Chères lectrices, chers lecteurs
Nous poursuivons aujourd’hui le récit tiré de notre enquête sur la culture dans le renouvellement urbain. A chaque territoire sa spécificité répondant à une histoire, une société locale et aussi à une politique. D’où des configurations variées. Les 4000 de La Courneuve, avec sa scène conventionnée, sur lesquels nous nous sommes précédemment penchés, se trouvait à cet égard dans une situation intermédiaire par rapport aux quartiers Nord de Marseille dominés par sa scène nationale et La Duchère dont le paysage culturel est plus éclaté, partagé entre une MJC, des centres sociaux et des compagnies théâtrales. C’est dire que la culture est non seulement se qui relie les habitants entre eux mais qu’elle est plus fondamentalement à l’articulation de l’urbain, compris dans sa matérialité, et de la société urbaine saisie dans sa chair. Ce qui vaut à l’architecture, au terme de la loi du 3 janvier 1977, d’être une « expression de la culture ». Définition que ne désavoue pas la loi du 7 juillet 2016 relative à « la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ».
A chacun son projet, donc, relié à un territoire dont l’espace architecturé disperse, en dépit de son immersion paysagère, des habitants que la culture a pour ambition de rassembler. C’est aussi bien le projet culturel et artistique de Francesca Poloniato, directrice de la scène nationale du Merlan à Marseille, dont le slogan « Au fil de l’Autre » est fondé sur « la présence, l’ouverture et le partage » que celui d’Armelle Vernier, directrice de la scène conventionnée d’Oudremont à La Courneuve, qui, dans un « monde en chantier », suggère de « laisser parler l’imaginaire : rêvons, échangeons, inventons, les artistes nous en donne l’occasion ».
Sous d’autres formes encore, les acteurs qui président au destin culturel de La Duchère ne disent pas autre chose sur le fond. Mais la forme est loin d’être indifférente au fond quand les cultures – le pluriel est de mise dans ces quartiers – sont confrontées à la diversité. Irréductible? à voir ! Défi ? c’est sûr !
Cela étant, dans un monde que la modernité a fragilisé, il faut bien s’interroger : où va la culture? vers quel horizon nous mène-t-elle ? Questions que l’on ne saurait approcher sans évaluer ce qui constitue l’efflorescence de toute culture : les expressions artistiques dans leur variété, et sans en sonder la source, à savoir les religions.
Bonne lecture.
La Duchère bénéficie d’un bon maillage d’équipements publics qui existait du temps du grand ensemble et qui a été complété dans le cadre de la rénovation urbaine. Ce qui caractérise la nouvelle Duchère c’est le mariage entre équipements sociaux et culturels, comme si le fil de trame de la culture croisait le fil de chaîne du lien social pour le renforcer.
Aux deux centres sociaux du Plateau et de La Sauvegarde viennent s’ajouter la Maison de l’Enfance, pour les enfants de 3 à 11 ans, au Château. La Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) complète le dispositif, que l’animation de compagnies artistiques et théâtrales vient conforter sur des thèmes spécifiques, en direction de publics ciblés. L’action culturelle et artistique, à laquelle il faut également ajouter le sport, se combine ainsi à l’action éducative et sociale pour mieux prendre en compte les besoins des personnes en considération de leur âge et de leur situation économique. Si l’action sociale permet de traiter les difficultés de la vie quotidienne liées à une situation de précarité économique, l’action culturelle, dans le prolongement de l’éducation, se doit d’assurer un plus, l’enrichissement spirituel de cette même vie. C’est dire que si les deux types d’action se situent à différents niveaux, ils restent étroitement imbriqués dans les conditions d’un renouvellement urbain soucieux de l’épanouissement de personnes solidairement ancrées dans un territoire, leur bien commun, avec son réseau d’équipements adossé à un tissu associatif dense et dynamique. Encore faut-il que les acteurs du développement social et culturel coordonnent leurs actions dans un partenariat constructif de nature à anticiper des évolutions brusquées par les opérations de rénovation ; ce qui suppose d’en bien mesurer l’impact non seulement sur le quotidien des gens mais aussi et peut-être surtout sur leur avenir. Et c’est à ce dernier niveau que l’on croise les préoccupations du développement durable mis en avant par l’ensemble des acteurs et au premier chef par la Mission Duchère, relayée sur ce plan par la Maison des Jeunes et de la Culture.
Avec l’art on touche encore une autre strate de la sensibilité, qui ne questionne plus, directement, le mal-être en faisant appel à la réflexion mais, indirectement, par le biais des émotions et la « mise en jeu » des comportements.
Les quatre principaux équipements sociaux et culturels de La Duchère, une Maison de l’enfance, deux centres sociaux et une MJC, existaient avant la rénovation. Ils ont dû s’adapter aux bouleversements engendrés par les démolitions et leurs conséquences sur la population en termes de relogement, non sans tensions, surtout en ce qui concerne les deux centres sociaux bien ancrés sur un territoire dont la population était plus ou moins captive, mais plutôt plus que moins.
I – La culture au service du social
a) Le centre social du Plateau au coeur du quartier de La Duchère
Le centre social du Plateau, agréé par la CAF, ouvert en 1966, compte 418 familles adhérentes et 18 associations.
Dans l’esprit d’une « association socio-éducative de quartier » et d’un « lieu de rencontre, de socialisation et d’accompagnement des habitants dans leur vie quotidienne »[1], il offre une large palette d’activités traditionnellement adaptées aux différentes classes d’âge, pour un budget de 1,1 millions d’€ en majorité couvert par la CAF et la ville.
Eveil et épanouissement de l’enfant, socialisation, accession à l’autonomie, accompagnement des habitants confrontés aux difficultés de la vie, tels sont les objectifs poursuivis par l’équipe du centre social (31 salariés et une soixantaine de bénévoles) qui, au terme des statuts de l’association, repose « sur une dynamique de mobilisation des habitants » et » une démarche globale adaptée aux problématiques sociales du territoire, en constante évolution. »
Pour Rachid Talal le nouveau directeur que nous avons rencontré, « les activités du centre social tournent au minimum autours de la famille et de l’animation commune. […] C’est un des maillons, avec les autres acteurs du développement urbain, dont la MJC, la Maison Duchère, etc., de la structuration de la vie quotidienne des habitants. C’est la recherche du mieux-vivre dans le quartier et la cité permettant à chacun d’être acteur et citoyen. Ce n’est pas faire pour les gens mais avec en s’appuyant sur les institutions représentées au niveau local. »
Le directeur du centre insiste tout spécialement sur le partenariat avec les autres acteurs de l’aménagement du quartier et sur le lien qu’il considère comme indissociable entre social et culture :
« Il ne faut pas parler de centre social parce que les gens en ont une perception péjorative. Pour eux quand ils entendent l’expression ils ne perçoivent que l’adjectif et pensent que c’est pour ceux qui ont des difficultés sociales. Social réfère aux cas sociaux, ce qui est complètement faux. On ne peut pas séparer le social du culturel et on devrait plutôt parler de centre social et culturel ou socioculturel. Sans vouloir faire concurrence à la MJC, c’est vrai qu’on a aussi une approche culturelle. Mais la MJC est maître à son bord. »
Plus que la MJC, les deux centres sociaux semblent avoir eu du mal à s’adapter au changement introduit par la rénovation. Agnès Rollet la directrice démissionnaire du centre social du Plateau que Rachid Talal a remplacée, témoigne :
« Concernant la rénovation urbaine on a senti beaucoup d’inquiétudes, de questionnements des habitants. Tout ce tissu là s’est retrouvé chamboulé, les gens ne savant même pas s’ils allaient être concernés ou non par la rénovation. Et même, politiquement, parler d’une future Duchère avec de nouveaux habitants aux anciens avait pour effet de les inquiéter, ils craignaient d’être relégués à l’extérieur de nouveaux quartiers qui n’étaient plus faits pour eux. »
« L’idée pour nous est à la fois de favoriser le plus de convivialité possible pour que les habitants apprennent à vivre et à se connaitre entre eux de manière à favoriser un maximum de régulation sociale par les adultes s’impliquant dans la ville, la vie sociale du quartier. On est là pour favoriser le développement du lien social, la capacité d’agir collectivement dans un objectif de mieux vivre tous ensemble, toutes cultures confondues. »[2]
La direction du centre social a tiré les conséquences des désagréments, voire des bouleversements de vie entraînés par la réalisation du projet de rénovation. Dans son Projet Social 2015-2018, elle rappelle la vocation des centres sociaux :
« Dans la ligne tracée lors du Congrès de juin 2013, ils visent avec les habitants à développer collectivement leur pouvoir d’agir. A leur permettre de sortir du sentiment d’impuissance devant certaines situations, à chercher ensemble les chemins possibles de résolution des problèmes rencontrés. L’action des centres sociaux se déploie également à partir des envies et aspirations des personnes. Monter avec d’autres un projet, y prendre du plaisir, vivre une expérience positive et collective est assurément un puissant levier de cohésion sociale. »
L’empowerment déjà, avant que la loi du 21 février 2014 sur la nouvelle programmation de la politique de la ville l’introduise a minima dans le renouvellement urbain. C’est que « accompagner des mutations sociales profondes, tout en étant au contact des réalités quotidiennes, demande aux centres sociaux de savoir conjuguer réactivité et prospective. »
Sensible aux évolutions provoquées par la réalisation du Grand Projet de Ville « visant un mieux vivre-ensemble et une plus grande mixité sociale » à travers la mise en œuvre d’« une politique volontariste de revalorisation globale du quartier », l’actuel Projet Social note bien que, « contrairement à l’époque du précédent projet (2011-2014), aujourd’hui, les habitants de la Duchère peuvent aisément se projeter dans l’avenir. Le nouveau quartier a déjà largement montré son nouveau visage. » L’impact du projet est reconnu et la nécessaire évolution des activités et prestations du centre s’impose :
« Le Grand Projet de Ville modifie considérablement le paysage urbain et celui-ci influence fortement le tissu social et les liens de solidarité existants. Le centre social n’a plus à démontrer son implication dans la redynamisation d’un nouveau tissu social et sa contribution au mieux vivre ensemble avec toutes ses composantes et sa diversité. Il n’a cessé de s’ouvrir sur le quartier par des actions allant vers le public, sur ses lieux de vie […] ».
[Enquête réalisée en 2014-2016 par BJ, JJ, BP, JFS avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence]
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[1] Définition donnée par le Projet social pour 2015-2018.
[2] Interview de 2012 sur le site de l’ANRU.
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A suivre : b) Le centre social de La Sauvegarde en périphérie nord du quartier
Contact : serre-jean-francois@orange.fr