XX – RETOUR A L’ECOLOGIE URBAINE, OU LA VILLE AU DEFI DU DEVELOPPEMENT DURABLE – 3) Vers une écologie du paysage urbain

 Chères lectrices, chers lecteurs

Alors qu’on se rapproche de l’ouverture de la 21e Conférence des parties à la Convention cadre des Nations Unis sur le changement climatique (COP21) à Paris, fixée au 30 novembre ; que le pape François, renouant avec les Fioretti du poveretto d’Assise, a surpris [1] en publiant Laudato si’, une encyclique sur le sujet, le temps est venu de boucler notre série d’articles relatifs à l’écologie et au développement durable (troisième du genre) en abordant la question du paysage urbain qui condense les problématiques de l’aménagement avec celles liées au respect de l’environnement. C’est cette question qui est traitée in fine, en sorte de synthèse, dans l’ouvrage collectif dirigé par Thierry Paquot et Chris Younès : Philosophie de l’environnement et milieux urbains [2].

Le chemin parcouru depuis les travaux de l’école de Chicago dans les années 20, permet de mesurer toute la distance séparant les promoteurs d’une écologie urbaine inspirée du comportement des végétaux dans leur milieu naturel des propagandistes de l’écologie urbaine qui s’est diffusée de ce côté-ci de l’Atlantique, en France notamment, à partir des années 70. Distance assimilable à un retournement épistémologique puisqu’aujourd’hui la nature n’est plus considérée comme un modèle susceptible d’être transposé pour expliquer les mouvements de population en agglomération, mais comme une composante incontournable d’un développement urbain censé être durable ou soutenable, deux qualificatifs souvent employés l’un pour l’autre, mais dont le sens, par-delà l’étymologie, diffère pourtant et n’est pas sans implications idéologiques et pratiques. De facteur explicatif, la nature, censée avoir été trop défiée dans le passé, serait ainsi en passe, quitte à illusionner ou faire diversion, d’être érigée en remède des maux économiques, sociaux, technologiques… qui nous accablent aujourd’hui. Alors que les œuvres de l’homme tendent à se retourner contre lui – ainsi en est-il des technologies du nucléaire –, la nature, de menace s’est muée en alliée, mais en alliée exigeante brandissant les risques de réchauffement climatique pour dissuader d’enfreindre les limites du soutenable. Renversement donc de perspective entre l’écologie urbaine d’hier qui tendait à naturaliser les rapports sociaux urbains et celle d’aujourd’hui qui recentre les phénomènes urbains sur ce qui fait la spécificité des groupes humains et des processus sociaux, en s’efforçant d’élucider les rapports complexes que l’homme entretient avec la nature et leurs conséquences sur le devenir des espèces – animales et végétales – en interaction les unes avec les autres. Evolution caractéristique d’une ère nouvelle désignée depuis peu par le terme d’anthropocène.

Aussi bien, le paysage urbain, compris dans sa minéralité – comme dans les pays méditerranéens – ou dans sa naturalité – à l’instar des cités-jardins anglaises –, illustre-t-il le dilemme auquel est confronté tout paysagiste appelé à intervenir en ville, chaque siècle ayant privilégié l’un ou l’autre mode d’intervention : soit travailler la matière dont la ville est issue pour la façonner à même le bâti, soit y réintroduire la nature initialement sacrifiée.

Les réflexions d’E. Daniel-Lacombe et T. Manola, dans les deux articles résumés ci-après, invitent au contraire à sortir de l’alternative pour appréhender le paysage comme articulation entre artefact et nature selon une conception intégrée relevant d’une culture qui refuse la rupture d’avec la nature, dans l’esprit d’un développement qui pour être économiquement durable n’en doit pas moins être humainement soutenable. En 1972, déjà, Serge Moscovici concluait son ouvrage La société contre nature par cette formule lapidaire anticipant sur les débats d’aujourd’hui : « Instante est certes la recherche d’un retour, non pas retour à la nature, mais retour dans la nature »,  c’est-à-dire dans un rapport positif à la nature, de collaboration et non de domination, « sociocentré », responsable.  Dans cet esprit, il ne s’agit pas tant pour la ville d’accueillir la nature, comme par compensation, que l’inverse : à savoir pour l’urbain de réintégrer la nature, bafouée, dans le respect des grands équilibres écologiques. 

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[1] Des encycliques sociales des papes, on retient surtout la condamnation du communisme, oubliant un peu vite les critiques émises à l’endroit de la société capitaliste. Dieu sait quel sort sera réservé à Laudato si’, qui plus que sociale pourrait être qualifiée d’encyclique planétaire. Dans une chronique du Monde (supplément Eco & Entreprise) du 8 juillet, ayant pour titre « Le pape François et le Nobel d’économie [Jean Tirole] » Jean-Pierre Dupuy attire pertinemment l’attention sur la dénonciation par le pontife romain du recours aux mécanismes du marché pour diminuer les émissions de CO². Comment, en effet, concilier la logique économique avec l’éthique politique quand on autorise les plus gros pollueurs à acheter des droits de polluer ? De telles préconisations ne reviennent-elles pas à traiter le mal par le mal, ou, dit autrement, à mettre en oeuvre des moyens en contradiction avec les fins poursuivies : exemple emblématique d’un conflit entre les résultats attendus, bénéfiques à court terme pour l’économie (mais à quelle échelle territoriale : nationale, régionale, mondiale ?) d’un droit – subjectif – à polluer, nuisible pour la société et la planète, et le droit – objectif – de l’environnement visant sa préservation à terme. Conflit entre utilité économique (ce qui reste à démontrer) et morale sociale (que les lois et règlements sont censés traduire en normes juridiques contraignantes).

[2] V. dans la série ayant pour titre Retour à l’écologie urbaine, ou la ville au défi du développement durable, nos précédents articles intitulés : L’école française d’écologie urbaine, otage des géographes et historiens publié le 10 mars dernier et La renaissance de l’écologie urbaine sous la bannière du développement durable publié le 12 mai.  

Jean-Baptiste Corot : Orphée ramenant Euridice des enfers. Métaphore de la ville orphique (entrelacement d'artifices et de nature) soumise au principe de durabilité forte selon Joëlle Salomon Calvin et Dominique Bourg
Jean-Baptiste Corot : Orphée ramenant Euridice des enfers. Métaphore de la ville orphique (entrelacement d’artifices et de nature) soumise au principe de durabilité forte selon Joëlle Salomon Calvin et Dominique Bourg
                                                            Museum of Fine Arts, Houston (Wikimedia Commons)

3) Vers une écologie du paysage urbain

Dans le premier des deux articles évoqués ci-dessus, Eric Daniel-Lacombe [1] pose une double interrogation :

– Comment concilier développement capitaliste, impliquant croissance de la consommation, et nécessité de diminuer la consommation (décroissance) pour lutter contre le réchauffement climatique ?
– Comment concilier la science avec notre besoin d’illusions ?

Comment, en bref, faire en sorte que le développement durable soit au service de l’habitat et non de l’écologie ? Que l’écologie ne soit pas une fin en soi mais « une science au service d’une politique, celle du paysage ? »

Partant du constat que « la nature est un processus de transformation lié à la vie et aux activités de l’homme », il se prononce pour « une politique paysage qui réenchante les ambiances des pratiques quotidiennes afin d’accéder à une relation plus profonde avec la nature. » Le paysage est à inventer à partir d’une pratique interdisciplinaire.

Dans le second article, Théodora Manola [2] revient sur le rapport homme/milieu naturel comme fondement d’une conception du paysage urbain transcendant l’opposition ville/nature.

Traditionnellement, selon une tendance théorisée par le philosophe Alain Roger, le paysage était dissocié de l’environnement : l’environnement, d’ordre matériel, participant du réel objectif, se rattachant à l’écologie en tant que science, le paysage, d’ordre immatériel, relevant d’une représentation subjective. Dans cette tradition, les partisans d’un paysage écologiste s’opposaient à ceux qui cherchaient à promouvoir un paysage artialisé. Mais, un troisième courant s’impose de plus en plus pour définir le paysage comme système relationnel global : environnement et paysage étant dès lors reliés sous la bannière du développement soutenable. Selon cette dernière optique le paysage relève d’une esthétique ordinaire multisensorielle : visuelle, sonore, tactile, olfactive, voire en relation avec le goût (cf. les produits du terroir).

Les tendances nouvelles s’expriment ainsi en introduisant l’art contemporain dans le paysage (cf. les notions d’art contextuel ou écologique), en recherchant la participation des habitants à la conception des paysages (l’habitant à la fois observateur et acteur du paysage), en mettant en œuvre des politiques paysagères durables prenant non seulement en compte le court terme mais aussi le long terme. Une conception du paysage urbain complémentaire de celle d’environnement, médiation entre nature et culture, lieu de rencontre de l’expert et de l’habitant tend de plus en plus à s’imposer : « L’environnement serait dès lors porteur de valeurs non seulement écologiques, politiques, économiques, mais aussi sociales, culturelles, esthétiques et sensibles, entrainant de nouvelles pratiques […]. »

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C’est ce qui conduira Thierry Paquot, dans Un philosophe en ville (2011), à en appeler, après une philosophie de la ville, à une écologie appliquée ou écotopie, selon la terminologie adoptée par Ernst Callenbach [3] : « Là encore, l’écologie invite à repenser entièrement la manière d’être au monde, en ce sens elle s’annonce utopique. »

Mais, si « l’utopie, comme un ailleurs présent, se nomme dorénavant écologie » [4] , encore faut-il ne pas perdre de vue que c’est d’écologie urbaine qu’il s’agit dans la mesure où c’est dans et par la société urbaine que l’homme est appelé à se réaliser. Hélas, si avec la ville la matérialité, en tant qu’artifice (les infrastructures, monuments et édifices), l’a d’abord emporté sur la nature avant que cette dernière ne soit réhabilitée, il n’est pas sûr que la pensée, à la faveur du développement durable ou soutenable, sésame brandi à toute occasion, ait pour autant pris le dessus.

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[1] Le paysage permet-il d’aborder autrement la question de l’environnement ? Op. cit.

[2] Paysage et environnement : quelle association ? Op. cit.

[3] Ecotopia. The Notebooks and reports of William Weston (1975).

[4] Un philosophe en ville.

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Prochain article : La dialectique du logement et de son environnement, étude exploratoire de Jacqueline PALMADE, Françoise LUGASSY et Françoise COUCHARD

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« Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose », a écrit Nietzsche dans le Crépuscule des idoles. De fait, je me suis découvert cette singularité : une tête qui marche sur des jambes, à la campagne comme en ville, mais dans cette dernière, ma tête se remplit de la présence multiple des autres au lieu de se vider !

Merci, chères lectrices, chers lecteurs, de me confier votre opinion sur les comptes-rendus d’ouvrages publiés et, surtout, de me signaler toute erreur ou mésinterprétation qui aurait pu s’y glisser, malgré le soin que j’y porte, dans l’espace « commentaire » ci-dessous ou à l’adresse e-mail suivante : serre-jean-francois@orange.fr.

 

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