TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : Les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, Les quartiers Nord de Marseille

Chères lectrices, chers lecteurs

Avant les vacances j’avais publié de larges extraits d’une étude réalisée en collaboration avec trois autres collègues, retraités de l’aménagement comme moi, dans le cadre et avec le soutien d’un partenariat rassemblant l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET, filiale opérationnelle de la CDC, et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence.

Les conditions de réalisation de cette étude ne nous ont pas permis de la mener avec toute la rigueur souhaitée. Ayant dû adapter notre démarche en conséquence, l’étude que nous avons rendue fin 2016 après plusieurs avaries – accidents de santé, tracas d’intendance – relève de ce fait plus du témoignage que d’une véritable recherche.

D’une durée programmée initialement sur deux ans, notre travail, dont le projet avait été déposé à l’automne 2011, s’est en fait déroulé sur plus de cinq en raison de ces vicissitudes. Sans doute n’avons-nous pas su faire comprendre aux membres du partenariat le sens de notre travail tel que nous l’envisagions à un tournant de la politique de la ville impulsé par la loi de Programmation pour la Ville et la Cohésion Urbaine du 21 février 2014. Les conclusions arrivent un peu tard – encore que ce ne le soit jamais pour infléchir un mouvement, à défaut d’en renverser le sens – et ce serait à présent un autre chapitre à ouvrir, alors même qu’un nouveau gouvernement, formé sous une présidence élue dans l’enthousiasme des uns et le scepticisme des autres, reprend les choses en main sans que l’on connaisse encore bien ses orientations.

C’est pourquoi notre travail a aujourd’hui plus valeur de bilan que d’orientations, ces dernières suggérées par nos interlocuteurs alors que s’esquissaient le nouveau PNRU. Aussi, bien que datée, est-ce à la demande de plusieurs d’entre vous que nous nous sommes résolus malgré tout à publier en feuilleton la synthèse de cette étude dans son intégralité.

Etant bien conscients des imperfections et de l’inachèvement de cette enquête dont les données auraient, pour le moins, gagné à être actualisées, c’est à vous aujourd’hui de juger du résultat et d’en tirer, s’il y a lieu, des leçons pour la poursuite du renouvellement urbain.

Pour commencer nous vous livrons un résumé des conclusions auxquelles nous sommes parvenus et qui nous ont été soufflées par nos interlocuteurs, acteurs du développement urbain, habitants inclus, une centaine en tout, de provenance aussi diverse que les thèmes abordés l’exigeaient.

Si vous le souhaitez, vous pouvez, pour obtenir toutes informations complémentaires sur ce travail ou me communiquer vos observations, toujours bien venues, m’écrire à l’adresse e-mail suivante : serre-jean-francois@orange.fr.

Dans l’espoir de susciter votre intérêt, même et surtout critique, bonne lecture.

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Trois sites de renouvellement urbain emblématiques : les 4000 de La Courneuve, Lyon-La Duchère, les quartiers Nord de Marseille

X
Cité idéale, attribué à Fra Carnevale (XVe siècle) – Walters Art Museum de Baltimore
                                               Cliché Wikipedia

Résumé d’une étude-témoignage

Un constat est à l’origine de l’étude. Depuis plus de trente ans la politique de la ville alterne les politiques : immobilières, urbaines, sociales, en faveur de l’emploi…

Une interrogation vient se superposer à ce constat : comment se fait-il que le rapport de l’Observatoire National des Zones Urbains Sensibles (ONZUS) pour 2014 conclue à une accentuation des écarts entre les quartiers politique de la ville et les autres ? Constat non contredit par les rapports pour 2015 et 2016 de l’Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV) qui a succédé à l’ONZUS.

D’où l’hypothèse que cette situation pourrait être imputable à la difficulté des acteurs de la politique de la ville à articuler – pour nous en tenir aux quatre thèmes que nous avons choisi de placer sous le projecteur – les aspects urbains, sociaux, économiques et culturels ; difficulté recouvrant une impuissance à se donner une représentation intégrée de la ville et de ses quartiers dans leur environnement à la fois physique et humain ; l’alternance des politiques cherchant à compenser, bien en vain, ce déficit de vision globale, l’inconstance dans la stratégie se payant du prix de la pérennisation de politiques d’exception et temporaires basées sur des mesures de discriminations positives hésitant entre leur application aux territoires et aux gens.

I – Sous le terme de « grand ensemble » trois sites aux contenus urbain, économique et social contrastés (données de 2010)

  • La Duchère: le plus circonscrit des trois sites, isolé sur un plateau en limite de ville, avec la population la plus jeune (38,2% de moins de 25 ans), le taux d’activité (60%) et le revenu médian (19 550 €) les plus élevés, le plus faible taux de non diplômés (31,5%).
  • Les 4000 de La Courneuve: un site coupé en deux tournant le dos au centre-ville, avec la plus forte densité de logements (63 lgts/ha), le plus fort taux de locataires HLM (72,5%) et de vacance (11%), la plus forte proportion d’étrangers (26%) et d’immigrés (34%).
  • Les ZUS de Saint-Barthélemy et Malpassé: site physiquement le plus morcelé (cœur de l’ex-ZUP n° 1), cisaillé de part en part par la rocade nord (L2), avec les plus faibles taux de densité (45 lgts/ha), taux d’activité (49%), d’étrangers (14%), d’immigrés (23,5%), de locataires HLM (49%), et le plus faible taux de vacance (5%).

II – Des programmes à l’aune de la mixité, urbaine et sociale (premier PRU )

  • Les 4000 :
    • Démolitions : 1902 logements sur 4 208 (45%) ;
    • Réhabilitations : 2 314 logements sociaux (55%) ;
    • Construction de 1 676 logements, dont 1 142 locatifs sociaux (68%).

Bilan provisoire de mixité : 87% de logements sociaux en prenant en compte les réhabilitations.

  • La Duchère:
    • Démolitions : 1711 logements sur 5 700 (30%) ;
    • Réhabilitations : 901 logements sociaux (19%) ;
    • Construction de 1 797 logements, dont 520 locatifs sociaux (29%).

Bilan de la mixité : logements sociaux ramenés de 80% à 55% à terme (58% aujourd’hui).

  • Les quartiers Nord de Marseille
    • Saint-Barthélemy/Picon/busserine
      • Démolitions : 340 logements sur 924 (37%)
      • Réhabilitations : 914 logements sociaux,
      • Construction de 75 logements sociaux et 25 intermédiaires
    • Malpassé
      • 448 logements sur 1 161 (39%)
      • Réhabilitations : 686 logements sociaux,
      • Construction de 201 logements sociaux, 96 en accession, 60 logements locatifs libres et 6 000 m² de bureaux.

Bilan de la mixité (approximation) : 76% de logements sociaux.

III – Un bilan traduisant le décalage entre les intentions des concepteurs et le ressenti des habitants

Le Constat pour 2014, dressé par l’ONZUS, de l’accentuation des inégalités entre les territoires de la politique de la ville et les autres masque deux observations qu’on a pu faire sur le terrain :

1°- D’une manière générale – moins dans les quartiers Nord de Marseille en raison de l’état de chantier de la rénovation qu’à La Courneuve et à La Duchère – les habitants expriment leur satisfaction des opérations de rénovation ; ce qui ne les empêche pas d’exprimer des critiques sur les modalités de leur mise en œuvre, en particulier en ce qui concerne les conditions du relogement et la participation.

2°- Si insatisfaction il y a, c’est du côté des relations sociales qu’on la trouve. La dégradation mesurée à divers indices (dont l’insécurité et les rapports de voisinage) et ressentie par les habitants interrogés est manifeste, sans que l’on puisse clairement l’imputer à une conjoncture générale ou à un contexte particulier ; dégradation qui s’exprime par une nostalgie déconnectée du cadre urbain où elle s’enracine, dont l’ombre portée s’étend sur une rénovation qui peine à restituer les conditions d’un vivre-ensemble que les gens gardent en mémoire. D’où, à La Courneuve comme à La Duchère ce travail de mémoire qui tente de compenser la frustration d’une perte ; sauf qu’il touche les ainés alors même qu’une nouvelle génération prend le relai et exprime un mal-être qui a d’autres causes, plus exogènes qu’endogènes.

IV – Essai de typologie des démarches de renouvellement urbain

Des trois exemples analysés on peut néanmoins dégager des enjeux, des objectifs et des moyens mis en œuvre pour les atteindre quelques dominantes, parmi les points forts du renouvellement urbain,  qui ne préjugent malgré tout en rien de l’avenir, à savoir :

  • Pour Les Quatre-mille de La Courneuve, un enjeu de promotion sociale en facilitant les parcours résidentiels : objectif social prioritaire ;
  • Pour les quartiers Nord de Marseille, un enjeu d’intégration urbaine par le désenclavement des quartiers et l’amélioration de la relation au centre-ville : objectif urbain prioritaire ;
  • Pour La Duchère à Lyon, un enjeu de désenclavement et de mixité social à atteindre par la diversité de l’habitat : objectif social-urbain.

Mais si, schématiquement, on peut avancer qu’en ce qui concerne les quartiers Nord de Marseille le social est subordonné à l’urbain, c’est en prenant en considération l’avancement moindre du projet, qui, du point de vue de ses promoteurs mêmes, rend prioritaire la rénovation, laquelle conditionne un développement social orienté vers la mixité. En revanche, pour les Quatre-mille de La Courneuve le développement social est bien une priorité politique à laquelle est subordonné l’objectif de mixité lié à la rénovation urbaine. La Duchère se situant, à cet égard, dans une situation intermédiaire, formellement plus équilibrée, compte tenu de l’avancement du projet urbain, qui s’est accompagné d’un renouvellement parallèle de la population.

V – Leçons à tirer des pratiques de terrain, pistes pour l’avenir

C’est parce que la politique urbaine des années 50-60 n’a pas su prendre en compte dans sa complexité la société urbaine qu’on lui a appliqué l’emplâtre de la politique de la ville à partir des années 80. C’est parce que la politique de la ville a échoué à résorber les écarts de développement, à réduire les inégalités économiques, à promouvoir une culture commune à même de neutraliser les extrémismes religieux qu’on s’est résolu à recourir à une politique de « peuplement » poursuivant un objectif d’équilibre sociodémographique territorial dont l’enjeu est, au minimum, d’éviter que la concentration dans l’espace des handicaps sociaux et situations de précarité ne constitue un facteur aggravant, ne favorise la délinquance ou ne dégénère en manifestations de violence.

Des entretiens menés avec les acteurs de terrain et les habitants, trois orientations majeures peuvent être dégagées pour l’avenir :

  • Inverser les démarches actuelles qui tendent à réduire l’action sociale à un accompagnement des mutations urbaines pour se poser la question préalable du devenir de la société urbaine que les habitants souhaitent promouvoir, ce qui implique de passer d’une politique de peuplement basée sur le nombre et les quotas à une politique privilégiant, outre le développement économique et des trajectoires résidentielles ascendantes, le lien social et un ancrage culturel sur fond de valeurs communes.
  • Dans cette perspective, mixité urbaine (des fonctions) et mixité sociale (dans la pluralité de ses composantes) sont indissociables et suppose que l’on fasse plus appel au secteur privé pour qu’il investisse dans les quartiers prioritaires et plus à l’Etat pour qu’il intervienne hors de ceux-ci afin de s’assurer de la maîtrise du foncier et  accompagner l’accueil des familles modestes dans les quartiers dits « attractifs ».
  • Composer avec la forme urbaine dans une conception du paysage urbain adossée à la notion d’espace commun.

Ces trois orientations, comme autant de prémisses, devraient pouvoir converger dans le passage d’une politique de la ville dissociant l’urbain de l’économique et du social à une politique urbaine intégrée réhabilitant, par l’implication nécessaire des habitants, le concept de « ville » dans toutes ses dimensions.

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A suivre : Synthèse comparative tirée des entretiens et données d’enquête 

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