Si par la teneur alléchés du résumé de l’étude-témoignage du renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille postée le 10 septembre dernier, ou plus sérieusement par intérêt affectif, intellectuel, professionnel, vous ne craignez pas de vous lancer dans la lecture de ce feuilleton, nous vous invitons, en préalable, à prendre aujourd’hui connaissance des motivations de ses auteurs (une équipe de cinq retraités prématurément amputée d’un de ses membres pour raison de santé) et de l’esprit – à défaut de méthode rigoureuse – qui ont présidé à la réalisation d’une aventure émaillée d’imprévus et de quelques contrariétés.
Sachant que la semaine prochaine, nous rentrerons de plain-pied dans notre sujet par l’inscription des sites étudiés dans leur contexte géographique et historique.
Bonne lecture
Les 4000 de La Courneuve : quartier de La Tour
Marseille : quartiers Nord – Secteur du Merlan
La Duchère : place Abbé Pierre
A la mémoire de Marcel Hénaff, qui a si bien su relier, avec autant de sobriété que de pénétration, dans son ouvrage, La ville qui vient (Editions de L’Herne, 2008), joyau de la littérature de l’urbanité, l’avenir pressenti des villes à leur fondement anthropologique, indissociable de leur fondation matérielle. La ville qui vient, source d’inspiration de ce qui fut au coeur de cette enquête.
SYNTHESE COMPARATIVE
« Il ne s’agit plus seulement de livrer des logements en plus grand nombre possible. Il s’agit de faire naître des quartiers nouveaux composés avec tous les équipements publics et les activités commerciales, artisanales ou industrielles nécessaires pour qu’ils aient eux-mêmes une vie collective propre tout en s’intégrant dans un ensemble urbain ou régional plus vaste.»
Pierre Sudreau, ministre de la construction de 1958 à 1962
Selon une enquête conduite par Paul Clerc dans 53 grands ensembles d’agglomérations d’au moins 30 000 habitants en 1965, 88% des habitants d’immeubles collectifs se déclaraient satisfaits de leur logement… comparé à celui occupé précédemment.
« En quoi le passé, ses réussites comme ses erreurs, peut aider pour éclairer les actions à venir ? »
Jacques Jullien, ancien directeur régional de la SCET
Nous entamons aujourd’hui, après le préalable introductif publié la semaine dernière 17 septembre, l’analyse des sites enquêtés par un bref exposé historique permettant de remonter aux raisons d’une déshérence et à la gestation des remèdes qui seront appliqués en conséquence.
Jointe à l’étude de l’insertion des sites dans leur agglomération respective et à ses ratés, l’analyse, espérons-nous, permettra d’apporter les clefs indispensables à la compréhension des opérations de rénovation ou de renouvellement – selon les périodes – qui seront engagées dans des contextes politiques et économiques alternant interventions sur l’urbain, le social et l’économique sans guère d’esprit de suite.
Bonne lecture
A. Trois histoires urbaines parallèles et néanmoins singulières : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille
Partout on retrouve les mêmes ingrédients : un paysage de béton, des tours et des barres disposées orthogonalement, des dégradations dues à des défauts de préfabrication et à une construction hâtive, la fragmentation de l’espace indissociable de l’enclavement, des drames humains, et la pauvreté encore et toujours. Pourtant les gens changent plus vite que les pierres malgré quelques démolitions et reconstructions ça et là, mais la pauvreté et les difficultés de la vie, qui ne sont pas l’apanage des grands ensembles loin de là, elles, demeurent, diffuses. Pire, alors qu’on efface tant bien que mal les plaies de la pierre, les drames humains laissent une empreinte que la succession des générations peine à transformer en espoir faute d’entrevoir un avenir où se régénérer. Et le travail de mémoire engagé dans ces quartiers trop longtemps en déshérence, une fois décanté de ses scories, risque d’être vain s’il n’est pas susceptible de faire éclore les promesses du futur.
Nous poursuivons cette semaine notre compte rendu d’enquête dont nous avons publié un résumé le 10 septembre dernier.
C’est parce que la politique urbaine des années 50-60 n’a pas su prendre en compte dans sa complexité la société urbaine qu’on lui a appliqué l’emplâtre de la politique de la ville à partir des années 80. C’est parce que la politique de la ville a échoué à résorber les écarts de développement, à réduire les inégalités économiques, à promouvoir une culture commune à même de neutraliser les extrémismes religieux qu’on s’est résolu à recourir à une politique de « peuplement » poursuivant un objectif d’équilibre sociodémographique territorial dont l’enjeu est, au minimum, d’éviter que la concentration dans l’espace des handicaps sociaux et situations de précarité ne constitue un facteur aggravant, ne favorise la délinquance ou ne dégénère en manifestations de violence.
A l’heure où la politique de la ville est, sinon remise en question, intégrée dans un nouveau ministère de la cohésion des territoires et par ce fait même menacée de dilution, le moment est venu de se pencher sur son bilan. Ce que nous avons tenté, très concrètement, à travers l’étude de ces trois sites emblématiques en posant comme hypothèse que la fracture urbaine doublée d’une fracture sociale dont souffre les grands ensembles pourrait bien refléter une fracture plus générale de civilisation dont ces grands ensembles ne seraient l’avant-garde. D’où l’urgence de conjurer les risques de propagation des fêlures du corps social qu’ils préfigureraient par la mobilisation des énergies mises en oeuvre dans une rénovation urbaine dont la pertinence est parfois mise en cause, mais non la nécessité. Le grand ensemble comme métaphore d’un entre-deux monde dont la diversité ouvre sur des potentialités ambivalentes qu’il importe de savoir regarder en face lucidement avant tout engagement, aussi gros de risques que d’espoirs !
Après avoir resitué dans leur environnement et l’histoire de leur développement nos trois sites, et exposé les objectifs de la rénovation des Quatre mille et de La Duchère, nous poursuivons en présentant ceux des quartiers Nord de Marseille à travers Saint-Barthélemy et Malpassé.
Bonne lecture.
Quartier du Canet (XIVe arrondissement) Station Alexandre : ancienne gare de triage reconvertie après rénovation en centre d’affaires dans le cadre d’une ZFU
c. Les quartiers Nord de Marseille : la recomposition urbaine et la paix sociale
En 1946, dans Bilan de l’histoire, René Grousset écrivait : « C’est une loi de l’Histoire qu’en de nombreux pays les provinces-frontières, les régions des Marches, sont souvent appelées à un rôle politique prépondérant. » Citation reproduite dans la préface de Robert Aron à la réédition de l’ouvrage. L’observation vaut pour ces marges que sont les banlieues dans les agglomérations et ces enclaves que sont les grands ensembles dans les banlieues ou en périphérie des centres-villes. Nous transposons la conclusion qu’en tire René Grousset en supprimant les termes relevant d’une analyse géopolitique pour mieux faire ressortir la pertinence de son application aux marges urbaines : « Leurs populations […], aguerries par une vie de lutte perpétuelle […], y acquièrent une supériorité […] qui finit par les imposer au reste de leurs compatriotes. »
La transposition est d’autant plus légitime qu’aujourd’hui les grands ensembles sont rattrapés par la croissance des agglomérations et qu’ils partagent avec les villes, dont « les murs » ne cessent de reculer, les handicaps et les atouts, les travers et les qualités, les misères et les espoirs… Comme si la ville et ses marges, avec ses enclaves, étaient appelées, pour le pire, à se contaminer et, pour le meilleur, à se féconder mutuellement, par-delà leurs limites, de plus en plus floues : « nouvelle frontière », creuset de toutes les initiatives, où se croisent les talents, par où transitent les innovateurs et porteurs de projets parmi les plus audacieux.
Les 4000 de La Courneuve, grand ensemble de la région parisienne, La Duchère, grand ensemble intra-muros, les quartiers Nord de Marseille, marquèterie de noyaux villageois, d’ensembles immobiliers, d’espaces verts et de terrains vagues : autant de configurations dans lesquelles une pensée binaire paresseuse tend à inscrire une opposition entre ville et banlieue, alors même que l’une et l’autre s’interpénètrent, parfois pour leur malheur, quand elles sont laissées à elles-mêmes, plus souvent pour leur bonheur, pourvu que leur développement conjoint soit accompagné à bon escient. Il y va de la cohésion de la société urbaine, irréversiblement confrontée à la diversité et à la mobilité de ses membres.
Après avoir, au chevet de nos trois sites, retracé, dans un premier temps, leur histoire et les objectifs de leur rénovation, puis exposé, dans notre précédent article, la démarche adoptée pour les Quatre mille de La Courneuve, nous poursuivons aujourd’hui avec La Duchère avant d’aborder la semaine prochaine les quartiers de Malpassé et Saint-Bathélemy au nord de Marseille.
Bonne lecture.
***
b) La Duchère : Le primat du paysage urbain et la mixité en ligne de mire
Le paysage n’est autre chose que la présentation culturellement instituée de cette nature qui m’enveloppe.
Après plus de six mois, le président de la République sort de son silence sur ce qu’il est convenu d’appeler « les quartiers » au risque de paraitre, tel Janus, comme ayant alternativement – et non « en même temps » – une double face : celle d’un président des riches et celle d’un président des défavorisés « assignés en résidence » dans ces quartiers relégués à la périphérie des villes, qui, parfois, n’osent même plus dire leur nom.
En appelant à la « mobilisation générale » de « toute la nation » selon un « plan de bataille » engageant « tout le gouvernement » en faveur de « l’émancipation » et du « retour du droit commun » dans lesdits quartiers, l’ambition n’en est pas moins généreuse, mais pose une série d’interrogations :
1) Dans quelle mesure s’inscrit-on toujours dans la loi de Programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 qui avait engagé un rééquilibrage entre rénovation urbaine et action sociale ?
2) Que signifie, dans ce cadre, le retour de l’ex-ministre de la ville J.-L. Borloo, partisan de la thérapie de choc en matière de rénovation ?
3) Que devient dans cette perspective la réorientation de la politique de peuplement engagée par le gouvernement Valls suite aux attentats de 2015 ?
4) Comment mettre les gens en situation de mobilité sans qu’ils perdent pour autant leurs repères, indissociables de la structuration des identités ?
5) Ce que l’on appelle, peut-être improprement, « radicalisation » ne serait-il pas, plutôt que la conséquence de la « démission de la République », le symptôme de la perte de sens de la vie en société, qui doit amener les institutions à se remettre en cause pour donner du contenu à la laïcité, compatible avec la liberté de conscience inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme ?
6) Au-delà d’une série de mesures concrètes à court terme, bienvenues, qu’en est-il fondamentalement du « changement de méthode » annoncé ?
« Je veux que le visage de nos quartiers aient changé à la fin du quinquennat, a dit le président de la République, non pas parce qu’on aura atteint du chiffre mais parce qu’on aura réussi la rénovation morale. Le défi de civilisation se joue dans les quartiers. Je ne veux pas tant proposer des outils et des mesures que construire ensemble pour donner aux villes des résultats. C’est une fierté. Les habitants de la ville doivent être considérés comme des habitants de la République, des citoyens à part entière. »
On ne peut qu’approuver l’exigence d’une évaluation fondée sur des éléments qualitatifs, affranchie de la dictature des chiffres ; ce qui pose une ultime question : celle de l’ « articulation de l’urbain et du social » dans une politique de rénovation visant délibérément l’intégration dans la ville et la réduction des fractures sociales, sans tabou ; ce qui n’ira pas sans un infléchissement, voire un renversement, des approches esquissé par le président le 14 novembre dernier à Tourcoing, non plus sans que soit revue la part des dotations affectées au social par rapport à celles qui le sont à l’urbain, sachant que l’accompagnement social de la rénovation urbaine sera d’autant moins requis et plus efficace que celle-ci se sera pliée aux besoins et aspirations de la société locale, émancipée (inversion des priorités : la société urbaine d’abord).
Répondre à cette ultime question, c’est aussi répondre aux préoccupations des acteurs de la politique de la ville des trois sites de rénovation/renouvellement urbain, objet de notre enquête : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille, dont nous poursuivons aujourd’hui l’exposé synthétique, avant de se risquer à interpréter – avec une part de subjectivité inévitable – les propos recueillis auprès d’une centaine d’acteurs, habitants compris.
Bonne lecture.
***
5. A la charnière de la rénovation urbaine et du renouveau social
Pour Christian Devillers, l’architecte-urbaniste de Malpassé dans les quartiers nord de Marseille, l’articulation de l’urbain avec le social se joue dans l’accompagnement du relogement qui précède les démolitions. Lesquelles peuvent être motivées par des considérations tenant à l’état des bâtiments et des logements, urbanistiques ou sociales. Selon les situations, mais aussi les idéologies, les positions varient, accordant plus ou moins de poids à l’un ou l’autre de ces motifs.
La Courneuve Secteur Nord des 4000 A l’arrière fond, la barre Robespierre destinée à la démolition
Après un bref rappel historique et des enjeux de la rénovation urbaine ainsi que de son avatar, le renouvellement urbain ; après analyse des sites pris comme exemple et des objectifs et démarches mises en oeuvre depuis la promulgation de la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion Urbaine du 21 février 2014, nous abordons à partir d’aujourd’hui la présentation de la scène urbaine et de ses acteurs.
Avec en premier lieu la question du peuplement, objet du présent article.
La démarche adoptée pour l’étude peut-être schématisée sous forme de deux axes:
– Un premier axe, vertical, figurant les étapes de l’étude : l’analyse du projet de rénovation (l’urbain), l’enquête de terrain (le peuplement), les entretiens auprès des acteurs (l’exploration de la gouvernance) ;
– Un second axe, horizontal, figurant les trois entrées thématiques abordées : l’économique (à partir de l’investissement), le social (la question du peuplement, qui renvoie à celle de la mixité et des parcours résidentiels), la culture (l’animation culturelle et artistique de la rénovation).
Où l’on peut voir que les deux axes se croisent au niveau de la question du peuplement, lieu stratégique de l’articulation de l’urbain et du social, d’où dérivent tous les problèmes et où aboutissent toutes les décisions.
Si la question du peuplement est au coeur de notre problématique (et de l’actualité), la question ultime est bien celle de savoir comment passer de cette notion quantitative et sélective à celle qualitative de société urbaine (en termes de lien social ou de cohésion).
Bonne lecture.
***
B. La scène urbaine et ses acteurs : de la conception à la réalisation
Ainsi les manières de pratiquer l’espace, échappent à la planification urbanistique : capable de créer une composition de lieux, de pleins et de creux, qui permettent ou qui interdisent des circulations, l’urbaniste est incapable d’articuler cette rationalité en béton sur les systèmes culturels, multiples et fluides, qui organisent l’habitation effective des espaces internes (appartements, escaliers, etc.) ou externes (rues, places, etc.) et qui les innervent d’itinéraires innombrables. Il pense et il fabrique une ville vide ; il se retire quand surviennent les habitants, comme devant des sauvages qui troubleront les plans élaborés sans eux.
Après la phase de présentation générale et de diagnostic des quartiers politique de la ville de La Courneuve (les 4000), Lyon (La Duchère) et Marseille (Malpassé et Saint-Barthélemy), nous avons abordé dans la dernière livraison de notre blog la scène urbaine à partir de la question du peuplement dont nous avons entamé la critique. Nous poursuivons aujourd’hui avec la question foncière avant de présenter la semaine prochaine l’aménagement spatial. Les acteurs du développement urbain et le problème posé par le partage des compétences entre disciplines, qui vient singulièrement compliquer ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui d’un terme vague : la gouvernance, seront abordés par la suite.
Certes, il faut compter avec la part de subjectivité – inévitable – de l’exercice. Néanmoins, il n’est rien, des conclusions que nous avons tirées de notre enquête, qui ne nous ait été suggéré par nos interlocuteurs. S’il ne faut donc pas rechercher de scoop dans cet exposé, qui ne prétend nullement se situer à la hauteur d’une recherche académique, nous n’en estimons pas moins que les témoignages recueillis à travers une centaine d’entretiens méritent d’autant plus attention que le président de la République, le 14 novembre dernier à Tourcoing, après s’être attaché à redéfinir les objectifs de la Politique de la ville et énumérer quelques unes des mesures concrètes de leur mise en oeuvre, s’est prononcé en faveur d’une « méthode différente ».
En attendant que le recadrage de la politique de la ville se précise, sans doute n’est-il pas vain de revenir, à travers trois sites « emblématiques » de renouvellement urbain, sur un bilan de 40 année d’atermoiements pour en tirer des enseignements susceptibles de guider les politiques à venir.
Bonne lecture.
***
b) Quand la question foncière est mise sous le boisseau alors que la culture passe sur le devant de la scène
Les 4000 de La Courneuve : plan de masse d’origine – Secteurs Sud-Ouest et Nord séparés par le carrefour des Six Routes, lieu d’implantation de la future gare du Grand Paris Express
Si, pour passer du peuplement – impliquant des procédures de sélection – à la société urbaine – dont le concept est indissociable de la cohésion lui est inhérent – il faut introduire du lien social, encore faudra-t-il pour que la société urbaine prenne la consistance d’une ville que son architecture et sa forme urbaine soit accordée à ses aspirations, lesquelles dépassent de beaucoup ses besoins élémentaires pour prendre en compte la qualité des rapports sociaux et les perspectives d’ascension sociale de ses membres.
Entre le corps de la ville et l’esprit censé l’animer il faut de surcroît interposer l’élément qui assure l’adéquation entre la matérialité de l’urbain et la société. C’est ce qui a manqué au Mouvement moderne, obsédé par la fonctionnalité, pour faire vivre la ville. Cet élément, qui fait que la ville a une âme, est le paysage, seul à même d’introduire de l’émotion dans ce qui autrement risque de réduire l’urbain à un agencement de formes dénuées de repères et de sens.
Enfin, entre l’espace privé, espace de l’intimité investi par la personne, et l’espace public, espace anonyme du citoyen, c’est l’introduction de l’espace commun qui permet de garantir les solidarités sans lesquelles une ville ne serait qu’une coquille vide. Or, entre l’espace privé, l’espace commun et l’espace public, c’est bien le paysage avec ses gradations qui fait la différence.
Tout est, comme on le voit, affaire de transitions. De transitions et non, sous prétexte de séparer ce qui est incompatible, de ruptures comme trop souvent lorsqu’il s’agit de sortir de l’anomie et de mettre de l’ordre. C’est la déconnexion de l’urbanisme à société urbaine qui justifie le recours à l’art paysager pour renouer le lien affectif que le fonctionnalisme triomphant avait rompu au nom d’une conception purement formelle de l’environnement, réduit à un cadre de vie.
Peuplement, statut du foncier (articles XII et XIII de notre blog), paysage urbain (objet de notre livraison d’aujourd’hui) et espace commun (qui sera abordé la semaine prochaine), tels nous sont apparus les trois piliers susceptibles de rendre compte du phénomène urbain et de qualifier la ville, une fois dépassées les oppositions binaires.
« Il y a, écrit Julien Gracq dans Le rivage des Syrtes, des villes pour quelques-uns qui sont damnées, par cela seulement qu’elles semblent nées et bâties pour fermer ces lointains qui seuls leur permettraient d’y vivre ». C’est l’avantage du paysage que d’ouvrir aux habitants des perspectives au-delà d’eux-même, sur le monde.
« Etant donné l’origine historique du concept, on entendra donc par paysage urbain, le spectacle de la ville au quotidien, vu par le promeneur qui, sans hiérarchiser, prend en charge le réel non plus d’un regard circulaire et englobant dans une volonté de totalisation immédiate, mais au rythme de la marche, en intégrant le temps de la perception. Ce n’est plus le regard éloigné mais le regard de proximité tant spatiale qu’affective […] »
Cette synthèse sur le renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de La Duchère à Lyon et des quartiers de Saint-Barthélemy et Malpassé à Marseille, sites emblématiques de la politique de la ville, a été rédigée en 2015-2016. Mais le projet d’étude avait été déposé auprès de l’Institut CDC pour la Recherche et la problématique soulevée dès l’automne 2011. Depuis, un nouveau président de la République a été élu chamboulant l’échiquier politique et brouillant les cartes du jeu ; le « En même temps » est devenu un leitmotiv du discours présidentiel.
Aussi, pour prendre la mesure du saut qualitatif qu’a représenté cette nouvelle présidence, est-ce à la lumière du présent qu’il faut lire aujourd’hui cette synthèse ; laquelle, partant du constat de l’alternance de politiques de la ville (au pluriel) depuis 40 ans, posant en conséquence le diagnostic de leur impuissance à sortir de l’impasse où les déviations du Mouvement moderne avaient, après-guerre, précipité les politiques urbaines, suggère de réarticuler les stratégies touchant à l’urbanisme, à l’action sociale, à l’économie, à l’éducation et à la culture, ainsi qu’à l’environnement, dans une politique urbaine intégrée. Du moins sont-ce les enseignements tirés d’une centaine d’entretiens avec des acteurs et habitants rencontrés.
L’avenir dira si les promesses du « En même temps » seront tenues par le nouveau ministère de la cohésion des territoires, dont la dénomination aurait pu annoncer un abandon de la politique de la ville si, dans son discours de Tourcoing du 14 novembre dernier, le président de la République n’avait manifesté l’intention de la relancer. Et cela, alors même qu' »en même temps » son gouvernement projetait de ponctionner à hauteur de 1,5 milliards d’€ les organismes HLM (ponction dite réduction de loyer de solidarité) pour compenser la baisse des APL !
En tout état de cause, « une » politique de la ville refondée dans une politique urbaine intégrant les dimensions sociale, économique, culturelle… est la condition d’une sortie honorable des impasses dans lesquelles « les » précédentes politiques de la ville se sont fourvoyées. Condition pour que la politique appliquée à la rénovation des grands ensembles ou au renouvellement urbain en général ne se réduise pas au traitement des symptômes – comme la politique de peuplement – mais s’attaque aux problèmes de fond que pose l’articulation de l’aménagement et de l’équipement des territoires à la composition et aux caractéristiques de leur population.
Etant entendu, qu’il y faudra plus qu’un simple « accompagnement social » des opérations de rénovation, mais bien, toutes les tentatives de fonder le social sur l’économie ayant échoué, procéder à sa réinsertion dans l’économie à une échelle élargie (urbaine et rurale, donc nationale) qui permette les péréquations.
Sans doute est-ce là dessus que Macron et son gouvernement sont attendus par tous ceux qui ont pâti des politiques précédentes.
***
Mais si la condition sociale est dépendante du développement économique, la qualification des espaces urbains n’est pas sans avoir un impact sur les pratiques sociales. Et si le paysage contribue à cette qualification, c’est toujours en fonction du statut qui est conféré à ces espaces.
Avec la distinction des espaces privés, publics et communs, nous clôturons aujourd’hui le chapitre consacré à l’articulation « disciplinaire » des dimensions urbaines. Et ce, avant d’aborder la semaine prochaine la question de la « gouvernance », notion d’autant plus contestée qu’elle s’est vulgarisée.
Bonne lecture.
La Duchère : l’esplanade « Compas-Raison » Aménagement sculptural de Serge Boyer
Dans l’Introduction générale à l’Histoire de l’Europe urbaine, Jean-Luc Pinol écrit : « … la ville est un phénomène total où se condensent l’économique et le social, le politique et le culturel, le technique et l’imaginaire et, partant, toute approche fractionnée qui privilégierait un domaine unique au dépend des autres manquerait de pertinence […]. » C’est que « ville et société ne se comprennent que dans leurs interrelations ».
De même qu’on ne peut pas détacher les déterminations géographiques des causalités historiques, on ne saurait pas plus dissocier la promotion des populations urbaines du développement économique qu’isoler l’attention portée à la forme urbanistique et architecturale des villes de celle qui devrait l’être à la condition sociale de leurs habitants.
Dès lors, pourquoi, depuis que la politique de la ville existe, cet acharnement à dénoncer la dissociation de l’urbain et du social dans le traitement des maux de la ville s’il est aussi évident qu’elle constitue un tout indissociable, la preuve étant qu’elle est vécue comme tel par le citadin, bien placé pour le savoir ?
C’est pourtant là que se situe le problème, dans la théorie aussi bien que dans la pratique, et il ne suffit pas de le balayer d’un revers de main pour le voir résolu : ne vivant pas dans et par la ville comme le citadin, l’expert qui se penche à son chevet, de par la prise de distance que requiert l’exercice de son art, en perd la vue d’ensemble. Prisonnier du découpage « disciplinaire » hérité de l’université, il serait vain de croire qu’il pourrait s’en affranchir dans la pratique, qui ne fait que reproduire la division du travail universitaire.
D’où l’importance primordiale de ce qu’il est convenu d’appeler la « gouvernance », censée, en rompant les hiérarchies traditionnelles, mieux assurer la coordinations des acteurs et la convergence des disciplines pour retrouver le vécu enseveli sous les strates du savoir accumulé. Encore faut-il que les habitants ne soient pas oubliés. L’examen des modalités, non plus seulement de leur association, mais bel et bien de leur pleine implication, fera l’objet de notre prochain article.
En attendant, bonnes fêtes de fin d’année et, accessoirement, bonne lecture.
Mairie de La Courneuve
1. La gouvernance à travers les modes d’action et de pilotage
La loi Borloo de 2003 avait privilégié la rénovation physique. Les violences urbaines de l’automne 2005 ont attiré l’attention sur l’importance à accorder aux aspects sociaux (cf. le lancement de la dynamique « Espoir banlieues » et la promulgation de la loi pour l’Egalité des Chances en mars 2006), mais sans pour autant inverser les priorités par rapport à l’urbain. La loi Lamy de 2014 a traduit sur le papier une volonté d’équilibre, mais en maintenant au sommet la séparation entre les organes respectivement en charge de la rénovation (Agence Nationale de Rénovation Urbaine : ANRU) et du renouvellement urbain au sens large du terme (Commissariat Général à l’Egalité des Territoires, CGET, héritier de l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances, Acsé, regroupée avec la DATAR et le Secrétariat Général du Comité Interministériel des Villes).