XX – RETOUR A L’ECOLOGIE URBAINE, OU LA VILLE AU DEFI DU DEVELOPPEMENT DURABLE : 1) L’école française d’écologie urbaine, otage des géographes et historiens

Case Kanak / Photo Fanny Schertzer / Wikimedia Commons
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                                                                                                          Centre culturel jean-Marie Tjibaou / Photo Fourrure / Wikimedia Commons

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Y a t-il une science des villes ? un art de la ville ? jusqu’où l’urbanisme plonge-t-il ses racines ? dans une science de la société, au risque de s’y diluer ? dans une géographie mettant l’espace au premier plan ? une géographie du milieu ? ou de l’environnement ? dans l’histoire, au risque d’une vaine remontée aux origines ? à moins que ce ne soit dans une écologie qui intègre les influences du milieu sans pour autant minimiser la place de l’homme dans la nature ? une écologie urbaine. Encore faut-il s’entendre sur les termes, dont le sens, à l’origine, diffère de part et d’autre de l’Atlantique même si une convergence tend à s’imposer aujourd’hui. Convergence inachevée dans la mesure où elle supposerait avoir comblé le fossé entre sciences humaines et sciences de la nature, d’une part, savoir et pratique, d’autre part.

1) L’école française d’écologie urbaine, otage des géographes et historiens

Dans L’écologie urbaine et l’urbanisme : aux fondements des enjeux actuels (2002), Vincent Berdoulay et Olivier Soubeyran, géographes, ont interrogé ce qu’ils dénomment « l’école française d’écologie urbaine » qu’ils font remonter à l’après-première guerre mondiale et qui s’est donc développée, indépendamment de l’école de Chicago, dans un contexte de rivalité entre géographes et historiens. Deux éléments de contexte ont provoqué et accéléré la prise de conscience de l’urgence d’une écologie urbaine dès avant la première guerre mondiale : l’explosion démographique des villes de l’hémisphère nord, d’une part, le décalage des notions traditionnelles d’urbanisme avec ces phénomènes, d’autre part.

Les auteurs se sont attachés à montrer, à travers l’analyse des articles de La vie urbaine, revue éditée par l’Institut d’Urbanisme de l’Université de Paris (IUUP), comment la notion de milieu associée à celle de paysage a été dans l’entre-deux guerres l’enjeu de cette rivalité. Les géographes, héritiers du possibilisme de Vidal de La Blache, dont Raoul Blanchard, ont insisté dans un premier temps sur les possibilités offertes par le milieu pour l’action, tandis que les historiens, comme Marcel Poëte influencé par le vitalisme de Bergson, dénonçaient chez leur collègue géographe la surestimation de l’influence du milieu et leur incapacité à incarner la rupture avec le passé que les défis de l’urbanisation exigeaient. D’un côté un récit descriptif (narratif) et à prétention scientifique de l’évolution des villes mettant l’accent sur la continuité, de l’autre un récit d’anticipation moderniste en phase avec le mouvement moderne en urbanisme.

L’influence grandissante des historiens, sacrifiant les acquis de l’écologie urbaine, n’a toutefois pas permis de conforter une science et une pratique de l’urbanisme impuissante à concilier les exigences de rigueur scientifique avec les impératifs normatifs de l’action. En effet, pour autant qu’une discipline scientifique ait vocation à donner un sens à des phénomènes qui échappe aux acteurs de terrain, ceux-ci risquent, par cela même, de voir remis en cause leurs propositions d’intervention. D’une part « les géographes ont ainsi été placés devant une injonction contradictoire : coincés entre la demande de connaissance, impliquant une réduction d’incertitude, et celle de modernité travaillée par l’idée d’émancipation ou d’affranchissement des contraintes. Ils ont échoué à incarner le regard libérateur que réclamait l’urbaniste. » D’autre part « les historiens, sollicitant l’évolution créatrice, réussirent mieux à rapprocher connaissance et modernité. Mais ce fut au prix d’une disjonction entre récit scientifique des possibilités et récit prospectif des préconisations, et tout particulièrement au prix de l’évacuation de la notion de milieu du cœur même de la démarche prospective ».

Après guerre, analyse Olivier Soubeyran dans un article intitulé Imaginaire disciplinaire et écologie urbaine[1], deux autres éléments de contexte ont contribué à freiner la prise de conscience écologique : les réticences à accepter les méthodes et thèses de l’Ecole de Chicago, d’une part, la division, par Françoise Choay[2], du pré-urbanisme en deux courants opposés : le culturalisme et le progressisme ; sachant que sa présentation tendait, au moins implicitement, à privilégier ce dernier courant.

D’où il résulte que, compte tenu des menaces qui pèsent sur le devenir de la biosphère, concilier « théorie du milieu » et « science de l’action » redevenait, au seuil des années 60 en France, un enjeu d’actualité. C’est l’objet de l’écologie, notamment dans sa composante développement durable, mais qui peine à prouver sa légitimité comme le montre le débat entre tenants de l’environnementalisme et de l’écologie profonde, d’une part, version faible et version forte du développement durable, d’autre part.

C’est André Micoud[3] qui a relevé que le terme d’écologie urbaine était un oxymore associant contradictoirement milieu naturel à urbain, compris comme artefact. La ville s’opposerait à la vie, et l’écologie urbaine prétendrait réconcilier les deux termes de l’opposition dans une utopie – définie par Marx comme critique idéologique d’une idéologie. C’est bien ce qu’exprime le slogan « Changer la ville, changer la vie », l’écologie urbaine ayant pour ambition de naturaliser la ville.

Ainsi, comme l’a démontré Cyria Emelianoff[4], alors que jusque vers les années 60, en grande partie sous l’impulsion des géographes, la conception d’une écologie urbaine proche de celle de l’école de Chicago l’emportait en France, écologie sociologique en concurrence avec d’autres courants inspirés du marxisme, structuraliste ou non, l’écologie scientifique prenait le relai à partir des années 70. Mais sectaire dans ses énoncés, rigide dans ses prescriptions la nouvelle discipline échouait à rendre ses concepts opératoires. D’où, depuis les années 80 la faveur que connaît la notion de développement durable vulgarisée par le rapport Bruntland de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement. Plus souple, ayant cherché à articuler environnement, social et économie, sa mise en application peine toutefois à concilier les volets environnement et économie et le développement social est le plus souvent passé à la trappe.

Il revient pourtant à Lionel Charles[5] d’avoir proposé une piste permettant de faire converger dans une même vision la ville et la vie. C’est en redonnant à l’environnement son sens existentiel que la mise en avant du développement durable a quelque peu estompé. C’est parce que l’environnement met l’homme en rapport avec le milieu, indifféremment naturel ou urbain, qu’il peut retrouver une légitimité tant auprès des protectionnistes que des interventionnistes. En effet, l’environnement renvoie au sujet, à son initiative et à son autonomie, au sein de la communauté des hommes. Sans que l’auteur s’y réfère, on pourrait avancer qu’une phénoménologie de l’environnement non seulement aiderait à penser la relation originelle et indissociable de l’homme au milieu, mais qu’elle ouvrirait aussi sur une perspective dans laquelle le sens commun s’accorde à la science, une perspective démocratique conférant toute sa place à l’habitant et à l’usager. Par le langage, la science donne sens au monde qui nous entoure, par son action, le sujet donne prise sur l’environnement, conclut l’auteur.

Prochain article :

2) La renaissance de l’écologie urbaine sous la bannière du développement durable

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[1] Revue Quaderni hiver 2000-2001.

[2] L’urbanisme, utopies et réalités (1965).

[3] L’écologie urbaine comme utopie contemporaine – Quaderni n° 43, hiver 2000-2001.

[4] L’écologie urbaine entre science et urbanisme – Quaderni n° 43, hiver 2000-2001.

[5] Ville, écologie, environnement : vers une politique du sujet.

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Chères lectrices, chers lecteurs

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