DU PLAN BORLOO A LA METHODE MACRON, QUOI DE NOUVEAU ?

Bonaparte au Pont d’Arcole peint par Antoine-Jean Gros (photo Joconde Database – Wikimedia Commons)
Emmanuel Macron n’aura pas de trop de ses « grognards » au Conseil présidentiel des villes ou ailleurs pour rétablir la liaison des quartiers avec la ville, de l’urbain avec le social, de l’urbanité avec la ruralité

Pour un plan enterré, les promesses d’une méthode

« Savoir se libérer n’est rien ; l’ardu, c’est savoir être libre. » (André Gide dans L’immoraliste)

Peut-être que le président de la République aurait été bien inspiré de suivre le précepte de son illustre prédécesseur, Bonaparte, auquel on l’a parfois comparé : « un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ». Un croquis des rapports de l’action politique, telle qu’il la conçoit, à l’espace, urbain et rural, et au temps. Son message y aurait gagné en concision et en clarté. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir prévenu, en exorde, qu’il ne ferait pas de discours. Ayant annoncé qu’il ne lancerait pas de nouveau plan banlieue [1] parce que cela reviendrait à poursuivre dans l’assignation à résidence et le clientélisme, il aurait aussi bien pu s’en tenir là. Il a préféré, presque point par point, reprendre les items du rapport Borloo, ce dont celui-ci s’est félicité, même si dans le passage du témoin il a laissé tomber la facture (10,3 milliards de dépenses supplémentaires par an, dont 3,2 à la charge de l’Etat). Résultat : monsieur Borloo est content, les maires sont furieux, droite et gauche confondues comme il se doit en régime macronien qui se veut ni de gauche ni de droite.

Moyens mis à part – qui mieux qu’un président de la République est à même de rendre les arbitrages en la matière – qu’en est-il sur le fond ?

Le président a, d’abord exprimé une philosophie politique basée sur « l’émancipation et la dignité », en affirmant qu’en la matière les quartiers urbains et ruraux « ont exactement des difficultés similaires » appelant la construction d’une « égalité des chances ». Si les « difficultés » évoquées méritent plus ample examen, n’étant rien moins que similaires, la philosophie tracée à gros traits est bien propre à la République française, qui s’oppose à celle que privilégient les anglo-saxons, fondée sur une « égalité de résultat ». Mais elle rejoint celle qui a présidé à l’élaboration de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014[2]. Le président n’en conclut pas moins à la nécessité de changer de méthode. Pas de plan, donc, mais de la méthode. En guise de méthode on saura gré au président de la République, à la différence de monsieur Borloo, de renouer, sans le dire, avec l’esprit de la loi de 2014,  en mettant l’accent sur le nécessaire dialogue entre collectivités, d’une part, avec les entreprises sociales et solidaires, d’autre part, avec les associations de quartiers et les habitants, enfin. Méthode visant à « donner à toutes les associations et aux régies, une visibilité en termes de financement jusqu’à la fin du quinquennat ».  Et, « dans ce contexte, l’Etat jouera un rôle : celui de mobilisateur, de facilitateur et de garant ». En milieu urbain comme en milieu rural précise-t-il : « cette politique, au-delà de ce que je viens de dire, n’est pas simplement une politique pour les quartiers, c’est une politique pour tous les territoires, et c’est ce qui a justifié que nous n’avons pas fait un ministère de la Ville, mais un ministère de la Cohésion des territoires. » C’est sans doute sur ce dernier point que le discours du président Macron se distingue de celui tenu par son prédécesseur. Encore qu’avec le dernier gouvernement Valls, la tendance était déjà orientée dans ce sens. Mais sur ce point on eut aussi aimé avoir quelques précisions de méthode, car il y a loin de la méthode appliquée aux territoires urbanisés à celle susceptible de l’être aux territoires ruraux, tellement les populations et les problèmes qui se posent aux unes et aux autres sont différents. Et, un des aspects qui aurait mérité d’être abordé – entre autres – est celui de la fiscalité locale pour une redistribution des ressources plus équitable prenant mieux en compte les écarts de richesses et de potentiels fiscaux[3].

On ne reviendra pas sur les propositions présentées, dont la plupart prolongent, en les approfondissant, des thématiques déjà expérimentées sur le terrain, certaines de longue date. Sans doute ont-elles l’avantage d’être concrètes ; mais on regrettera de ne pas retrouver ce souci d’une stratégie équilibrée reliant les opérations de rénovation portant sur le logement et l’espace public aux actions économique et sociale visant l’amélioration des conditions de vie des habitants, qui était le propre de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014. Si, en effet, l’emploi du terme de « peuplement » est évité, le problème posé par la population des quartiers politique de la ville est toujours abordé en termes d’équilibre démographique, sans vraiment prendre en considération ce qui « fait société ». Or, on ne peut pas faire fi des liens sociaux et de solidarité au nom d’une mobilité arbitraire censée remédier à la fois aux maux du communautarisme et à l’inadéquation des offres et demandes d’emploi dans un espace donné. Le président Macron a raison de poser le problème en termes d’émancipation, mais encore faut-il se donner les moyens d’offrir aux populations une offre de logements suffisamment diversifiée pour répondre aux aspirations des gens tout en étant compatible avec leurs ressources. Et surtout la question des conditions d’une politique urbaine équilibrée entre quartiers centraux et périphériques avec leurs grands ensembles, impliquant des investissements privés conséquents dans ces derniers et la construction de logements sociaux dans les premiers, est éludée. Or la mise en œuvre d’une telle politique présuppose une stratégie de maîtrise du foncier et de lutte contre la spéculation, qui a un coût.

A cet égard, le président reprend une des propositions phare du rapport Borloo, celle de fondation sur laquelle pourra s’appuyer l’actuelle ANRU et la future Agence territoriale de cohésion des territoires : « il faut qu’on réfléchisse à l’idée d’avoir, en effet, cet opérateur de rattrapage des équipements national qui permette dans les quartiers, comme dans le très rural, comme dans d’autres endroits de la République, de mobiliser les financements publics, mais surtout, et c’est là la vertu que je vois de cette idée, qui est très forte, de mobiliser tous les acteurs publics, privés, Etat, collectivités. » La CDC, « acteur essentiel », est citée comme devant être l’ « opérateur du rééquilibrage de nos territoires ». Mais c’est en sachant que si la CDC peut l’être et avoir un effet de levier, ce ne sera pas sans un recours accru à l’investissement privé, pour, à l’exemple des Etats-Unis, toutes choses égales par ailleurs, sortir les « quartiers » de leur ghetto. Une fondation capable d’intéresser les grands groupes et de les inciter à investir, alors même que la population de ces quartiers recèle des trésors de ressources humaines, se justifie d’autant plus en période de contrainte budgétaire forte. C’est aussi une des conditions (ce n’est pas la seule, loin s’en faut) du passage d’une égalité des chances à une égalité de résultats accordant à l’équité toute la place qui lui revient.

On prendra volontiers acte de la résolution du président de définir d’ici juillet des priorités, dont la moindre n’est pas, au minimum, d’aligner les quartiers défavorisés sur les autres en termes de moyens (crédits de droit commun, mais aussi fonctionnaires de l’Etat, policiers, enseignants…), et de prendre des engagements  budgétaires en 2019 (nouveaux ?) et les années suivantes. Mais le doublement des crédits de rénovation urbaine à 10 milliards d’euros de l’Etat sur 10 ans [4], qu’il assure tenir, est-il à la hauteur de l’ambition affichée ? Compte tenu des exigences requises en matière de mixité sociale par  l’habitat posées par la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) de 2000, renforcées par la loi Egalité et Citoyenneté de 2017, on peut en douter.

Le président de la République a bien fait de nous épargner un énième plan banlieue, mais il aurait pu se dispenser de nous asséner un discours fleuve et, au-delà de l’approche pragmatique esquissée, il aurait été judicieux qu’il nous livre les quelques éléments de méthode sur lesquels il comptait s’appuyer pour sortir les quartiers prioritaires du régime d’exception de la politique de la ville – laquelle n’aurait jamais dû être qu’une politique transitoire à vocation de rattrapage – et les intégrer dans une politique urbaine à l’échelle du territoire, solidaire du monde rurale. A défaut d’un plan, le président nous aura présenté, comme Borloo, un catalogue de propositions, brouillon, alors qu’aurait été bien venue, non pas un projet, lequel relevant des acteurs de terrain et des habitants ne peut émerger que du local, mais une stratégie sur la durée assurant la greffe du renouvellement urbain sur l’action sociale (et non l’inverse), permettant d’inscrire les quartiers dans leur environnement, de repenser la carte scolaire pour la mettre en cohérence avec les périmètres de QPV quant aux objectifs de mixité, de tenir compte de la localisation et de la qualification des emplois pour l’implantation des logements, de concilier mobilité et insertion dans des relations de voisinage, de passer d’une assignation à une réelle liberté de choix de résidence, etc. Enfin s’agissant des métropoles, dont le Grand Paris au premier chef, il ne suffit pas qu’elles se rendent attractives, encore faut-il que, conscientes de leurs atouts, elles aient la responsabilité d’en diffuser les bienfaits dans leur aire d’attraction. Comme l’a exprimé Patrick Braouezec, président de Plaine commune et vice-président du Conseil National des Villes, lors du séminaire d’Analyse et politique de la ville animé par Guy Burgel le 23 mars dernier[5], une métropole ne peut se contenter d’être « attractive », elle se doit aussi d’être « rayonnante », et concernant les quartiers défavorisés, dits  sensibles,  ce  n’est  pas  tant  de  la « discrimination  positive »  qu’ils  revendiquent  que de l’« égalité de traitement ».

Portant notre regard vers l’avenir, on ne peut que souhaiter, que le gouvernement, tirant les leçons du passé, des dégâts causés par l’alternance de politiques jamais conduites à leurs termes, continue d’inscrire son action dans le cadre de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine passée sous silence par Macron comme par Borloo, loi équilibrée malgré ses limites, loi de consensus, faisant la part plutôt belle aux forces vives et habitants des quartiers ; même si certains ont regretté que le principe de coconstruction n’ai pas été plus loin dans l’empowerment, au risque de fragiliser le politique garant, d’une part de l’unité de la République, de son intégrité menacée par ses démons de l’intérieur, parfois télécommandés de l’étranger, d’autre part de la solidarité aux niveaux tant local que national.

Quant aux moyens nous permettant d’entrevoir ne serait-ce que le bout d’un tunnel de 40 ans d’errements et de palinodies on reste sur sa faim ; la question demeurant de savoir si le volontarisme politique aura finalement raison et des clivages sociétaux et des contraintes financières.

___________________________________

[1] En fait d’historique des plans banlieue, curieusement, le président se réfère à un « plan Barre », plan d’austérité économique, du nom de l’auteur du rapport de 1976 sur la réforme du financement du logement ayant débouché sur la loi du 3 janvier 1977 ! Mais année aussi de la parution, le 3 mars, de la circulaire portant sur les opérations Habitat et Vie Sociale (HVS), ancêtres du renouvellement urbain, ayant préfiguré la politique de la ville.

[2] Cf. notre analyse de la loi : article du 27 avril 2014 dans la série D’un ghetto l’autre : La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 à la lumière des analyses et propositions d’Eric Maurin, Laurent Davezies, Jacques Donzelot et Milena Doytcheva.

[3] V. sur le sujet l’exposé de Françoise Navarre, économiste à l’Institut d’Urbanisme de Paris, au séminaire d’Analyse et politique de la ville de Guy Burgel du 23 mars dernier portant sur Equité et gouvernement des territoires : des métropoles aux périphéries, à paraitre prochainement sur notre blog.

[4] Rappelons que le 1er PNRU pour la période 2004-2013 s’élevait à 12 milliards d’euros susceptibles de générer 45 milliards d’investissements pour 504 opérations et le 2e, couvrant la période de 2014 à 2024, à 5 milliards pour 20 milliards d’investissements sur 466 opérations. Le gouvernement Valls avait déjà ajouté 1 milliard en 2017. Les crédits d’accompagnement politique de la ville sont passés de 496 millions d’€/an en 2014 à 430 millions  en  2018, mais  entre-temps  les 2 600 quartiers  prioritaires  ont  été  ramenés à 1 514, représentant 5,5 millions d’habitants, au nom de la concentration des moyens sur les situations les plus difficiles. Outre l’abandon programmé des emplois aidés, 46,5 millions d’€ ont été annulés par décret du 20 juillet 2017 sur les contrats de ville, annulation qui a scandalisé et que le président semble regretter dans son intervention, assurant que ces crédits seraient désormais sanctuarisés.

[5] Equité et gouvernement des territoires : des métropoles aux périphéries. Compte rendu à paraitre prochainement sur notre blog.

___________________________________

Pour m’écrire : serre-jean-francois@orange.fr

3 commentaires sur “DU PLAN BORLOO A LA METHODE MACRON, QUOI DE NOUVEAU ?

  1. Bravo pour ton analyse je retrouve beaucoup des idées et des expériences que nous partageons et tu clarifies bien le fond de cette intervention
    J’ai, probablement avec moins d’attention que toi ,écouté le discours du président qui sur la forme m’a paru plutôt une démarche montrant qu’il prenait en compte les questions posées par les participants à cette rencontre et les propositions du plan Borlo pour les mettre en phase avec sa vision politique que tu rappelles très bien.Les individus ,la Société doivent porter sur les territoires un regard engagé qui ne soit pas qu’un appel à l’État dans une identification qui les stigmatise comme territoire particuliers .Je suis très sensible à cet aspect et au delà de sa raison politique que l’on comprend bien, je pense que le parallèle avec les territoires ruraux en difficulté est une bonne façon de ne pas isoler la banlieue et de ne pas la caractériser sociologiquement comme exceptionnelle.Bien sur cela entraine des contradictions qu’il faudra trancher et on ne peut qu’espérer que le travail qu’il a décidé devant déboucher sur des propositions concrètes dans plusieurs domaines à partir de juillet le fera.
    Les élus sont apparemment déçus, ça se comprend car leurs attentes sont toujours très concrètes, de plus c’est vrai qu’il n’a pas caressé le poil ,c’est certainement dans sa nature et de son age! mais il faut aussi être objectif: si nombre d’élus sont exemplaires dans leurs engagements nous savons qu’il n’en est pas de même partout!!

    J’aime

    1. Merci pour ce commentaire. Mais on aurait pu attendre de Macron un peu plus de hauteur de vue sur le fond et de méthode ; sachant qu’il a fâcheusement tendance, sous prétexte de redressement de l’économie nationale, à se laisser attirer par les mirages de la finance qui lui masquent certaines réalités. Et, faute de représentativité de la diversité de la société française au parlement, on ne peut guère compter sur nos élus pour une inflexion de la politique du gouvernement en faveur des classes qu’on dit « populaires ». Les priorités économiques, pas plus que les impératifs de la rénovation urbaine, ne dispensent de considérer les impacts sociaux qui en résultent.

      A suivre.

      J’aime

      1. oui à suivre… tu as raison en ce qui concerne la représentation nationale encore qu’il ne soit pas nécessaire de vivre sois même certaines difficultés sociales pour y être sensible! La résolution patiente d’inégalités flagrantes des services publics par des mesures concrètes me parait préférable aux grandes déclarations de principes qui risquent de ne guère être suivies d’effet car chaque décideur à souvent une bonne raison de ne pas « investir » dans les quartiers ,j’ai vécu cela quand j’étais aménageur des services publics se dépêchant d’aller s’implanter dans un secteur pavillonnaire plutôt que dans le quartier d’habitat social pourtant proche et très accessible!
        Ainsi les mesures engagées et qui paraissent devoir se développer pour l’école vont dans le bon sens de même tout ce qui pourra aider les femmes de ces quartiers (comme des autres!) crèches par exemple;
        A suivre……………

        J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s