AU TEMPS DU CORONAVIRUS

Il court, il court le Coronavirus…
Department of Defense Issues Guidelines to personnel on Coronavirus – Photo Courtesy / Rawpixel

Fracture sociale, séparatisme et confinement

L’épidémie de coronavirus met au grand jour un des nombreux aspects du « séparatisme », terminologie adoptée le 18 février dernier par le président de la République lors de son déplacement à Mulhouse pour éviter le terme par trop stigmatisant de « communautarisme » appliqué à l’islam. C’est que le « séparatisme » ne concerne pas que le religieux mais traverse toutes les instances du social depuis l’économique jusqu’à l’idéologique en passant par le territorial. Difficile de prévoir sur le moyen et long terme l’impact de l’épidémie au niveau de chacune de ces instances. Sur l’idéologique notamment, le pire est à redouter, le confinement pouvant être brandi comme mesure générale d’assainissement démontrant par l’absurde la légitimité du repli sur soi, sur le groupe social, la classe, l’ethnie, la nation.

Mais d’ores et déjà, on peut prendre la mesure de ce que le « séparatisme » peut receler d’ambivalence au niveau territorial. Les quartiers sont si loin d’être perçus, vécus et traités sur un pied d’égalité que, depuis longtemps déjà, quand on prononce le terme, c’est pour désigner ceux qui sont réputés « difficiles », « sensibles », « prioritaires » au regard de la politique de la ville. Or, à quoi assiste-t-on depuis le développement de la pandémie : le paradoxe d’un « séparatisme » qui défie le « confinement » avec pour conséquence d’accentuer, à terme sinon dans l’immédiat, les risques de contamination dans et hors desdits « quartiers ». L’épidémie aura alors démontré que le « séparatisme », loin de se résorber, perdure malgré 40 ans de politique de la ville. Au point que les habitants des grands ensembles périphériques auraient le sentiment d’être si « séparés » des autres citadins qu’ils ne se sentiraient pas concernés par le Covid-19, et donc par les mesures de confinement, négligées ou bravées par manque d’informations, inconscience ou défi. Et ce, au point que les contrôles seraient délibérément lâches de crainte d’être mal reçus par la population et de dégénérer en trouble de l’ordre public. Du moins est-ce ainsi que le rapporte une certaine presse toujours prompte à mettre l’accent sur la « fracture sociale » sans plus se poser de questions sur les causes et ce que ses manifestations mettent en jeu de part et d’autre ; la solidarité ayant bien du mal à passer les frontières quelles qu’elles soient, communautaires ou nationales. N’empêche que, pour qui consent à ouvrir les yeux, la pandémie révèle au grand jour que, si nous sommes égaux devant le virus, nous sommes plus que jamais inégaux face à ses conséquences sur la santé et à celles d’ordre économique, sociale et culturelle, autant que territoriale, imputables à l’infection. Ce n’est pas parce que la Seine-Saint-Denis, dont la population en « quartiers prioritaires de la politique de la ville » est la plus importante d’Ile-de-France, connaitrait moins d’hospitalisations que les autres départements de la région qu’elle serait moins touchée, mais en raison du sous-équipement en lits d’hôpitaux ! Problème lié aussi au recensement des cas de contamination et d’interprétation des données statistiques. Le docteur Romain Dufau, chef du service des urgences de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy témoigne de l’afflux de cas graves qui pourrait s’expliquer par le fait que, d’une part, les mesures de confinement y seraient moins appliquées qu’ailleurs compte tenu  des conditions de logement (surpeuplés) et d’emploi (échappant au télétravail) et que, d’autre part, les gestes barrières et la distanciation sociale y seraient moins bien intériorisés (propos recueillis par Le Monde du 26 mars). L’action de Banlieues Santé, association fondée par Abdelaali El Badaoui, infirmier libéral, est à cet égard remarquable pour « faire passer les messages de prévention de santé publique aux habitants des quartiers populaires » (cf. Le Monde du 30 mars, article de Louise Couvelaire), de même que les efforts prodigués par la récente Agence d’information des quartiers de Guillaume Villemot sont à encourager.   

L’évidence s’impose, il devient plus que jamais impératif de remettre les banlieues, avec leurs grands ensembles plus ou moins enclavés, au centre. Non pas au centre physique (géographique) des agglomérations – elles sont bien où elles sont, sur ces lisières fertiles en initiatives et innovations – mais au centre de l’agenda et de l’action publique ainsi que des communications (transports et réseaux).

Après avoir visionné « Les Misérables », le film de Ladj Ly, lauréat des César, Le président de la République s’était dit, selon le Journal du dimanche du 17 novembre 2019, si « bouleversé par sa justesse » qu’il se promettait de « demander au gouvernement de se dépêcher de trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers ». Comme si, oubliant l’esprit et les orientations de son discours du 23 mai 2018 à l’Elysée sur les banlieues, il découvrait le problème. Un problème depuis lors passé à l’arrière plan de l’actualité, mais qui, à la faveur de la pandémie, pourrait bien ressurgir sur le devant de la scène tant il demeure explosif.

D’où l’urgence d’accélérer la mise en œuvre des orientations définies par le président et pour le gouvernement de s’en donner les moyens, sachant que les fractures, bien loin de nous protéger en nous isolant, au contraire nous exposent. C’est tout le paradoxe d’un confinement social que le Covid-19 vient aujourd’hui déborder, cordon sanitaire en trompe l’œil.

Remettre, après le passage du tsunami, les banlieues au centre, comme dit ci-dessus, devrait donc constituer la prochaine « révolution copernicienne » de la politique urbaine, priorité d’entre les nombreuses priorités qui se poseront dans un avenir proche – du moins espérons-le –, et exigeront un cadre de pensée, ou logiciel, renouvelé. Encore faut-il, présentement, ne pas relâcher la vigilance générale si l’on ne veut pas être submergé par la vague, dont on nous prévient d’avance qu’elle pourrait rebondir.

https://citadinite.home.blog/2020/01/10/lautre-face-des-miserables-synthese/

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