LES QUARTIERS DEFAVORISES CONFRONTES A LA PANDEMIE ET AU CONFINEMENT

Pont d’Argenteuil sur la Seine (Photo Citizen59 / Flickr) Tout un symbole : les ponts ne traversent pas que des fleuves, ils relient l’impossible.

Le confinement révélateur des inégalités territoriales

Le problème posé, entre autres, par la pandémie et le confinement, qui lui est indissociable dans l’attente d’un vaccin, est celui des inégalités. Et plus précisément celui des inégalités territoriales : dans la chaine des causes et des effets, où se situent les territoires ? Hypothèse : l’espace n’est pas neutre, qui reflèterait passivement les inégalités économiques et sociales générales (simple spatialisation de ces inégalités), mais contribuerait à les accentuer à travers la spéculation foncière, à moins qu’une politique volontariste n’en contrecarre les effets.

Or, il semblerait que la pandémie et le confinement aient eu non seulement pour conséquences de révéler au grand jour ce qui avait été démontré depuis longtemps, mais qu’elle risquait d’aggraver encore lesdites inégalités pour l’avenir (encore faudrait-il disposer de statistiques suffisamment fiables pour en apporter la preuve).

D’où l’urgence d’accélérer la mise en œuvre des programmes de renouvellement urbain. A défaut de quoi les mesures de redressement économique, nationales et en tant que telles aveugles aux disparités territoriales, seraient tentées de laisser pour compte la situation de quartiers doublement périphériques (territorialement et socialement) pour mieux concentrer leurs effets sur le reste du territoire considéré comme représentatif de l’ « unité » nationale. D’autant que le président de la République ayant déclaré qu’il n’était pas question de changer de cap, la priorité donnée à l’économique serait confirmée alors même que les mesures accompagnant le confinement avaient paru mettre l’accent sur le social… provisoirement ! Certes, il a, dans son interview du 14 juillet, annoncé « un nouveau chemin ». Sera-t-il suffisamment novateur pour ne pas retomber dans le même travers : faute d’être capable de répartir le plus justement possible les charges et les ressources dans la population générale, on relègue le surplus d’inégalités supportables par la classe moyenne dans ces territoires situés à bonne distance ; ces mêmes territoires où elle a été remplacée, au fil des ans, par les classes populaires et des immigrés. Le paradoxe de la politique de la ville est bien connu : alors que l’objectif affiché est de mettre la priorité sur le rattrapage des crédits de droit commun, on préfère accorder des subventions spécifiques aux quarters défavorisés au nom d’une politique de discrimination positive, façon comme une autre de ne pas toucher à la répartition des crédits sur le reste du territoire urbain (je mets entre parenthèse le problème posé par les territoires ruraux, qui est d’un autre ordre, mais sans doute pas moins impérieux). Tel est du moins l’hypothèse de travail qui resterait à confirmer sur la base d’une analyse statistique approfondie, les données qui suivent ne constituant qu’une première approche. 

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La situation de la Seine-Saint-Denis est à cet égard archétypique : par rapport l’Ile-de-France, c’est le département le plus jeune (28,9 % de moins de 20 ans contre 24,4 % pour la France entière ; 11,6 % de plus de 65 ans contre 19 % pour la France entière), la catégorie des ouvriers et employés y représente 55 % des actifs (contre 47,9 % à l’échelle nationale), la population étrangère 23 % de la population totale et les immigrés 30 % ; c’est également le plus pauvre (taux de pauvreté de 28,6 % – même 40 % à La Courneuve – contre 15,7 % pour la région) et dont la population en Quartiers prioritaires (QPV) est la plus nombreuse. Or la surmortalité des moins de 65 ans y a été la plus élevée des départements de la métropole.  A noter, en outre, que la comorbidité y est un facteur aggravant, le 93 étant au premier rang des départements de la métropole pour le diabète (7,8 %), au huitième rang pour les maladies respiratoires et au quatorzième pour l’hypertension artérielle.

Entre le 1er mars et le 25 avril 2020 les décès (comptés au lieu du décès) y ont augmenté de 128,9% (et même 179,5 % à Plaine Commune) contre 89,8 % à Paris (comptés au lieu de résidence). Or, le département est un « désert médical » urbain qui compte trois fois moins de lits de réanimation qu’à Paris. Le nombre de lits d’hôpitaux pour 100 000 habitants y est de 97,8 contre 147,6 en moyenne nationale ; le nombre de médecins généralistes y est de 97,3 contre 131,3 en moyenne nationale.  

Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au Samu 93 témoigne : «Nous avons été le premier département d’Ile-de-France à ne plus avoir de lits de réanimation disponibles au pic de l’épidémie. En Seine-Saint-Denis, il y a moins de services publics, moins de médecins et moins d’hôpitaux. Nos hôpitaux sont dans un état lamentable. » (Interview d’Europe 1 du 11 avril 2020)

Concernant l’impact du confinement : 42 % des ménages de la Seine-Saint-Denis comptent trois personnes ou plus contre 22 % seulement dans la capitale, or la surface moyenne par personne pour ¼ des foyers y est de 18 m² contre 25 m² à Paris. En 2016 plus du quart des logements y étaient suroccupé (26,5 %). Indice de stigmatisation supplémentaire : avec 220 000 contrôles entre le début du confinement et le 23 avril, la Seine-Saint-Denis aurait été le département de France le plus contrôlé contrairement à ce qui a pu être dit.

« Le département cumule ainsi un triple handicap : moins de médecins, généralistes ou spécialistes ; moins d’hôpitaux et moins de lits ; mais aussi moins d’accès et de recours aux soins », concluent  Audrey Mariette et Laure Petit dans un article de Métropolitiques  du 10 juillet 2020 : Covid-19 en Seine-Saint-Denis. Et d’ajouter : « … en Seine-Saint-Denis, cette pénurie s’est conjuguée à une sous-dotation ancienne en équipements et ressources sanitaires, qui aura pesé lourd dans le bilan de l’épidémie – jusqu’à en faire le département français où l’on meurt du Covid plus jeune qu’ailleurs. »

Face à cette situation les auteures notent les « formes de solidarité et d’entraide locale » développées depuis les années 1980-1990 parallèlement au désengagement de l’Etat social. Pratiques de solidarité portées par le réseau associatif qui a redoublé d’initiatives pendant la crise sanitaire pour compenser les insuffisances de l’Etat en la matière.

Les quelques chiffres que nous avons tirés du journal Le Monde des 18 et 27 mai 2020 – à prendre toutefois avec précaution compte tenu des modes de comptage différents selon les périmètres pris en considération –, complétés par ceux recueillis par Audrey Mariette et Laure Petit, montrent bien l’impact des inégalités de situations de départ (composition de la population, revenus, logement, équipements) sur la morbidité de la pandémie, d’une part, sur les conséquences du confinement pour la population, d’autre part.

Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois, déclarait pour sa part au journal Le Monde du 21 avril 2020 : « Les quartiers populaires sont de vrais déserts médicaux, l’État doit repenser la médecine de proximité et réinventer une politique publique de centres territoriaux de santé. Il existe dans certaines communes des centres municipaux de santé, mais cela coûte cher aux municipalités. Dans ma ville, je n’ai pas les moyens. »

L’Institut Montaigne concluait son rapport 2020 sur Les batailles de l’emploi et de l’insertion en Seine-Saint-Denis en ces termes : « On ne peut pas parler d’abandon de l’Etat […]. Pour autant, toute l’énergie, les efforts, l’argent et l’attention portés à ces sujets ne parvienne pas à venir à bout des difficultés endémiques. » Avec un tissu industriel converti en tertiaire (activités financières, technologiques et scientifiques notamment) « le 93 n’est pourtant pas un bassin sinistré », mais il ne profite pas à la population locale.

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La pandémie vient, hélas ! confirmer ce que l’on savait déjà, amplifiant encore les conséquences des inégalités territoriales pour les populations qui y résident, et ce, 43 ans après les premières opérations de réhabilitation des grands ensembles (circulaire de mars 1977 relative au Fonds d’aménagement urbain et aux opérations Habitat et Vie Sociale) et 30 ans après la création d’un ministère de la ville (décembre 1990).

Le rapport de l’Observatoire des zones Urbaines Sensibles (ONZUS) pour 2014 constatait que les écarts entre les quartiers, pourtant prioritaires, de la Politique de la ville etles autres continuaient à se creuser[1] ! A notre connaissance aucune enquête comparative n’est revenue depuis sur ce constat. Quant au rapport pour 2016 de l’Observatoire National de la Politique de la Ville qui lui a succédé et concernait l’impact du Programme National de Renouvellement Urbain (PRNU) sur la mixité sociale entre 2003 (année de promulgation de la loi Borloo) et 2013, il notait bien une amélioration sur ce plan, mais modeste[2].

Depuis ses origines, le cheminement de la Politique de la ville est constitué d’alternances de politiques. D’où l’interrogation à laquelle on n’échappe pas sur l’efficacité d’une Politique de la ville d’exception destinée à rattraper le retard enregistré par les quartiers qui en étaient l’objet par rapport aux autres. Politique censée avoir, en conséquence, une durée temporaire, mais qui a régulièrement été reconduite au gré des changements de majorité parlementaire. Politique erratique de balancier, en partie reflet des problèmes de l’heure, mais pas seulement.  

Cette interrogation initiale a motivé l’étude réalisée en 2014-2017 sur trois sites « emblématiques » de la politique de la ville : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère et les quartiers Nord de Marseille par quatre aménageurs retraités, étude soutenue par l’Institut CDC pour la recherche, la Scet et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement d’Aix-en-Provence.  Interrogation relayée par un constat et une surprise.

Le constat ressort de l’analyse des contrats de ville et d’agglomération recoupée avec les conclusions du rapport du Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU de janvier 2010 dressé par Thomas Kirszbaum. La recension à laquelle s’est livré ce chercheur révèle que pour les conventions politique de la ville (contrats urbains de cohésion sociale ou contrats de ville) « il s’agit moins d’intégrer les dimensions urbaines et sociales que de les juxtaposer, au nom de leur nécessaire complémentarité. » C’est dire, qu’a contrario, il faudrait désormais intégrer et non plus juxtaposer, en en tirant toutes les conséquences pratiques sur le plan des démarches à mettre en œuvre, de la coordination des actions et de l’organisation du pilotage ; étant précisé que l’intégration passe nécessairement par la participation des acteurs de la vie urbaine, dont les habitants, que la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion urbaine du 21 février 2014 a voulu renforcer à travers la notion de coconstruction (à ne pas assimiler à de l’empowerment, pouvoir d’agir) et l’institution de Conseils citoyens

Thomas Kirszbaum rend compte, d’autre part, de l’alternative stérilisante dans laquelle tend à s’enfermer la politique de la ville : entre les actions portant sur les territoires et celles touchant les personnes, témoignant de ses atermoiements ; comme si, là encore, il y avait opposition entre les unes et les autres, interdisant toute synthèse. Ce serait, en effet, oublier qu’il n’est pas d’intégration sans attache territoriale, à travers des solidarités qui constituent autant de communautés ouvertes, au contraire des entre-soi, teintés de communautarisme, repliés sur eux-mêmes.Ce qui introduit la problématique de l’espace commun, tel que l’entendait Marcel Hénaff[3], qui devrait être au coeur de l’urbanisme contemporain. Et c’est dire que pour intégrer il faut aussi compter avec le temps, celui d’une vie et des générations qui se succèdent. D’où encore l’accent mis sur le développement durable par ce même urbanisme contemporain.

A propos de l’articulation de l’urbain et du social, Kirszbaum évoque un « impensé » sans plus définir les termes d’urbain et de social. Mais, plutôt que d’un impensé de l’articulation, comme l’exprime l’auteur, c’est d’un impensé de la société urbaine, dont la perception est brouillée par les conditions de l’urbanisation, qu’il faudrait parler, et de l’énigme de son articulation, dont il faut bien prendre la mesure ; sachant que la qualité des relations sociales est tributaire de bien d’autres facteurs que de la seule composition ou forme urbaine. Mais, penser la société urbaine avant de penser l’urbanisme[4], concevoir la forme urbaine en vue de la fondre dans un paysage urbain, suppose que l’on ne s’en tienne pas à recueillir des données statistiques pour mesurer des écarts qui ne sont que l’arbre qui cache la forêt, que l’on ne cède pas à la quantophrénie[5], mais que l’on cherche à comprendre en allant à la rencontre des gens, préalable à leur implication dans les réalisations.

En 2003, Jacques Donzelot intitule un de ses ouvrages « Faire société »[6]. Mais, « faire société urbaine » reste, pour reprendre la terminologie d’Alain Bourdin[7], une énigme et le demeurera probablement encore longtemps. Car que sait-on de la transmutation qui fait d’un établissement humain une société urbaine et d’une société urbaine une Cité au sens politique que le terme avait dans l’antiquité, qui fait que le corps social adhère à son environnement urbain ?

La surprise s’est présentée sous forme d’un paradoxe, dans la droite ligne de la rupture entre l’urbain et le social que l’urbanisme contemporain, à la suite du Mouvement moderne, n’a pas su surmonter : pourquoi les quelques habitants, interrogés par les enquêteurs de l’étude susdite, qui avaient vécu la transformation des grands ensembles, certains même y ayant emménagé dès leur achèvement, manifestaient une déception relativement à la qualité des relations sociales, sinon des conditions de vie, qu’ils estimaient s’être dégradées, alors même qu’ils reconnaissaient que la rénovation avait été bénéfique sur le plan de la qualité de l’environnement et du confort des logements ?  

Même si, compte tenu des conditions d’exécution de l’étude, les investigations ont été sommaires et que l’enquête n’ait porté que sur un petit nombre d’habitants, le diagnostic était suffisant pour esquisser des orientations pour l’avenir.  Elles ont été suggérées aux auteurs de l’étude par les acteurs du développement urbain, nombreux à avoir participé à l’enquête (une centaine d’entretiens au total).

Le message, après dépouillement de la documentation et exploitation des entretiens, est apparu aux auteurs de l’étude et enquêteurs des plus clairs : comme une invitation à revoir la relation de l’urbain au social en inversant les démarches jusque là suivies. Celle du rapport du projet urbain à la société en premier lieu : c’est sur un projet social (impensé de l’urbanisme) que doit se bâtir le projet urbain et non l’inverse, dans une démarche bottom-up et non plus top-down. C’est le défi du principe de coconstruction posé, en même temps que l’institution des Conseils citoyens, par la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion urbaine de février 2014. De là devrait découler un nouveau rapport, à l’espace d’une part, au temps d’autre part.

Quant à l’espace, c’est du rapport du projet urbain au paysage qu’il s’agit : la composition urbaine ne doit pas tant avoir pour finalité une mise en forme, au sens géométrique du terme,  que la configuration d’un paysage urbain, sachant que la forme enserre, voire enferme, alors que le paysage, espace de liberté, enveloppe, permettant de renouer avec le sensible. C’est également des conditions de l’insertion physique et humaine du grand ensemble dans son environnement urbain qu’il y a lieu de se préoccuper : les grands ensembles souffrent très généralement, d’une distorsion entre leur composition sociale et celle de la ville environnante. L’objectif serait, en conséquence, de parvenir à inverser les flux de peuplement pour promouvoir la mixité en s’appuyant sur la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain du 13 décembre 2000 (promouvant la diversité par l’habitat) et sur celle concernant l’Egalité et la Citoyenneté du 27 janvier 2017 (mise en œuvre d’une politique de mixité sociale à travers l’attribution des logements).

Quant au temps, à la mémoire, à l’histoire, l’enjeu est non seulement de rompre avec un urbanisme « hors-sol », de renouer avec le territoire, mais aussi de retrouver la maîtrise du temps, celui vécu des habitants, et d’inscrire le renouvellement urbain dans le temps « lent » de l’histoire par la valorisation de la mémoire des « lieux ». Non de lieux fétichisés, mais de lieux réappropriés par l’habitant en s’appuyant sur les témoignages laissés par les anciens à l’état de traces, étayés sur l’histoire. Quand la patine du temps n’opère plus aujourd’hui sur le béton comme jadis sur la pierre, la mémoire demeure qui ne demande qu’à être ranimée.

Renversement de politique, assimilable à une révolution copernicienne, déjà engagée sur certains sites, sinon sur tous, mais sans que les moyens soient à la hauteur des objectifs. Aussi bien, y a-t-il urgence à accélérer rénovation urbaine et renouvellement social, dûment articulés, si on veut éviter que les mesures de redressement censées relancer l’économie accusent les fractures territoriales, faisant retomber les quartiers périphériques dans les ornières d’une politique de la ville vouée à traiter sempiternellement les symptômes d’un mal qui, faute d’être éradiqué, menace de délitement la cohésion de la société nationale. A défaut de rattrapage, le risque serait grand que la relance économique et ses mesures d’accompagnement social passent à côté des quartiers défavorisés, comme une grande partie des crédits de droit commun jusqu’à récemment encore. Il y va aussi, à terme, d’une politique urbaine cohérente inscrite dans une politique territoriale attentive à une juste répartition des ressources et des charges entre les villes et les campagnes.

***

Le discours de politique générale du nouveau Premier ministre, Jean Castex, mercredi 15 juillet dernier, serait à cet égard plutôt de bon augure. Si le président de la République affirme « garder le cap » tout en empruntant un « nouveau chemin », il revenait à son Premier ministre d’en préciser le parcours. L’objectif est réaffirmé : « Ressouder la communauté nationale en confortant le pacte républicain. » Le soutien aux investissements des collectivités locales en faveur du développement et de l’aménagement des territoires est confirmé.  Le ton est donné concernant le versant social du plan de relance et la volonté d’impliquer les corps intermédiaires, les acteurs de terrain, y compris les citoyens, dans sa mise en oeuvre. Un projet de loi est attendu à la rentrée portant sur « les séparatismes » afin « d’éviter pour l’avenir que des groupes se referment sur une appartenance ethnique ou religieuse ». Le rétablissement des juges de proximité afin, notamment, traiter des incivilités au quotidien, est prévu. D’une manière générale, la situation des jeunes – catégorie majoritaire dans les quartiers de la politique de la ville – est ciblée à travers l’annonce d’un plan en faveur de l’embauche, la relance des contrats d’insertion, l’extension du Service civique, des aides aux étudiants. Enfin, la rénovation urbaine, qui « vise à restaurer la République dans les quartiers » et à « assurer l’émancipation de leurs habitants », a été explicitement mentionnée,  l’objectif étant de faire en sorte que « les travaux aient effectivement démarré dans 300 des 450 quartiers concernés d’ici la fin de l’année prochaine » (?)[8]. L’agenda rural n’est pas pour autant oublié avec l’annonce d’un « programme de petites villes pour demain ». D’une manière générale, les territoires devront être dotés d’ici la fin 2021 de contrats de développement territoriaux chiffrés avec, en particulier, les priorités suivantes : aménagement et développement durable, modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement, développement du très haut débit et sauvegarde des petites lignes ferroviaires. Si les Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville (QPV) doivent faire l’objet du plus grand soin, compte tenu de leur situation le plus souvent critique qu’un film comme Les misérables de Ladj Ly, réalisateur montfermeillois, a mis dramatiquement en scène, c’est compte tenu d’une politique territoriale d’ensemble. On ne manquera pas à cet égard de souligner que cette politique s’inscrit dans le cadre des dispositions législatives votées sous la précédente présidence, lesquelles n’ont pas été remises en cause, même si la philosophie générale en a été infléchie dans le sens d’un objectif d’émancipation et de responsabilité individuelles plutôt que collectives.

Puisse cet infléchissement, non désavoué par le discours de politique général du Premier ministre, au moins anticiper une stabilisation après les louvoiements  d’une politique de la ville entre rénovation urbaine (loi Borloo d’Orientation et de Programmation pour la Ville d’août 2003, qui misait sur les démolitions-reconstructions pour requalifier les quartiers), renouvellement urbain (loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion urbaine de février 2014, plus équilibrée quant aux objectifs contradictoires de mixité sociale et de maintien dans les lieux) et renouvellement du peuplement (loi relative à l’Egalité et à la Citoyenneté de janvier 2017, qui donne la priorité à la mixité sociale), dernière en date des grandes lois de programmation pour la ville prise sous la pression des attentats terroristes de 2015 par le second gouvernement Valls. Si seulement la pandémie et le confinement, après avoir eu pour premier résultat de remettre quelque peu en cause les valeurs de la ville, pouvaient permettre d’en finir avec la politique de la ville en faveur d’une politique urbaine intégrée dans une politique territoriale ? Au détour du « nouveau chemin » le cap à franchir n’en reste pas moins escarpé. Les actes et un budget en conséquence en décideront !  


[1] En 2012 les personnes vivant sous le seuil de pauvreté étaient trois fois plus nombreuses en ZUS que dans le reste du territoire et en 2013 le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans y était de 42,1 % contre 22,6% dans les unités urbaines englobantes.

[2] En 10 ans, de 2003 à 2013, 15% des logements sociaux des quartiers en rénovation ont été démolis et près de la moitié des ménages concernés (47%) ont été relogés dans ces mêmes quartiers, expression des limites de la politique de « peuplement » poursuivie par les pouvoirs publics.

[3] La ville qui vient (L’Herne : 2008).

[4] Nous rappellerons tout de même que quand Henri Lefebvre,  il y a un demi siècle déjà, philosophait sur l’urbain, il entendait par là société urbaine ! (cf. La révolution urbaine : 1970). 

[5] Terme forgé par Pitirim Sorokin dans Tendances et déboires de la sociologie américaine (1956).

[6] Faire société : la politique de la ville aux Etats-Unis et en France.

[7] L’urbanisme d’après crise d’Alain Bourdin (Editions de l’aube : 2014)

[8] Sur les 450 quartiers éligibles au Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), 329 avaient vu leurs projets validés fin 2019 pour 28 milliards d’euros (le NPNRU est doté globalement de 12 milliards d’euros de concours financiers).


Post-scriptum du 27 juillet 2020 : une étude de quatre économistes (*) de l’Ecole d’économie de Paris (J-PAL Europe), du Centre d’étude de l’emploi et du travail et de la Norwegian School of Economics a révélé qu’en France ¼ des communes les plus pauvres ont connu un taux de surmortalité dû au Covid-19 en 2020 de 88%, contre 50% dans les ¾ des communes les plus riches. Il apparait, en outre, que 60% de la surmortalité est corrélée avec la surpopulation des logements et la nature des emplois occupés. (Informations du Monde daté du 21 juillet 2020, rapportées par Nathaniel Herzberg)

(*) Paul Brandily, Clément Brébion, Simon Briole, Laura Khoury.

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