XV – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : de l’espace public à l’espace commun

Chères lectrices, chers lecteurs

Cette synthèse sur le renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de La Duchère à Lyon et des quartiers de Saint-Barthélemy et Malpassé à Marseille, sites emblématiques de la politique de la ville, a été rédigée en 2015-2016. Mais le projet d’étude avait été déposé auprès de l’Institut CDC pour la Recherche et la problématique soulevée dès l’automne 2011. Depuis, un nouveau président de la République a été élu chamboulant l’échiquier politique et brouillant les cartes du jeu ; le « En même temps » est devenu un leitmotiv du discours présidentiel.

Aussi, pour prendre la mesure du saut qualitatif qu’a représenté cette nouvelle présidence, est-ce à la lumière du présent qu’il faut lire aujourd’hui cette synthèse ; laquelle, partant du constat de l’alternance de politiques de la ville (au pluriel) depuis 40 ans, posant en conséquence le diagnostic de leur impuissance à sortir de l’impasse où les déviations du Mouvement moderne avaient, après-guerre, précipité les politiques urbaines, suggère de réarticuler les stratégies touchant à l’urbanisme, à l’action sociale, à l’économie, à l’éducation et à la culture, ainsi qu’à l’environnement, dans une politique urbaine intégrée. Du moins sont-ce les enseignements tirés d’une centaine d’entretiens avec des acteurs et habitants rencontrés.

L’avenir dira si les promesses du « En même temps » seront tenues par le nouveau ministère de la cohésion des territoires, dont la dénomination aurait pu annoncer un abandon de la politique de la ville si, dans son discours de Tourcoing du 14 novembre dernier, le président de la République n’avait manifesté l’intention de la relancer. Et cela, alors même qu' »en même temps » son gouvernement projetait de ponctionner à hauteur de 1,5 milliards d’€ les organismes HLM (ponction dite réduction de loyer de solidarité) pour compenser la baisse des APL !

En tout état de cause, « une » politique de la ville refondée dans une politique urbaine intégrant les dimensions sociale, économique, culturelle… est la condition d’une sortie honorable des impasses dans lesquelles « les » précédentes politiques de la ville se sont fourvoyées. Condition pour que la politique appliquée à la rénovation des grands ensembles ou au renouvellement urbain en général ne se réduise pas au traitement des symptômes – comme la politique de peuplement – mais s’attaque aux problèmes de fond que pose l’articulation de l’aménagement et de l’équipement des territoires à la composition et aux caractéristiques de leur population.

Etant entendu, qu’il y faudra plus qu’un simple « accompagnement social » des opérations de rénovation, mais bien, toutes les tentatives de fonder le social sur l’économie ayant échoué, procéder à sa réinsertion dans l’économie à une échelle élargie (urbaine et rurale, donc nationale) qui permette les péréquations.

Sans doute est-ce là dessus que Macron et son gouvernement sont attendus par tous ceux qui ont pâti des politiques précédentes.

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Mais si la condition sociale est dépendante du développement économique, la qualification des espaces urbains n’est pas sans avoir un impact sur les pratiques sociales. Et si le paysage contribue à cette qualification, c’est toujours en fonction du statut qui est conféré à ces espaces.

Avec la distinction des espaces privés, publics et communs, nous clôturons aujourd’hui le chapitre consacré à l’articulation « disciplinaire » des dimensions urbaines. Et ce, avant d’aborder la semaine prochaine la question de la « gouvernance », notion d’autant plus contestée qu’elle s’est vulgarisée.

Bonne lecture.

La Duchère : l’esplanade « Compas-Raison »                   Aménagement sculptural de Serge Boyer

d)  De l’espace public à l’espace commun

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XVI – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la gouvernance

Chères lectrices, chers lecteurs

Dans l’Introduction générale à l’Histoire de l’Europe urbaine, Jean-Luc Pinol écrit : « … la ville est un phénomène total où se condensent l’économique et le social, le politique et le culturel, le technique et l’imaginaire et, partant, toute approche fractionnée qui privilégierait un domaine unique au dépend des autres manquerait de pertinence […]. » C’est que « ville et société ne se comprennent que dans leurs interrelations ».

De même qu’on ne peut pas détacher les déterminations géographiques des causalités historiques, on ne saurait pas plus dissocier la promotion des populations urbaines du développement économique qu’isoler l’attention portée à la forme urbanistique et architecturale des villes de celle qui devrait l’être à la condition sociale de leurs habitants.

Dès lors, pourquoi, depuis que la politique de la ville existe, cet acharnement à dénoncer la dissociation de l’urbain et du social dans le traitement des maux de la ville s’il est aussi évident qu’elle constitue un tout indissociable, la preuve étant qu’elle est vécue comme tel par le citadin, bien placé pour le savoir ? 

C’est pourtant là que se situe le problème, dans la théorie aussi bien que dans la pratique, et il ne suffit pas de le balayer d’un revers de main pour le voir résolu : ne vivant pas dans et par la ville comme le citadin, l’expert qui se penche à son chevet, de par la prise de distance que requiert l’exercice de son art, en perd la vue d’ensemble. Prisonnier du découpage « disciplinaire » hérité de l’université, il serait vain de croire qu’il pourrait s’en affranchir dans la pratique, qui ne fait que reproduire la division du travail universitaire.

D’où l’importance primordiale de ce qu’il est convenu d’appeler la « gouvernance », censée, en rompant les hiérarchies traditionnelles, mieux assurer la coordinations des acteurs et la convergence des disciplines pour retrouver le vécu enseveli sous les strates du savoir accumulé. Encore faut-il que les habitants ne soient pas oubliés. L’examen des modalités, non plus seulement de leur association, mais bel et bien de leur pleine implication, fera l’objet de notre prochain article.

En attendant, bonnes fêtes de fin d’année et, accessoirement, bonne lecture.       

Mairie de La Courneuve

1. La gouvernance à travers les modes d’action et de pilotage

La loi Borloo de 2003 avait privilégié la rénovation physique. Les violences urbaines de l’automne 2005 ont attiré l’attention sur l’importance à accorder aux aspects sociaux (cf. le lancement de la dynamique « Espoir banlieues » et la promulgation de la loi pour l’Egalité des Chances en mars 2006), mais sans pour autant inverser les priorités par rapport à l’urbain. La loi Lamy de 2014 a traduit sur le papier une volonté d’équilibre, mais en maintenant au sommet la séparation entre les organes respectivement en charge de la rénovation (Agence Nationale de Rénovation Urbaine : ANRU) et du renouvellement urbain au sens large du terme (Commissariat Général à l’Egalité des Territoires, CGET, héritier de l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances, Acsé, regroupée avec la DATAR et le Secrétariat Général du Comité Interministériel des Villes).

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XVII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : de la participation à la coconstruction, à défaut d’empowerment

Chères lectrices, chers lecteurs

Si le gouvernement des villes est fondé sur le principe de démocratie, il s’en faut encore de beaucoup qu’il en soit de même de la gouvernance des projets urbains. Il y a dans cette constatation un paradoxe, comme si la proximité qui est caractéristique du projet urbain pouvait dispenser de mettre en oeuvre des démarches participatives. Le passage historique du « gouvernement » à la « gouvernance » promettait pourtant une rupture des hiérarchies traditionnelles au bénéfice de circuits de décision horizontaux incluant les acteurs au côté des experts. Et quand nous disons acteurs, c’est y compris les habitants, acteurs de leur destinée liée à un cadre de vie où ils ont des repères, à défaut de racines. C’est donc aussi du passage de la notion d’usager (développement durable oblige) à celle de «  »citoyens », indissociable du statut de « citadin », qu’il s’agit.

En promouvant la coconstruction la loi du 21 février 2014 portant programmation pour la ville et la cohésion urbaine devrait, à cet égard constituer une étape décisive dans la démocratisation des politiques appliquées à la ville. « Coconstruction » et non « empowerment » : passation de pouvoirs mais sans dessaisissement, la technicité domine trop la matière et l’intérêt général surplombe de trop haut les intérêts de proximité pour qu’il en soit autrement.

Bonne lecture, mais avant tout, puisse, chère lectrice, cher lecteur, cette nouvelle année vous être favorable, à vous, à vos proches, comme à ceux qui, ayant bien mieux à faire, ne me lisent pas.

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Quartiers Nord de Marseille en chantier, avec les grues érigées à l’arrière plan
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XVIII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : essai de typologie et limites d’une comparaison

Chères lectrices, chers lecteurs

Suite à l’agression dont ont été victimes, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, deux policiers à Champigny-sur-Marne, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur a déclaré au micro d’Europe 1 : « Lorsque l’on voit ces grandes barres on se dit qu’il y a un aspect inhumain qui ne peut générer que de la violence ». Comme s’il suffisait de raser des tours et barres, souvent qualifiées de criminogènes, pour résoudre les problèmes humains que posent ces quartiers ! C’est trop d’honneur fait au béton, trop peu consenti à la chair de l’urbain.

Un peut court, Monsieur le ministre, surtout quand, en tant que maire de l’arrondissement de La Duchère, le IXe, on a contribué en profondeur au renouvellement urbain de ce quartier qui partait à vau-l’eau :  « La Duchère, je lui ai consacré une grande partie de ma vie. Ce quartier est au fond de mon coeur. J’y ai construit mon schéma politique », déclariez-vous en juin 2016 lors d’une émission de Franc 3 Rhône-Alpes. Vous n’avez-certes pas lésiné sur les démolitions au début, mais la résistance des habitants a eu raison de votre volontarisme. Vous avez en fin de compte subordonné la table rase à un objectif supérieur : celui d’un équilibre démographique plus conforme à l’esprit de renouvellement urbain qui avait inspiré la loi SRU de l’an 2000 avec lequel renouera la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014.

On eut apprécié entendre, à cette occasion, Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, pour rappeler que l’ « urbain » ne saurait se laisser enfermer dans des formes géométriques qu’il déborde, tant il s’impose par son épaisseur sociale et culturelle. Mais depuis sa prise de fonction, monsieur Mézard, en charge de la cohésion des territoires, reste obstinément silencieux, tout comme Emmanuel Macron jusqu’à sa déclaration de Tourcoing le 14 novembre dernier. Comment interpréter ces pages blanches de l’agenda du pouvoir, par ailleurs atteint d’une frénésie de réformes ? Cela, alors même que la « marche » du président de la République est, de son propre aveu – doublement atténué par le recours à la prétérition et l’emploi de la double négation [*] – quelque peu boiteuse, appuyant, jusqu’à présent, plus souvent sur la jambe droite que sur la gauche.

Nous sommes d’autant plus conforté pour poursuivre la publication des résultats de notre enquête portant sur le renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de La Duchère et des quartiers Nord de Marseille. Après exposé du diagnostic sous toutes ses dimensions, nous abordons aujourd’hui le bilan que l’on peut dresser de 15 ans d’application de la loi Borloo ; bilan qui nous permet de mettre en exergue trois grandes tendances d’évolution, lesquelles, pour n’être pas représentatives de la diversité des quartiers prioritaires, ne nous apparaissent pas moins exemplaires des stratégies politique de la ville localement mises en oeuvre. 

Ceci avant de récapituler, dans les semaines qui viennent, les orientations dégagées des entretiens menés auprès des habitants des quartiers et des acteurs de leur rénovation. Avec à l’arrière plan une question lancinante : comment relier ce que le progrès mal maîtrisé des sciences et techniques de l’urbain a délié, pour refonder la ville ? Et de se demander si les solutions aux maux de civilisation ne seraient pas susceptibles d’émerger de la rénovation en cours des grands ensembles, en tant qu’ils accusent, plus qu’ils ne reflètent, les fractures de la société dans son ensemble.

Les grands ensembles de banlieues ou de périphéries de centre-ville comme laboratoire social ou terres d’expérimentation des réformes à venir ?

[*] Propos rapportés par Le Monde du 4 janvier à l’issue du séminaire du 3 de ce mois : « Je ne vais pas vous dire que je ne me suis jamais senti boiter. »

Bonne lecture.

Quartiers Nord de Marseille – Environnement du Merlan

 

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Les 4000 de La Courneuve : quartier de La Tour

 

La Duchère – Ensemble de logements en bordure du parc du Vallon

4. Essai de typologie, limites d’une comparaison

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XIX – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la synthèse urbaine (1. Préalable sémantique)

Chères lectrices, chers lecteurs

« Paradoxalement, et contrairement à l’opinion commune, la ville européenne apparaît plus menacée dans ses fondements sociaux que dans ses cadres matériels. Le sursaut salvateur ne saurait venir que du politique ou du citoyen », écrit Guy Burgel dans La ville contemporaine après 1945 ( 6e volume de l’Histoire de l’Europe urbaine éditée sous la direction de Jean-Luc Pinol).

C’est bien ce que révèle la crise des politiques urbaines de la seconde moitié du XXe siècle, qu’une politique de la ville mise en place dans le dernier tiers du siècle n’a jusqu’à présent pas su endiguer en raison de la dissociation opérée entre l’urbain et le social

Après l’analyse fondée sur le recueil de données complétées d’entretiens auprès d’acteurs et d’habitants des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille, après un bilan des programmes et réalisations de la rénovation de ces trois grands ensembles assorti d’une esquisse de typologie, la synthèse s’impose d’autant plus que la ville elle-même, avec son humanité plurielle inséparable de son environnement sensible, est synthèse. Synthèse comme l’est la réalité mise en pièces par l’intellect avant que l’action ne la reconstruise selon les principes et les normes de la culture de référence. Mais, synthèse urbaine de plus en plus difficilement saisissable dans sa mouvance : ville de flux, comme en a bien rendu compte Olivier Mongin dans son dernier ouvrage [*], indéfiniment extensible, dans la dimension horizontale comme dans la verticale. Et pour cette raison même, en crise. 

Or, c’est dans les marges que tout se joue. On a trop abusé de la mise en exergue de l’opposition entre centre et périphérie pour ne pas, paradoxalement, devoir recentrer le débat sur ces frontières qui, plutôt que lier, fracturent l’espace. Les grands ensembles des années 60 ne sont plus à la périphérie, mais n’en restent pas moins isolés d’un contexte urbain qui les ignore et de centres-villes qui les redoutent, quand ils ne les rejettent pas.    

Après l’analyse des sites que nous avons retenus pour leur exemplarité, nous entamons aujourd’hui cette synthèse, pleine d’embuches, qui se déclinera en cinq séquences :

  1. Des ambiguïtés du vocabulaire au piège de la spécialisation des pratiques,
  2. L’impensé de la société urbaine,
  3. Le déni de la forme urbaine,
  4. Du projet urbain au projet social-urbain,
  5. La politique de la ville en question,

Synthèse, au terme de laquelle nous proposerons une conclusion – provisoire – sous le « signe du lien ». Conclusion intégrant l’urgence d’un repositionnement politique.

Bonne lecture.

[*] La ville des flux sous-titré L’envers et l’endroit de la mondialisation urbaine (2013).

 

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Les 4000 de La Courneuve – Secteur Sud (frères Goldstein, architectes)

 

C. Synthèse urbaine : de l’impensé de la société urbaine à l’énigme de son articulation

C’est le moment de revenir sur le rapport du Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU de janvier 2010 rédigé par Thomas Kirszbaum.

1. Des ambiguïtés du vocabulaire au piège de la spécialisation des pratiques

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XX – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la synthèse urbaine (2. L’impensé de la société urbaine)

Chère lectrice, cher lecteur

En 1913, Charles Péguy s’en prenait au parti intellectuel en ces termes : « La méthode, […], l’invention moderne, la nouveauté moderne, ce n’est point l’exactitude, c’est l’épuisement du détail indéfini, c’est l’épuisement de la documentation et de la littérature sur un sujet, et même sur tous les sujets. » Et un paragraphe plus loin il précisait : « L’exactitude n’est ni la vérité ni la réalité. […] C’est la perfection du discernement. » ( L’argent suite)

Sans doute ne peut-on parler aujourd’hui de « parti intellectuel » comme Péguy au temps de l’affaire Dreyfus, mais d’un entre-soi d’intellectuels, oui, parmi nombre d’autres entre-soi : de chercheurs, d’experts, de techniciens, d’acteurs de terrain, d’habitants, ou de résidents plutôt, qui n’en sont pas moins acteurs, si ce n’est qu’ils ne jouent pas la scène qui leur est dévolue mais la vivent. On n’échappe pas à l’entre-soi, tellement les extrêmes que sont le solipsisme et l’universalisme sont hors de portée. Et, s‘il est une leçon que l’on a pu tirer des conditions d’exécution de notre enquête, plus encore que de ses résultats, c’est bien celle-là. 

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu, en tant que praticiens, retraités de surcroît, que nous ne pouvions prétendre faire un travail de chercheurs avec ce qu’il impliquerait d’exhaustivité, d’ « épuisement de la documentation », de poursuite du « détail infini », mais oeuvre de témoins. D’aucuns nous ont reproché de n’avoir pas de méthode [*], d’enfoncer des portes ouvertes. Mais c’était, d’une part, sans compter avec le cadre de réalisation de l’étude, ses contraintes, les tracasseries administratives et les aléas de santé en ayant rendu l’exécution acrobatique avec sa part d’improvisation, d’autre part, feindre d’ignorer que lesdites portes avaient été entrouvertes, sinon ouvertes, par nos interlocuteurs mêmes, expérimentés s’il en fut, et certaines depuis belle lurette, mais sans que les seuils en aient été franchis pour autant. A croire qu’il ne suffit pas qu’une porte soit ouverte pour accéder au domaine et qu’il faille encore que le seuil n’en soit pas trop élevé.

 Filons la métaphore, histoire de marquer sa distance avec la science, si « humaine » soit-elle : n’avons-nous pas, jusqu’à récemment encore, occupé la planète comme des squatters, en refermant les portes derrières nous tout en veillant pour celles qui restaient malgré tout ouvertes à en relever le seuil afin d’en limiter le franchissement. Cloisonnements et dénivelés sans doute historiquement nécessaires à l’affermissement de nos identités, mais que les technologies de communication modernes ont rendu vains, pour le meilleur et pour le pire. Au point qu’aujourd’hui il n’y aurait plus de salut que dans l’érection de murs derrière lesquels se réfugier pour échapper à la dilution ou dans des zones à défendre (dernier avatar des zones d’aménagement différé) en marge du contrat social qui nous lie, pour le meilleur et le pire toujours. 

Faudrait-il donc se résigner à renvoyer chacun à sa position statutaire, à sa corporation, à son corps constitué, à sa famille disciplinaire, à sa catégorie ethnique, à sa classe sociale…, en bref à son entre-soi, assigné à un territoire ? Faut-il craindre de transgresser les frontières ? Sans doute est-il souhaitable de laisser les portes ouvertes pour permettre les échanges, tout en maintenant des seuils pour préserver les identités (la platitude n’ayant jamais été un gage d’harmonie).

Ayant, au cours de notre enquête, affronté l’épreuve des cloisonnements disciplinaires et des corporatismes, nous avons pris le parti d’ignorer la spécificité des disciplines et de défier l’esprit de corps des acteurs de la politique urbaine pour privilégier, dusse la rigueur en souffrir, le croisement des regards et l’enchevêtrement des voix entre praticiens et théoriciens, tenants des différentes disciplines, maîtres d’oeuvre et maîtres d’ouvrage, experts et politiques, administratifs et usagers, professionnels et habitants…, laissant les lectrices et les lecteurs seuls juges de la qualité (nous n’osons dire de la « perfection ») de notre « discernement » appliqué à  la « réalité » (la « vérité » étant une autre affaire) urbaine.

C’est donc « sciemment » que nous avons opté pour l’ouverture au risque de sacrifier l’exhaustivité, peut-être aussi la rigueur, mais en sauvegardant l’exactitude (ou du moins en s’efforçant de l’approcher au plus près).

Après les préalables sémantiques et avant d’aborder la question de la forme urbaine, qu’en est-il de la société urbaine à propos de laquelle Thomas Kirszbaum a parlé d’un « impensé de son articulation » ?

Bonne lecture. 

[*] C’est plus de 60 ans après Péguy, en 1975, que Paul Feyerabend s’est attaché a fustiger l’esprit de méthode et à démythifier la science dans son livre intitulé Contre la méthode, sous-titré : Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance.

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Quartiers Nord de Marseille

2. L’impensé de la société urbaine

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XXI – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la synthèse urbaine (3. Le déni de la forme urbaine)

De ZAD en ZAD

Photo du groupe de pétition de NDDL (Flickr)

Et si la réalisation d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes n’était, pour les zadistes s’entend, qu’un prétexte ?

Et si une Zone A Défendre – véritable anti-ville, mais dont l’antagonisme avec le monde rural contemporain n’est pas moindre – n’était qu’un alibi ?

Ce qui est sûr, c’est qu’elle est un détournement de procédure, celle des Zones                       d’Aménagement Différé ; si bien différé que c’est grâce à elle que la zone humide a pu être protégée, renforçant après coup la légitimité de la Zone A Défendre. Mais la question devient alors celle de savoir dans quel but et au profit de qui elle a été détournée ?

 La motivation de ses occupants ne serait-elle pas de fuir la ville pour se retrouver entre-soi ? Mais quelle sorte d’entre-soi ? Ni ethnique, ni de classe, ni de genre. De marginaux en mal de communauté, de casseurs potentiels prêts à en découdre ? Entre-soi de circonstance en tous cas, qui n’exclut certes pas la diversité, mais dont la solidarité, passée l’exaltation de l’union dans la contestation, doit encore être mise à l’épreuve de la durée et de la banalité de la vie quotidienne avec ses contraintes « hors normes ». Entre-soi non de statut mais territorial, qui peine à s’enraciner.

Où l’on voit que le fond du problème (The heart of the matter comme aurait dit Graham Greene) pour être bien enfoui n’en est que plus explosif : les pouvoirs publics ayant renoncé à la destination initiale de la ZAD, la question de son évacuation est suspendue à sa nouvelle vocation. Et si l’évacuation est ordonnée et exécutée, quel sort sera réservé aux zadistes, sachant que la plupart ne réintègreront ni la ville ni la campagne, qui, d’ailleurs n’en ont que faire. 

C’est que la ZADZone A Défendre, mais contre quoi : la ville et ses nuisances, la ruralité soumise à la  compétition économique ? Contre qui : les citadins et les agriculteurs grands consommateurs de nouvelles technologies et de pesticides ? – est leur dernier refuge. On peut bien, au vu de l’état d’entretien actuel de la zone, s’interroger sur leur capacité à la mettre en valeur selon les principes de l’écologie ;  en revanche, on ne saurait assimiler, comme on le fait souvent, la ZAD à une « zone de non-droit », et on peut au moins faire confiance à ses occupants pour édicter des normes à leur mesure, quitte à ce que ce soit sur le dos des autres : urbains et ruraux. Mais si la qualificatif de zone de non-droit est abusif, c’est bien en présence d’une zone d’exclusion volontaire que l’on se trouve, car les zadistes sont des sécessionnistes, doublement urbaphobes si l’on considère l’hégémonie de la culture urbaine sur la ville et désormais sur le monde rural, hégémonie qu’Henri Lefebvre avait anticipée en son temps.

Ne reste plus alors aux squatters de la zone qu’à se réinstaller sur d’autres ZAD, qui n’attendent que leur renfort (on en compterait une douzaine dans notre Hexagone). Et la question demeure de savoir jusqu’où la société – de culture urbaine généralisée – est prête à tolérer leur séparatisme et leur exclusivisme ?

La tragédie des zadistes est de se situer délibérément en marge du pacte social. « Si donc, écrit Rousseau dans Du contrat social, il s’y trouve des opposants, leur opposition n’invalide pas le contrat, elle empêche seulement qu’ils n’y soient compris ; ce sont des étrangers parmi les citoyens. » Avec quelles conséquences ?

On aimerait suivre Marielle Macé lorsque dans Le Monde du 25 janvier elle en appelle à Ovide, l’auteur des Métamorphoses, pour investir ces espaces émergents que sont Notre-Dame-des-Landes, Sivens, la forêt de Bure, Lampedusa… « parce que ce qu’il y a à imaginer, ce sont toujours d’autres idées de vie, d’autres formes de vie ; et parce que dans certains lieux les vies sont effectivement déjà autres, changeantes et imaginatives : elles se risquent, elles s’inventent et, en s’inventant, elles se prouvent. »

Aussi est-on fondé à poser la question : à quand Ovide en ville ? La forme urbaine, dans ses métamorphoses, peut-elle encore nous retenir ? Et derrière la forme matérielle, ou au-delà, n’y a-t-il pas beaucoup plus encore et même mieux pour nous attirer, nous séduire, avant que de nous retenir ? « Oui, s’écrie Marielle Macé, notre imagination politique, nos pratiques politiques (nos 1968 à nous), nous les jouons en grande partie dans ces paysages ovidiens, ces espaces métamorphiques que la lutte consiste à occuper, mais surtout à réhabiter, et où lutter revient à protéger et augmenter la vie elle-même […]. » Et pourquoi pas dans la ville, lieu de l’urbanité par définition, son essence !

Tel est après « l’impensé de la société urbaine » et avant « la construction du projet urbain » le sujet de ce jour de notre feuilleton sur nos « trois sites emblématiques de renouvellement urbain » : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille ; compte rendu d’enquête réalisée en 2012-2016 sur la base d’une centaine d’entretiens dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence.   

Bonne lecture.

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3. Le déni de la forme urbaine

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La Duchère
L’avenue du Plateau vue de la place Abbé Pierre

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XXII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : du projet urbain au projet social-urbain

De qui Macron est-il le président ?

C’était à la fin de l’année dernière (six mois après son élection) : Macron président des riches en vadrouille les 13 et 14 novembre dans les banlieues des Hauts-de-France et de Seine-Saint-Denis pour redresser son image. D’aucuns avaient alors estimé que ce n’était pas trop tôt !

C’était le mois dernier (soit, dans les deux mois qui ont suivi) : après une échappée à Davos, Macron président des villes battant  la campagne les 25 et 26 janvier en Auvergne pour, une fois de plus, tenter de faire mentir une réputation qui pouvait nuire à son ambition de transcender les clivages. D’aucuns se sont étonnés qu’après le long intervalle consécutif aux élections, nourri de polémiques sur une présidence par trop favorable aux riches, les deux déplacements aient été si rapprochés – mais séparés par le grand show de Davos –, brouillant la cartographie d’implantation de la richesse et de la pauvreté, entre lesquelles la classe moyenne, toujours aussi difficile à cerner, serait prise en étau. D’où l’abcès de fixation du monde politique sur son déclin supposé (et à sa relégation progressive dans les périphéries urbaines) en proportion de l’accroissement relatif de ses effectifs, enjeu électoral.

Macron équilibriste, faisant alternativement pencher à droite, à gauche le balancier pour se maintenir sur le fil le reliant à ses  concitoyens les plus éloignés  de la situation moyenne : entre richesse et pauvreté, centralité urbaine et périphérie, urbanité et ruralité.

Macron semblant découvrir que le « en même temps » est un sport d’autant plus périlleux que les riches ne sont pas les seuls en ville (ce qui a motivé une immersion en banlieues deux jours durant) et que les pauvres sont aussi à la campagne (d’où l’escapade de même durée en Auvergne). Sans doute, comme le pressentait déjà Henri Lefebvre il y a une soixantaine d’années prenant acte de ce qu’il n’y avait plus de société qu’urbaine – ce qui n’a pas empêché les inégalités de s’accroître depuis – y trouvera-t-il une justification de la création d’un ministère de la cohésion des territoires. L’hégémonie de la culture urbaine n’a pas gommé, bien au contraire, les différences de mentalité et les disparités de conditions sociales, avec leur conséquence en termes d’attitudes politiques : la polarisation. Paradoxe qui impose de remettre à plat les territoires pour rechercher le bon angle par lequel aborder les problèmes socio-économiques – et leur traduction spatiale – affectés par la mondialisation, elle-même produit de l’universalité et de l’irréversibilité du progrès technologique emporté par la contagion du numérique.

Reste à en tirer les conséquences et à démontrer qu’une politique équilibrée – économiquement efficace, socialement juste – est, dans un monde écartelé entre les extrêmes, encore possible ; à apporter la preuve, également, que la cure de rigueur budgétaire, dans un contexte d’urbanisation extensif autant, sinon plus, qu’intensif est compatible avec le progrès social ; à poser en conséquence le principe d’un « pouvoir d’agir citoyen » à l’encontre des tendances bureaucratiques et technocratiques d’une gouvernance à la dérive. Si transcender les clivages est bien dans la philosophie politique d’Emmanuel Macron, encore ne faudrait-il pas que le focus réglé par la gauche extrême (les Insoumis, pour ne pas les nommer) sur la minorité détenant une part disproportionnée de la richesse n’en vienne à masquer les mécanismes sous-jacents à la répartition des richesses (mondiaux plus encore que nationaux), qui ne sauraient se résumer à un problème de concentration entre quelques mains, lequel n’est qu’un épiphénomène ; de même que la concentration de la pauvreté sur certains territoires (grands ensembles des périphéries urbaines) n’est que l’expression spatialisée d’inégalités économiques autrement plus profondes.

Ce à quoi, pour nous en tenir à notre sujet d’étude, un projet urbain intégré devrait pouvoir contribuer en articulant les dimensions d’un renouvellement social inscrit dans un environnement bâti rénové avec l’objectif de restituer à la nature une place qu’on lui avait déniée au nom d’une certaine modernité. Sachant que c’est par la médiation du paysage que la société locale exprime son caractère et ses potentialités dans la forme urbaine dessinée par les hommes de l’art.

Bonne lecture.

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4. Du projet urbain au projet social-urbain

La Courneuve
Maquette du projet de rénovation du secteur Sud des 4000 – Bernard Paurd, urbaniste

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XXIII – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : la politique de la ville en question

Chères lectrices, chers lecteurs

BE CAREFUL ! Cet article sur « La politique de la ville en question » a été rédigé à l’automne 2016 alors que notre enquête de terrain, émaillée de moult incidents, touchait à sa fin. Il ne vous aura pas échappé qu’une élection présidentielle s’est depuis déroulée, après une campagne prodigue en rebondissements et entachée de quelques scandales, dans un tumulte bien politicien reléguant quelque peu aux oubliettes, non la politique de la ville, qui n’a depuis longtemps plus rien à gagner à être mise sur le devant de la scène, mais la politique urbaine, laquelle aurait mérité mieux. Or, la question du devenir de la première n’en est pas moins inscrite en filigrane de la problématique de la seconde. D’autant que certains indices avaient à l’époque déjà attiré l’attention des observateurs avertis sur une évolution, discrète mais néanmoins sensible, relativement au rapport de la politique de la ville avec les politiques urbaines et des territoires en général. Prudents nous nous sommes refusé à jouer les Pythies, non sans subodorer une tendance que les élections ont précipitée, sachant que l’incertitude provenait moins d’une évolution interne au domaine en cause que du résultat des élections dont son sort était tributaire. C’est par conséquent en le resituant dans cette actualité que cet article doit aujourd’hui être lu pour juger du bienfondé de la création d’un ministère de la cohésion des territoires, flanqué d’un secrétariat d’Etat sans portefeuille, en lieu et place d’un ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, doté d’un secrétariat d’Etat chargé spécifiquement de la ville.

Rappelons qu’au terme du décret du 24 mai 2017, le nouveau ministère de la cohésion des territoires « élabore et met en oeuvre la politique du Gouvernement en matière de développement et d’aménagement équilibrés de l’ensemble du territoire national et de solidarité entre les territoires ». C’est à ce titre qu’il a compétence en matière d’urbanisme et de logement. Outre ses attributions dans le domaine du « développement et de la mise en valeur des territoires et espaces ruraux, de montagne et littoraux », il « élabore et met en œuvre la politique du Gouvernement relative à la ville, notamment aux quartiers défavorisés, à l’intégration et à la lutte contre les discriminations ». En conséquence de quoi, « il exerce la tutelle de l’agence nationale pour la rénovation urbaine » et « définit et met en œuvre le programme national de renouvellement urbain ».

La politique de la ville, sur laquelle la campagne électorale avait tiré un voile pudique, n’est pas oubliée mais intégrée dans un vaste ministère chargé, selon les propres termes du décret d’attribution, de veiller « à l’accompagnement des territoires dans leur développement et à la réduction des inégalités territoriales ; il est à ce titre responsable de la politique de lutte contre les inégalités en faveur des quartiers défavorisés des zones urbaines et des territoires ruraux ».

Rééquilibrage opportun alors même que la mondialisation et les excès du libéralisme économique remettent en cause l’égalité des chances promue par l’Etat-providence des Trente Glorieuses. A condition de s’en donner les moyens à la mesure des enjeux, différenciés selon que l’on a affaire à des métropoles, villes moyennes, périphéries urbaines ou au monde rural avec ses bourgs.

Quoi qu’il advienne, on ne pourra plus faire grief aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), territoires défavorisés parmi d’autres, d’être plus particulièrement stigmatisés. En outre, les attributions du ministère gagnent en cohérence par rapport au précédent qui mettait dans un même panier la ville, la jeunesse et les sports comme si la jeunesse était un privilège de la ville et que la culture y était bannie. La « politique de la ville » n’a pas été détrônée par la « politique urbaine », qui n’est pas nommément citée alors que l’urbanisme l’est aux côtés de la planification urbaine, de l’aménagement foncier et de l’habitat. D’autre part, le développement de la « région capitale » ainsi que celui des métropoles sont explicitement mentionnés.   

D’où l’intérêt présenté par la « grande mobilisation nationale pour les habitants des quartiers » lancée, entre autres initiatives touchant les villes et les territoires, par le président de la République les 13 et 14 novembre derniers lors de ses déplacements à Clichy-sous-Bois, Tourcoing et Roubaix.

A suivre, donc. Et en attendant nous soumettons à la sagacité de nos lectrices et lecteurs les interrogations, resituées dans leur contexte, que notre enquête sur la rénovation/renouvellement urbain des 4000 de La Courneuve, de Lyon-La Duchère et des quartiers Nord de Marseille a soulevées. Et ce, avant de conclure, à partir de la semaine prochaine, sur les enseignements que nos interlocuteurs, acteurs et habitants des quartiers (une centaine d’entretiens), ont tiré de leurs expériences et de leur vécu.

Bonne lecture.

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Hôtel de Castries
Siège du ministère de la cohésion des territoires
72 rue de Varennes
Paris VIIe

Photo Mbzt / Wikimedia Commons

5. La politique de la ville en question

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XXIV – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : les évolutions parallèle du droit et de la littérature de l’urbanisme

Chères lectrices, chers lecteurs

Dans notre chronique introductive du 21 janvier dernier nous nous en prenions à cet « entre-soi » – parmi d’autres – qu’aiment à cultiver les intellectuels. Ce qui pose le problème de leur rôle dans la société contemporaine ; intellectuels alternativement qualifiés, de Gramsci à Foucault en passant par Sartre : d’organiques, de collectifs, d’engagés, de spécifiques…, toutes qualifications qui se recoupent peu ou prou.

A en croire les éditorialistes, toutes tendances confondues, après une éclipse relative les intellectuels seraient de retour sur la scène politique à la faveur du big-bang qu’a constitué la victoire de Macron à la présidentielle. Et ce n’est évidemment pas par hasard si ce retour, en force ou pas, intervient sur fond idéologique d’effacement du clivage gauche-droite. Comme si le vide politique ainsi créé était investi par ce « parti intellectuel », jadis raillé par Péguy. Au clivage politique se substituerait désormais un clivage par l’intelligence. Pour combien de temps et au profit de qui ? c’est toute la question. 

Le propos est bien évidemment outrancier, les intellectuels n’ayant pas plus le monopole de l’intelligence et de la critique, que les politiques celui de l’action, les experts celui de la clairvoyance et les usagers celui de la contestation, mais il n’en reflète pas moins une opinion diffuse dont les médias se font l’écho, inquiètes à la perspective de voir ces intellectuels détrôner le quatrième pouvoir qui, en réaction, cherche à les récupérer à son profit. On aurait presque l’impression d’un jeu de pouvoirs communicants dans les deux sens du terme : le pouvoir politique se renforçant au détriment du pouvoir des médias, à l’encontre desquels on entretiendrait le soupçon dont profiteraient les intellectuels, trop heureux de l’occasion qui leur est ainsi donné de monter sur le devant de la scène. Sauf que leur marge de manoeuvre entre engagement politique et critique sociale est étroite, pour ne pas dire périlleuse.

Dans une tribune du Monde des 4 et 5 février dernier, Agathe Cagé, présidente de l’agence de conseil Compas Label déplore que depuis des lustres tant de propositions d’intellectuels soient restées lettres mortes. La politique de la ville a 40 ans si on prend comme point de départ le lancement des opérations Habitat et Vie Sociale (HVS) ; 35 ans depuis la création de la  Commission nationale pour le développement social des quartiers ; 30 ans si on compte à partir des créations concomitantes du Conseil national des villes (CNV) ainsi que du Comité et de la Délégation interministériels à la ville et au développement social urbain (CIV et DIV) ; 27 ans à compter de la première nomination d’un ministre (d’Etat) chargé en propre de la politique de la ville. D’aucuns, à défaut de pouvoir plaider en sa faveur sous l’angle de l’efficacité, l’ont justifiée a minima en laissant entendre – tout en passant pudiquement sur les émeutes de 2005 – que sans elle le pire serait advenu. Ce n’est pourtant pas faute de mises en garde et de conseils prodigués par les chercheurs et universitaires qui se sont penché au chevet de la ville malade de ses banlieues et de ces dernières laissées pour compte par leurs villes-centres. Les remèdes suggérés par maints experts, confortés par les praticiens jamais avares de contre-propositions, se seraient-ils montrés défaillants, n’auraient-ils pas été administrés à bon escient ou n’auraient-ils plus simplement pas du tout été appliqués ? Trente ou quarante ans de politique de la ville qui a vu s’accumuler les rapports, se complexifier le millefeuille des zonages, s’empiler les strates du rapetassage d’un patrimoine malmené. Le temps de la politique de la ville perdure alors qu’une politique urbaine intégrée peine à prendre le relais.

« La grande mobilisation nationale en faveur des habitants des quartiers » lancée par le ministère de la cohésion des territoires et mise en oeuvre par le si bien nommé Commissariat Général à l’Egalité des Territoires permettra-t-elle auxdits intellectuels de se faire enfin entendre dans le concert des voix critiques, dont celle des praticiens et usagers de la ville ? 

C’est, bien éloignés du monde des intellectuels et en retrait de cette mobilisation, que nous estimons très modestement apporter notre contribution en restituant au travers de ce rapport d’enquête sur les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère et les quartiers Nord de Marseille la parole des acteurs et des habitants impliqués dans le renouvellement urbain.

Nous abordons donc aujourd’hui le premier volet de notre conclusion placée « sous le signe du lien » consacré à un regard rétrospectif sur le chemin parcouru depuis la mise en oeuvre de la loi d’orientation foncière de 1967 mis en parallèle avec l’évolution de la littérature sur la ville. Car si chercheurs et essayistes partagent quelque peu le sentiment de parler dans le vide, ce n’est pas, comme on l’avance souvent, parce que leurs analyses et le fond de leur pensée ne serait pas en phase avec l’air du temps, mais bien plutôt faute d’être entendus, sinon écoutés. Et avec le recul, le décalage n’en apparait que plus instructif entre ce que dictent les évènements et les réponses apportées par la législation et la règlementation d’une part, la pensée critique d’autre part.

Bonne lecture.

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   A.   Conclusion et ouverture « sous le signe du lien » [*]

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Littérature de l’urbanisme
Du « tribu foncier urbain » à la « ville des flux »

Il n’y a pas d’idée, si ancienne et absurde soit-elle, qui ne soit capable de faire progresser notre connaissance. […] Les interventions politiques ne sont pas non plus à rejeter. On peut en avoir besoin pour vaincre le chauvinisme de la science qui résiste à tout changement du statut quo.
Paul Feyerabend[1]

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