IX – TROIS SITES EMBLEMATIQUES DE RENOUVELLEMENT URBAIN : les démarches adoptées (2. La Duchère)

Chères lectrices, chers lecteurs

En 1946, dans Bilan de l’histoire, René Grousset écrivait : « C’est une loi de l’Histoire qu’en de nombreux pays les provinces-frontières, les régions des Marches, sont souvent appelées à un rôle politique prépondérant. » Citation reproduite dans la préface de Robert Aron à la réédition de l’ouvrage. L’observation vaut pour ces marges que sont les banlieues dans les agglomérations et ces enclaves que sont les grands ensembles dans les banlieues ou en périphérie des centres-villes. Nous transposons la conclusion qu’en tire René Grousset en supprimant les termes relevant d’une analyse géopolitique pour mieux faire ressortir la pertinence de son application aux marges urbaines : « Leurs populations […], aguerries par une vie de lutte perpétuelle […], y acquièrent une supériorité […] qui finit par les imposer au reste de leurs compatriotes. »

La transposition est d’autant plus légitime qu’aujourd’hui les grands ensembles sont rattrapés par la croissance des agglomérations et qu’ils partagent avec les villes, dont « les murs » ne cessent de reculer, les handicaps et les atouts, les travers et les qualités, les misères et les espoirs… Comme si la ville et ses marges, avec ses enclaves, étaient appelées, pour le pire, à se contaminer et, pour le meilleur, à se féconder mutuellement, par-delà leurs limites, de plus en plus floues : « nouvelle frontière », creuset de toutes les initiatives, où se croisent les talents, par où transitent les innovateurs et porteurs de projets parmi les plus audacieux.

Les 4000 de La Courneuve, grand ensemble de la région parisienne, La Duchère, grand ensemble intra-muros, les quartiers Nord de Marseille, marquèterie de noyaux villageois, d’ensembles immobiliers, d’espaces verts et de terrains vagues : autant de configurations dans lesquelles une pensée binaire paresseuse tend à inscrire une opposition entre ville et banlieue, alors même que l’une et l’autre s’interpénètrent, parfois pour leur malheur, quand elles sont laissées à elles-mêmes, plus souvent pour leur bonheur, pourvu que leur développement conjoint soit accompagné à bon escient. Il y va de la cohésion de la société urbaine, irréversiblement confrontée à la diversité et à la mobilité de ses membres.

Après avoir, au chevet de nos trois sites, retracé, dans un premier temps, leur histoire et les objectifs de leur rénovation, puis exposé, dans notre précédent article, la démarche adoptée pour les Quatre mille de La Courneuve, nous poursuivons aujourd’hui avec La Duchère avant d’aborder la semaine prochaine les quartiers de Malpassé et Saint-Bathélemy au nord de Marseille.

Bonne lecture.

***

b) La Duchère : Le primat du paysage urbain et la mixité en ligne de mire

Le paysage n’est autre chose que la présentation culturellement instituée de cette nature qui m’enveloppe.
Anne Cauquelin (L’invention du paysage)
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Halle d’athlétisme Stéphane Diagana Cabinet d’architecture Chabanne & Partenaires

L’intégration des démarches de renouvellement urbain, incontestablement la plus complète comparée aux trois autres sites analysés, n’est pas exempte de tensions sociales, dont la perception est à l’origine de divergences entre les acteurs institutionnels.

Site initialement isolé sur le plateau couronnant la colline, La Duchère est désormais bien insérée dans l’agglomération. Y on participé : la liaison de transport en commun à partir de Vaise, en contre bas, raccordée au centre-ville par le métro et la réalisation de la voie est-ouest, avenue Rosa Parks, reliant le quartier aux zones d’emploi situées à l’ouest.

La position du maire de Lyon sur la question des démolitions est inverse de celle du maire de La Courneuve : ce sont, à La Duchère, des motifs d’urbanisme qui sont mis en avant pour justifier les démolitions. La réaction des habitants aux premières démolitions, celles des barres 200 et 260 au nord du Plateau sont à cet égard significatives des différences de perception : alors que la première compte tenu de son état de dégradation n’a pas suscité d’opposition, la seconde, réhabilitable, qui s’est imposée au maire pour des raisons de désenclavement du nouveau quartier, a provoqué un tollé, dont on peut dire a posteriori qu’il a cristallisé le mouvement de contestation des habitants et marqué le passage  d’un mouvement de revendications des locataires portant sur le logement à une forme de contestation plus globale des habitants portant sur les questions d’urbanisme. Au total c’est, au terme du 1er PRU, 1 711 logements sociaux qui ont été démolis sur 5 700 toutes catégories confondues, soit 30% (contre 45% aux Quatre-mille) et 901 qui ont été réhabilités, soit 19%.

Concernant la rénovation urbaine, ce qui caractérise l’opération est la priorité accordée à l’aménagement paysager sur l’urbanisme, l’intervention du paysagiste ayant précédé celle de l’urbaniste, sans doute la qualité naturelle du site en forme de belvédère dominant la ville y a-t-elle contribué.

Sur le plan de l’habitat, des trois projets analysés, La Duchère est le seul à avoir affiché des objectifs chiffrés : passage de 80% de logements sociaux à 55% à terme[1]. Le seul également à avoir obtenu des résultats substantiels dans les délais du PRU 1 : 58% de logements sociaux à fin 2015, avec, comme à La Courneuve, l’introduction de la mixité à l’intérieur des îlots urbains aménagés.

Si l’activité commerciale a été redynamisée grâce à la restructuration du commerce et à une meilleure répartition dans le tissu urbain, La Duchère reste un quartier à vocation résidentielle, mais est susceptible de bénéficier des retombées économiques de l’Ouest Lyonnais avec Techlid, pôle tertiaire, et avec le pôle numérique de Vaise. Les opérations d’investissement en faveur du développement économiques sur le quartier n’en sont pas moins significatives. Avec, d’abord, à l’extrême sud le parc Greenopolis, rattaché à la ZFU. Ensuite avec une offre de locaux d’activité préexistante de quelque 8 000 m² ; à quoi il faut ajouter à La Sauvegarde les projets de pôle entrepreunarial  (5 800 m²), de pôle santé (3 500 m²) à proximité de la clinique et d’un hôtel 4 étoiles. C’est tout l’enjeu de l’écosystème dans lequel vient s’insérer La Duchère, dont le périmètre est couvert par une Zone Franche Urbaine, aujourd’hui Territoire Entrepreneurs, et dont le projet de Pôle entrepreneurial inclut une pépinière innovante inspirée des principes du « coworking ». Mais au-delà des efforts manifestes consentis en matière d’immobilier d’entreprises sous forme de parcs d’activités et de locaux à vocation commerciale ou de services, la question demeure, lancinante, de l’adaptation des formations aux emplois existants et de la qualification des demandeurs d’emploi. Comme sur les autres sites, malgré ces efforts, le taux de chômage atteignait encore des sommets en 2012 : 26,7%, avec une pointe de 38% à La Sauvegarde. Aux actions de la Maison de l’Emploi et de la Formation (MdEF), il faut joindre celles de la Maison de la Création d’Entreprises (MCE), qui est portée par cette dernière. La Duchère pose toutefois avec une certaine acuité le problème de l’articulation entre l’économique et le social. Sur le plan organisationnel, la pierre d’achoppement apparaît bien à travers la répartition des domaines de compétences entre l’Etat pour ce qui concerne l’emploi (Pôle Emploi), la Mission Duchère, rattachée à la ville de Lyon et à la métropole, pour le développement économique, la MdEF pour l’insertion (application des clauses sociales dans les marchés publics) ; le problème ainsi posé étant cependant atténué par le jeu des mises à disposition entre organismes qui facilite la coordination des actions mais sans garantir une complète cohérence.

Au-delà de la mise en œuvre des actions politique de la ville, le traitement de la question sociale à La Duchère est très lié à la mobilisation des services de droit commun ; sachant que la reprise des compétences du département en matière sociale par la métropole à l’intérieur de son périmètre constitue un avantage incontestable en faveur de la mise en synergie du développement économique métropolitain avec les actions à caractère social. La mission Duchère, avec un chargé de développement social, une coordinatrice santé et une coordinatrice projet éducatif local, peut, d’autre part, s’appuyer, outre le CCAS, sur les deux centres sociaux et la Maison de l’Enfance du quartier.

Sur le plan culturel, par rapport aux Quatre-mille de La Courneuve, le quartier de La Duchère, arrondissement de Lyon, n’est pas dans la même situation. Les 4000 bénéficient de la présence d’une scène nationale et sont très proches des équipements de centre ville. La Duchère, de ce point de vue, est moins favorisée, les équipements centraux, quoique bien desservis  par le réseau de transports en commun, restant à distance. Le quartier n’en est pas moins doté d’une Maison des Jeunes et de la Culture dynamique, aux initiatives variées et renouvelées et proche de Vaise où est situé le Théâtre Nouvelle Génération, théâtre national d’art dramatique avec lequel Le Lien Théâtre, compagnie en résidence à la MJC, est en relation. Autant d’atouts compensant l’isolement tout relatif du quartier, facilement surmontable par le développement des relations avec les équipements de centre-ville et l’accompagnement des jeunes pour les encourager à sortir de leur entre-soi local. Il faut, d’autre part, prendre acte du renfort apporté par les compagnies théâtrales et acteurs socioculturels à la participation des habitants aux projets de rénovation et à leur contribution à l’animation urbaine générale.

BJ, JJ, BP, JFS – Juillet 2017

Réalisé avec le soutien de l’Institut CDC pour la Recherche, la SCET et l’IUAR d’Aix-en-Provence

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[1] Aux termes du Rapport pour 2016 de l’Observatoire National de la Politique de la Ville (ONPV), globalement, le taux de logements sociaux était de 61,1% sur l’ensemble des PRU en 2003. En 2013 il a été ramené à 57,7%  (-3,4 points), soit un taux proche de celui atteint à La Duchère en 2015. Cette diminution est à relier, sur le plan national, à la démolition de 15% du parc de logements sociaux et à la construction de 40 000 logements privés (représentant 4,3% du parc de logement total des quartiers).

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A suivre : c) Les quartiers Nord de Marseille : le défi de l’enclavement et des infrastructures 

Pour m’écrire : serre-jean-francois@orange.fr

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