monsieur Collomb n’hésite pas à prendre le risque de stigmatiser lesdits quartiers : « La situation est très dégradée et le terme de reconquête républicaine prend tout son sens parce qu’aujourd’hui dans ces quartiers c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des narcotrafiquants et des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. Il faut à nouveau assurer la sécurité dans ces quartiers mais je crois qu’il faut fondamentalement les changer… ».
D’abord face à un tel constat, et alors même qu’il s’apprêtait à mettre les moyens – déploiement de 1 300 policiers et gendarmes dans 60 quartiers d’ici juin 2020 – pour remédier à une situation dont la gravité ne cesse d’être incriminée, comment justifier une démission qui s’apparente à une fuite devant ses responsabilités ? Pourquoi d’autre part surenchérir sur la déplorable image dont ces quartiers sont victimes, quand on a eu en charge la responsabilité de leur sécurité, en passant sous silence tout le travail de terrain des acteurs du renouvellement urbain, notamment depuis la mise en vigueur de la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, laquelle a permis de procéder à un rééquilibrage entre les démolitions-reconstructions du plan Borloo de 2003  et  l’accompagnement  social  et  a  renforcé  l’implication  des  habitants  dans  la     « coconstruction » de leur environnement. Et ce, alors même que les crédits inscrits au projet de loi de finances pour 2019 pour la politique de la ville sont en augmentation de 20% par rapport à 2018 pour atteindre 514 millions (concernant 1 514 quartiers) et que le programme de rénovation urbaine, initialement de 5 milliards, passe à 10 milliards d’euros (sur 10 ans pour 466 opérations). Abondement survenu, il est vrai, après réduction des emplois aidés et annulation de 46,5 millions d’€ de crédits contrats de ville. Mais, suite à la rectification opérée après que les réactions ne se soient pas fait attendre, peut-on encore douter, après des décennies d’errements, de la volonté de changement d’un gouvernement auquel on a fait partie et apporté sa contribution au plus haut niveau sans incohérence ? La Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, non remise en cause, a fixé la méthode à laquelle le président a ajouté une touche de pragmatisme, et le gouvernement Philippe l’a doté de moyens supplémentaires. On peut sans doute juger qu’ils ne sont toujours pas à la hauteur des ambitions affichées, mais encore faut-il ne pas sous-estimer les contraintes budgétaires jointes à la menace que fait peser le spectre de l’extrême droite sur nos démocraties, laquelle oblige, à l’échelle de l’Europe, à des compromis problématiques que la question de l’accueil des migrants, à laquelle Gérard Collomb a fait allusion dans son allocution, illustre tragiquement.

Mais, à mettre l’accent sans contrepartie sur l’insécurité dont pâtissent ces quartiers – à des degrés divers – on occulte tout le travail de terrain des opérateurs et intervenants sociaux réalisé en concertation avec leurs habitants pour les sortir de l’ornière. Et c’est oublier que l’objectif de sécurité est indissociable de celui de cohésion sociale que poursuit le renouvellement urbain. Objectif que nous nous étions fixé de mettre en perspective en lançant, avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence, une enquête dans trois de ces quartiers : les 4000 de La Courneuve, La Duchère à Lyon (dans l’arrondissement dont Gérard Collomb fut maire) et les Quartiers Nord de Marseille.

Aussi est-ce, pour l’équipe qui a réalisé l’enquête en 2014-2016 – quatre aménageurs pouvant se prévaloir d’une riche expérience de terrain –, l’occasion d’en publier les conclusions inédites relatives à l’action culturelle, dont l’impact, en contrepoint des opérations de rénovation, nous a paru conséquent et pouvoir contribuer au renouveau social qu’appelle le renouvellement urbain. Témoignage aussi de ce que peut la culture (avec l’éducation) pour pacifier des relations tendues entre catégories sociales, ethniques et d’appartenances religieuses diverses au sein de sociétés locales dont la composition pour être hétérogène, n’en recèle pas moins des ressources que l’on sous-estime trop souvent. Ce n’est pas minimiser les problèmes que pose, au regard de la sécurité, la situation de ces quartiers à l’écart des centres urbains du fait de leur diversité conflictuelle, que de valoriser leurs atouts et les promesses d’avenir qui s’y attachent.

« A la violence et à la bêtise, nous répondons courage et solidarité » (Les enfants, les habitant.e.s, les bibliothèques et la municipalité – Médiathèque John Lennon – Les 4000 Sud – La Courneuve)

Les Quatre Mille de La Courneuve

La promotion de la culture

« Dans un quartier ou le ¼ des enfants vivent dans des familles dont les parents ne travaillent pas, lier toutes les formes de la promotion sociale nous parait important. La culture ce n’est pas seulement comme le dit Guy Bedos dans ses sketches le macramé ou la poterie, c’est ce qui nous apprend les autres, la société, et le meilleur de nous-même, c’est ce qui nous offrira les clés du monde.
Paul Chemetov, concepteur de la place traversante, place de la Fraternité, dans le quartier de la Tour (archives)
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